Une approche pragmatique de l’efficacité symbolique

Une approche pragmatique de l’efficacité symbolique

Arac 18-10-2006

Mauricio García 1

La question de pourquoi et comment la parole guérit demeure un des énigmes majeures de la psychanalyse. L’acquis de sens ou de savoir, que peut apporter l’interprétation au sein de la relation transférentielle, se borne encore aux difficultés de faire la théorie de l’efficacité de la parole et des effets de l’analyse. Il est imposible de traiter la visé de transformation de la cure analytique sans la situer au sein d’un procès de théorisation. Pratique et théorie, doivent s’imbriquer dans le travail analytique même s’il s’agit des catégories et des moments qu’on peut formaliser comme distincts. Il en va de même pou la condition réelle de l’objet de la psychanalyse et la condition discursive de l’explicitation du travail. Loin de considérer cette double inscription un obstacle agaçant, j’en déduit que l’objet de la psychanalyse est du sens incarné.
Plusieurs psychanalystes, tout en revendiquant la visé de sens de la psychanalyse, montrent très bien que, puisque le sens n’est pas formalisable, on aurait besoin d’une autre perspective pour rendre compte de l’opérativité de l’analyse, de sa capacité pour susciter des transformations. Mon hypothèse est qu’il y a quelque chose dans la tradition même de la psychanalyse, une perspective logico-sémantique, qui empêche de rendre compte de la parole comme acte pragmatique du discours et donc de théoriser sa portée transformationnelle.

L’efficacité symbolique.

C’est un texte majeur de Lévi-Strauss et de l’anthropologie structurelle et qui a eu une grande influence dans toute tentative de montrer comment le discours produit des effets, et plus spécifiquement comment la parole peut guérir. Or, il y a un paradoxe dans ce texte, car tout se passe comme si la réflexion de Lévi-Strauss parvenait davantage à rendre compte du caractère symbolique de la cure chamanique qu’il décrit que des ressorts de son efficacité.

La description d’une cure chamanique chez les Cunas conduit Lévi-Strauss à se demander comment le récit du chaman, ses gestes, sa mise en scène, ses incantations, et tout le reste, parviennent à faire accoucher une femme qui, au milieu d’une grande souffrance, n’arrivait pas à le faire. Sa première proposition est de considérer la cure comme un processus qui rend “ pensable ” une situation donnée, de telle sorte que les douleurs deviennent acceptables et tolérables pour l’esprit de la femme. Et il ajoute: “ que la mythologie du chaman ne correspond pas à une réalité objective n’a pas d’importance: la malade y croit, et elle est membre d’une société qui y croit ” [[LEVI-STRAUSS, Claude: “ L’efficacité symbolique ”, dans: Anthropologie Structurale, Plon, Paris, 1958, p.226.]]. Le problème n’est pas de déterminer la vérité du récit mais sa capacité d’agir. Après avoir dit que la cure rend “ pensable ”, il pose le problème pragmatique: est-ce parce que le mythe (les représentations culturelles) rend pensable quelque chose (la souffrance) qu’il agit et qu’il est efficace? Pas du tout, car la malade “ ayant compris, ne fait pas que se résigner: elle guérit. Et rien de tel ne se produit chez nos malades, quand on leur a expliqué la cause de leurs désordres en invoquant des sécrétions, des microbes ou des virus ” 2. Par conséquent, “ rendre pensable ”, expliquer ou mettre de l’ordre ne suffit pas pour que la guérison ait lieu en tant qu’événement pragmatique.

La première tentative pour comprendre cette différence reviendra à dire que le langage des microbes -le discours scientifique causaliste- est extérieur à l’esprit du patient, tandis que celui du chaman est intérieur à ce même esprit, conscient ou inconscient. Voilà une suggestion intéressante. Qu’est-ce que ce langage intérieur à l’esprit? Dans quel sens est-il intérieur? Lévi-Strauss n’en dit pas plus, sauf qu’il s’agit d’un langage “ dans lequel peuvent se formuler des états informulés et autrement informulables ” 3. Cela rejoint certains aphorismes contemporains selon lesquels le mythe permet de dire ce qu’il ne serait pas possible d’énoncer d’une autre manière. Mais ceci reste vague. A ce stade de sa réflexion, Lévi-Strauss conclut que “ c’est le passage à l’expression verbale […] qui provoque le déblocage du processus physiologique ”, la guérison. Mais justement, le problème était que, bien que le passage à l’expression verbale soit une condition de possibilité, celle-ci ne suffisait pas en soi. L’explication du langage scientifique opère lui aussi un passage vers l’expression verbale, pourtant elle n’est pas efficace dans le sens de Lévi-Strauss. Faute de pouvoir préciser cette intériorité, il réduit sa question au plan de l’expression verbale.

En bref, je dirais que l’intériorité en question peut être formulée dans deux sens: a) le langage du chaman reste sur le plan du sensible, il n’est pas une abstraction, comme l’est le langage scientifique, ce qui signifie que le langage efficace est celui qui reste au plus près du vécu [[On pourrait formuler cette idée en termes plus épistémologiques. La science opère un passage vers l’abstraction: du langage qui saisit et qui décrit elle passe à un langage abstrait afin de formuler des régularités, ceci dans un souci de rendre compte de ce qu’elle observe. Elle ne se contente pas de constater l’efficacité d’un procédé mais elle veut aussi rendre ce procédé intelligible, l’expliquer, le comprendre, l’interpréter. Au-delà de l’efficacité, la science vise à rendre compte des règles de production de cette efficacité. Pourquoi cela marche-t-il? Voilà une des raisons pour établir une métapsychologie. Le chaman, lui, s’intéresse seulement à l’efficacité. Il ne souhaite guère en rendre compte, il ne veut pas valider ses procédés. Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est de les transmettre, mais de sorte que l’apprenti soit efficace à son tour. C’est pourquoi il formule les choses dans le langage qui est efficace, le sensible, qui est près du vécu, sans passer à l’abstraction. C’est là tout le problème de la psychanalyse: elle ne veut pas seulement guérir mais aussi rendre compte des ressorts de l’efficacité. Cependant, savoir rendre compte n’assure pas le savoir-faire.
]]; b) le langage du chaman est un acte, il comporte un vecteur pragmatique qui lui donne la force (comme disais Austin à propos du performatif) d’une symbolisation. Cette force est intérieure à sa parole parce qu’indissociable de l’énonciation elle-même. Le chaman n’évoque pas seulement la douleur, il ne fait pas que l’exprimer, mais les incantations agissent sur la réalité du corps de la malade. Ce vecteur pragmatique est rendu possible par une institution sociale: chaman et patiente croient au mythe, et le chaman est quelqu’un de valable pour proférer les incantations et les récits, etc. Mais l’institution opère comme un contexte que seul l’observateur peut isoler. Pour les acteurs de la cure, le contexte est intérieur à l’énonciation. Ceci veut dire que l’efficacité symbolique est symbolique parce qu’articulée au langage, mais efficace parce qu’action, force pragmatique, susceptible de transformer un état donné, de le faire muter. Voilà pourquoi je rapproche cette question de celle de la symbolisation. Lévi-Strauss rend davantage compte du caractère symbolique de la parole et de la gestualité du chaman que de son opérativité radicale. Pourtant cette question jaillit sans cesse sous sa plume.

Lévi-Srauss s’égare cependant lorsqu’il entame une comparaison entre chamanisme et psychanalyse. Pourtant, à certains moments, la question de fond revient. Les deux disciplines essayeraient d’amener des conflits, des résistances à la conscience. La résolution ne se produirait pas en fonction d’une simple connaissance de tous ces facteurs mais à travers une “ expérience spécifique, au cours de laquelle les conflits se réalisent dans un ordre et sur un plan qui permettent leur libre déroulement et conduisent à leur dénouement ” [[Op.cit., p.227.
]]. Quel est ce plan? Est-ce le sens acquis psychiquement? Est-ce le fait de faire signifier? Ou est-ce un plan pragmatique? Je pense que les deux y sont mêlés. Le premier permettant le libre déroulement (la grammaire inconsciente à l’œuvre qui permet les métaphores et les métonymies, la figuration, etc.), et l’autre, le vecteur pragmatique, permettant le dénouement. La spécificité de l’expérience en question réside dans le fait qu’elle n’est pas seulement significative ou expressive (verbalement) mais aussi mutative. La pragmatique du discours et du récit marque ainsi la spécificité de cette expérience. Lévi-Strauss ne voit pas les choses ainsi, et c’est pour cette raison qu’il rapproche cette “ expérience spécifique ” de l’abréaction, comme formulation d’une situation informulée. Pourtant l’abréaction ne change pas grand-chose selon la psychanalyse: elle soulage, mais seulement pour un temps. Elle ne modifie pas le conflit ni la position du sujet par rapport à son inconscient. L’abréaction permet le libre déroulement mais non le dénouement.

La difficulté de sortir du formalisme et de penser la pragmatique apparaît aussi dans la manière dont Lévi-Strauss conçoit la guérison: elle serait un fonctionnement ordonné. “ Là aussi (dans le chamanisme), il s’agit de susciter une expérience, et, dans la mesure où cette expérience s’organise, des mécanismes placés en dehors du contrôle du sujet se règlent spontanément pour aboutir à un fonctionnement ordonné ”4. Le récit et les incantations ordonnent la souffrance, et parce qu’elles ordonnent, elles guérissent. Mais à ce même titre, on pourrait dire que c’est parce qu’elles transforment la position du sujet qu’elles ordonnent. Pourquoi donner le primat au formel au détriment de l’actionnel? Pourquoi donner la priorité au sémantique en détriment du pragmatique?

La comparaison va plus loin : le psychanalyste a un rôle d’auditeur, tandis que le chaman est plus actif, il est orateur. En psychanalyse, “ le malade fait parler le psychanalyste en lui prêtant des sentiments et des intentions supposées ” (le transfert), tandis que le chaman “ parle pour sa malade ” en suscitant chez elle une identification “ à un chaman mythiquement transposé ” 5. D’autres facteurs sont inversés, mais les deux techniques visent à produire l’expérience de faire vivre un mythe: mythe individuel (produit) dans la psychanalyse, mythe social (reçu) dans le chamanisme.

Puis, Lévi-Strauss compare le chamanisme avec une “ variante de la cure type ”, où Mme Sechehaye fait par d’une thérapie avec un schizophrène. Elle constate que le discours, aussi symbolique qu’il puisse être, ne permet pas d’atteindre les complexes du malade. Elle pose alors des actes, des gestes, comme celui de prendre le malade dans ses bras, permettant le contact de la joue du malade avec son sein. La charge symbolique des actes les rend propres à constituer un langage -dit Lévi-Strauss- à travers lequel la psychanalyste communique avec le patient et produit les effets de dénouement des complexes. On le voit, pour Lévi-Strauss, c’est l’acte qui peut devenir symbolique -ce qui est vrai et en outre fécond pour analyser de nombreux matériaux- mais il ne conçoit pas l’inverse, à savoir que les symboles et les discours sont à leur tour des actes, et que c’est à cette condition qu’ils sont efficaces.

Plus loin, Lévi-Strauss déduit un axiome à partir de l’espoir freudien qui postule qu’un jour la conception psychologique des pathologies devrait disparaître devant une conception physiologique ou même biochimique. L’axiome, c’est qu’il y aurait analogie structurale entre l’organique et le psychisme inconscient (l’esprit). A partir de là, il définit l’efficacité symbolique comme une « propriété inductrice » entre les étages. Puisque ces étages seraient analogues structurellement, “ l’efficacité symbolique consisterait précisément dans cette propriété inductrice que posséderaient, les unes par rapport aux autres, des structures formellement homologues pouvant s’édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du vivant: processus organiques, psychisme inconscient, pensée réfléchie ” [[Op.cit. p.231.]]. Qu’est-ce qui oblige cette analogie structurale fortement contestée, entre autres par Castoriadis qui nous rappelle que si bien l’objet de la psychanalyse est sens incarné ou signification matérialisée il est irréductible au langage des sciences du vivant? A mon avis, c’est la difficulté de cerner les ressorts de l’efficacité dans le discours lui-même, c’est la difficulté de mettre à jour la force pragmatique de la parole qui conduit à ce détour. Lévi-Strauss nous donne ainsi une clé de compréhension du problème introduit par l’espoir de Freud, sur lequel, on le sait, il a été toujours ambivalent. Mais Lévi-Strauss veut aller plus loin, on le sent très vite, car juste après la citation de la définition, il compare cette “ propriété inductrice ” avec la métaphore poétique (et non avec la psychosomatique par exemple, ce qui serait plus en concordance avec l’axiome): “ La métaphore poétique fournit un exemple familier de ce procédé inducteur; mais son usage courant ne lui permet pas de dépasser le psychique. Nous constatons ainsi la valeur de l’intuition de Rimbaud disant qu’elle peut aussi servir à changer le monde ”6 (et non seulement à le signifier symboliquement). Il est à un pas d’ouvrir la question de la pragmatique de la métaphore comme le fait Davidson. Sinon que signifierait une conception de la métaphore qui dépasse le psychique? C’est une phrase énigmatique que j’interprète comme une intuition selon laquelle dans l’usage courant (puisque c’est ici que la métaphore ne dépasse pas le psychique), la métaphore est réduite à la sémantique, à une manière originale de signifier le monde. Au sens de Rimbaud, la métaphore peut induire (potentiellement) un changement, une transformation. La question de la pragmatique du discours se situe donc au sein de l’efficacité symbolique, comme elle est au sein de la symbolisation telle que la psychanalyse permet de la comprendre.

Il y aurait beaucoup d’autres commentaires à faire concernant ce texte plein de génie, notamment la question de l’inconscient comme forme vide, “ aussi étranger aux images que l’estomac aux aliments qui le traversent ”, organe d’une fonction spécifique qui impose des lois structurales à toute sorte d’éléments (pulsions, émotions, représentations, souvenirs). Toutes ces questions, capitales, m’éloigneraient de mon propos dans ce chapitre. Tout se passe comme si l’approche formelle et catégorielle que Lévi-Strauss avait des mythes l’empêchait dans ce texte de cerner la spécificité de son objet, tout en la laissant transparaître.

Dans l’article sur le mythe de L’anthropologie structurale, Lévi-Strauss s’intéresse davantage au mythe en lui-même, en tant qu’il constitue un outil apte à résoudre des contradictions. Mais, comme ce sera le cas dans les Mythologiques, ces contradictions ne se réfèrent plus nécessairement à des conditions sociales ou économiques particulières; Elles sont d’ordre intellectuel et prennent naissance dans l’opposition entre nature et culture (le cru et le cuit, le miel et les cendres, etc.). Les contradictions touchent à des qualités sensibles, à des formes ou à des relations. Dans tous ces cas, la logique des mythes procède par oppositions, par divisions, par retournements jusqu’au moment où toutes les formules possibles de composition et de recomposition sont épuisées.

Cette perspective, féconde par ailleurs, empêche d’interroger l’efficacité des mythes eux-mêmes puisqu’il est inconcevable que la parole soit une action pragmatique. Lévi-Strauss s’intéressera à l’efficacité du rite, mais sans pour autant théoriser la pragmatique. Pourtant, comme le dit Marc Augé, “ s’interroger sur l’efficacité des symboles c’est moins viser leur fonction que le mécanisme de leur intervention, théoriser la pratique ce n’est pas seulement comprendre la structure inconsciente des représentations qui la commandent mais manifester des schémas constitutifs de toute représentation et par-là même changer le sens du terme représentation ” 7. Autrement dit, s’interroger sur l’efficacité symbolique implique de reconnaître non seulement l’efficacité du rituel, mais aussi l’efficacité potentielle du discours lui-même. Ces dernières années je me suis intéressé aux représentations culturelles de la souffrance, par exemple les sorts, et en analysant ces discours on s’aperçoit qu’ils ne son pas seulement des représentations signifiantes, porteuses de sens divers, mais aussi d’actions inductrices de transformations subjectives pour ceux qui les font circuler culturellement. Par ce billet les dites représentations montrent leur force pragmatique. Autrement dit, si on n’octroi pas au mythe lui-même une efficacité, on devrait s’attendre a qu’ils disparaissent quand les rites de s’anéantissent. Cette approche est un leur car les mythes persistent et insistent entant que porteurs d’une opérativité radicale de la parole, c’est la seule raison qui rende compte de leur retour incessant.

Le fonctionnalisme, trop prématurément mis sur le bûcher par les sciences humaines, mérite d’être revisité à ce sujet . Certes, le sens n’est pas la fonction. La lecture fonctionnelle du mythe dit plus sur le contexte du mythe que sur le texte. Néanmoins la question de la fonction est une approche qui préfigurait d’une certaine manière l’approche pragmatique. D’ailleurs, il est surprenant de constater que Malinowsky a été un précurseur de la philosophie analytique du langage. Dans un texte peu connu, Les jardins de Corail, il développe toute une réflexion sur le langage. Jakobson et Benveniste n’ont retenu dans leurs commentaires que la “ communication phatique ”, qui se réfère au bavardage ordinaire, source de la “ fonction pathique ”, centrée sur le contact et dégagée de la pression de la fonction informative. Mais Malinowsky va plus loin:

-“ Le langage est essentiellement un moyen d’agir, et non pas de raconter une histoire, de divertir ou d’instruire d’un point de vue purement intellectuel ”.
-“ Les premiers mots de l’enfant sont un moyen d’expression et surtout un mode d’action efficace. L’enfant vit dans un monde où les mots ont un pouvoir. […] Dans le monde de l’enfant, les mots, s’ils sont énoncés avec sérieux, signifient dans la mesure où ils agissent. La fonction intellectuelle des mots se crée probablement plus tard, et se crée à partir de sa fonction pragmatique ”.
– “ La principale fonction du langage n’est pas d’exprimer la pensée ni de reproduire l’activité de l’esprit, mais au contraire de jouer un rôle pragmatique actif dans le comportement humain ”

– “ …les mots échangés n’ont pas pour fonction première de transmettre la pensée, mais d’unifier le travail et de coordonner les activités des mains et du corps. Les mots participent à l’action et sont autant d’actions ” 8.

Cette puissance pragmatique, Malinowsky l’observe surtout dans les formules magiques, les énoncés de caractère sacramentel, les exorcismes, les incantations, toutes ces formes du parler se rapprochent fortement du récit du chaman dans la cure citée par Lévi-Strauss. Le maître du fonctionnalisme va même jusqu’à utiliser l’expression “ d’acte de parole ” préfigurant la notion de Austin. En effet, il affirme que pour l’indigène une formule magique est “ un acte de parole qui permet de libérer telle ou telle force particulière – un acte qui […] exerce une influence très puissante sur les phénomènes de la nature et la conduite humaine ”9.

La question de la fonction donc n’est pas à mettre sur le bûcher, car elle ouvre la réflexion sur la pragmatique. Cette perspective complexifie les choses de telle sorte que l’extralinguistique devient inséparable de toute possibilité de comprendre l’échange et le discours social. Ainsi, Searles insistera sur les dites condition extralinguistiques qui spécifient les rôles et les positions légitimes pour les sujets. Ce que Austin appelle les “ conditions de félicité du performatif ”, c’est-à-dire les conditions où il réussit, sont avant tous des conditions sociales 10.

Implications pour une théorie psychanalytique de l’efficacité symbolique et de la symbolisation.

Comment ressaisir les implications par rapport à la symbolisation dans le cadre d’une réflexion psychanalytique? Pour le dire d’une manière simple, et donc en laissant de côté un tas de complexités, je formulerai ma proposition ainsi: la psychanalyse a montré que la parole est efficace. L’anthropologie nous rappelle que l’humanité n’a pas attendu la psychanalyse pour produire des discours susceptibles d’opérer des transformations sur l’âme et sur le corps. Les groupes humains se dotent de représentations et de discours qui accomplissent cet acte transformationnel, potentiellement capable de guérir dans le cas de la souffrance. La parole est efficace, sans nul doute. Le problème se pose quant à la manière de penser cette efficacité. Freud s’occupe d’abord de montrer que le symptôme, le rêve, etc., ont un sens. Son positionnement premier face à son objet est celui d’un interprète de sens. De ce fait, l’articulation du discours théorique est comparable à celle d’une sémantique et d’une grammaire: il s’intéresse au sens et à ses règles de production. La question “ comment la parole guérit-elle ? ” se pose ultérieurement. D’ailleurs, c’est une surprise qui lui est révélée par Anna O., qui appellera ce qu’elle faisait avec lui Talking cure. La question de l’opérativité, de la transformation est donc seconde chez Freud. Et des traces de cette secondarité se font sentir dans la difficulté de penser les représentations culturelles (totémisme, mythe, tragédie etc.) comme étant aussi un agir efficace, et non seulement un sens masqué, déformé, truqué. Sa pensée est donc marquée, de manière prédominante, par une visée logico-sémantique. La question pragmatique est présente dans cette pensée, mais secondairement. De telle sorte qu’il lui est difficile d’imaginer que les représentations culturelles puissent, de par elles-mêmes, de par leur énonciation et leur mise en circulation, être agissantes.

Dans ce contexte, la pensée psychanalytique sur le processus de symbolisation, tout en signalant qu’il s’agit d’un processus et non d’une opération langagière, reste partiellement prise par cette visée sémantico-grammaticale. Ce qui empêche, aussi partiellement, de donner à l’interprétation psychanalytique sa portée transformationnelle en la décrivant comme un agir pragmatique qui déclenche des passages et des mutations.
C’est en quoi la symbolisation serait à mon sens un modèle utile pour penser l’interprétation analytique dans son efficacité. Si l’on est d’accord sur l’idée que “ rendre conscient l’inconscient ” n’est pas ce qui guérit, il faut se pencher sur le vecteur pragmatique pour rendre compte de ce que pour Freud venait de surcroît. Les représentations culturelles peuvent être un champ fertile pour avancer dans cette théorisation, dans la mesure où elles permettent de faire le modèle de comment les récits agissent de par leur énonciation même, de par leur mise en circulation, engageant le sujet dans une quête (si j’ose dire) qui ne produit pas seulement du sens, mais des transformations dans sa position subjective, en relation aux autres, à la Loi, à l’échange, etc. C’est en cela que ces représentations culturelles, en tant que symbolisations spontanées (mais y en a-t-il d’autres ?), sont une force, pour reprendre l’image d’Austin, et non seulement des manières de dire ce qu’ailleurs on dit autrement (c’est ce malentendu qui génère l’interprétation comme traduction, visée parfois inévitable et parfois féconde).

Bien entendu, il ne s’agit pas de renoncer à l’épistémologie langagière (pour le dire ainsi). Pour rendre compte de la transformation qu’une symbolisation suscite, il faut en parler. Mais, plus encore, la symbolisation comme processus humain se déroule chez un être parlant et donc mobilise toute la capacité sémiotique du sujet. Il y a substitution, il y a représentation indirecte, il y a signification et sens, il y a tout ce que promeut l’inscription de l’humain dans le langage. Le problème est que lorsqu’on a compris, après l’interprétation, on n’a pas nécessairement rendu compte des raisons pour lesquelles le récit et le discours sont efficaces. Serait-ce pour cela qu’en psychanalyse (et dans d’autres approches du psychique) on comprend beaucoup plus que ce qu’on est capable de modifier? Peut-être la recherche et la réflexion sur les représentations culturelles (entre autres domaines) pourront-elles un jour apporter des contributions à ce sujet. Lévi-Strauss avait déjà signalé cette piste: “ la comparaison avec la psychanalyse nous a permis d’éclairer certains aspects de la cure chamanique. Il n’est pas exclu qu’inversement, l’étude du chamanisme ne soit pas appelée, un jour, à élucider des points restés obscurs dans la théorie de Freud ” 11.

Ouvertures pour une conception pragmatique de la cure analytique : entre literalité et sens

Catsoriadis formule très bien le problème qui nous occupe en disant par exemple que l’analyse est une « activité définie par une visée de transformation et non par une visée de savoir » [[CASTORIADIS, C. : « Epilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science », dans : Les carrefours du labyrinthe 1, Paris, Seuil, 1978, p. 44.]], ou encore que lors d’un procès analytique le savoir intervient d’une manière telle qu’en faire le modèle de sa fonction serait très difficile de sorte qu’on peut approcher la question en disant « l’analyste a surtout besoin de son savoir pour ne pas s’en servir, ou plutôt pour savoir ce qui n’est pas à faire, pour lui accorder le rôle du démon e Socrate : l’injonction négative. Comme pour les équations différentielles, aucune méthode générale ne permet ici de trouver la solution (sans même qu’il soit garanti que la solution existe). La théorie oriente, définit des classes infinies de possibles et d’impossibles, mais ne peut ni prédire ni produire la solution » 12.

Par ailleurs la visée de transformation implique aussi l’analyste, lequel poursuit sa propre autotranformation dans sa pratique.

Il y aurait ainsi un rapport sui generis de l’activité analytique au vers quoi de la transformation : « indéfinissable sans être indéterminé, le ou eneka [le en vue de quoi] ne se laisse pas saisir sous la distinction de la finalité immanente de l’activité et du résultat extérieur a celle-ci » [[CASTORIADIS, C. : Ibidem.]]. Dans ce qui va suivre, je voudrais justement pas définir mais essayer de déterminer les ressorts de l’efficacité analytique dans le processus de transformation, tout en gardant à l’esprit l’aporie que Castoriadis formule si bien entre le singulier, le réel du cas et la nécessité en même temps d’en faire de la théorie, de la métapsychologie a laquelle l’analyse ne peut pas renoncer s’il veut conserver la spécificité de se visé de transformation. Finalement, je veux suivre aussi l’intuition de Castoriadis comme quoi il serait un leurre d’essayer de formaliser le sens pour rendre compte de l’efficacité, démarche aussi vaine que « vider la mer avec une épuisette » 13 d’après lui. La signification ne se laisse pas formaliser sinon dans ces aspects non pertinents, comme dans la poésie, ce qui donne tout son poids a le conception pratico-poiétique de la cure.

Octave Mannoni, analyste doté d’une grande volonté de clarté et de rigueur dans son écriture, se demande aussi quel est le statut de la métapsychologie au cours d’un processus analytique. Il raconte le début d’une analyse ou le patient parle d’une manière assez vide, lui donnant un dossier médical plein de rapports d’examens pour se faire connaître au lieu de parler. Sans avoir s’il pouvait faire quelque chose pour ce sujet et se demandant même s’il n’était pas face à un débile mentale, Mannoni ne perd pas espoir et continue à écouter. A bout d’un mois, à la fin d’une séance particulièrement plate, le patient, la main dans la poignée de la porte, dit : « Je ne pourrais pas continuer à venir ». Ce à quoi Mannoni riposte : « Finalement ! C’est la première fois que vous parlez en votre propre nom » 14. Le patient revient la séance suivante et il se met à parler…dans son propre nom. Ce qui a suivi de l’analyse a transformé la vie de ce sujet au point qu’on appelle Mannoni de l’hôpital qui avait adressé le patient chez lui pour lui demander la « recette miraculeuse ».

L’intervention de Mannoni n’est pas une interprétation, car il ne s’agit pas d’un dévoilement du sens latent de « Je ne pourrais pas continuer à venir ». Dans l’après coup Mannoni pense que son intervention surgit d’un certain savoir, d’une conception théorique, celle du rôle si fondamental de la négation dans la constitution du sujet. Néanmoins, dans le vif du dialogue il ne se produit pas cette réflexion théorique. L’exemple montre alors que c’est avec notre savoir mais sans nous y référer que nous trouvons les interventions dans la clinique. Confronté a des problèmes de la singularité comme ceux qui nous propose la clinique, l’analyste cherche une explication métapsychologique mais il ne la donne pas dans ces termes au patient. Sa tâche consiste à faire que l’intervention soit à la portée su sujet ce qui exige lui enlever son « aspect théorique » [[MANNONI, Octave: op. Cit. p. 29.]]. A mon sens, c’est cette opération qui permettrait que le langage de l’analyse soit « intérieur » à l’esprit du patient comme disais Levi-Strauss, ce qui rendra possible que l’analyse ne soit pas un enseignement mais « une expérience qui va modifier le sujet qui s’implique en elle » [[MANNONI, Octave: Ibidem. ]]. La visée de l’analyse « n’est pas que le patient apprenne quelque chose mais qu’il soit changé » 15. Entre les deux figures limites, celle du patient qui a appris tout ce qu’il pouvait sans avancer beaucoup et celle de celui qui a été profondément transformé par son analyse, sans pouvoir dire ce qu’il a appris, Mannoni préfère la seconde.

L’analyste intervient avec et à partir de ces savoirs, mais il ne dit rien à propos d’eux dans la cure. Ils sont sa carte et se boussole, lui permettant de s’orienter et réagir analytiquement face aux obstacles avec lesquelles le sujet trébuche.

Cette idée n’empêche pas Mannoni de reconnaître que « ce qui reste obscur ou mal connu dans l’analyse ne sont pas ses méthodes ni ses pratiques mais ses résultats » 16. Nous voyons encore apparaître la formulation du besoin d’une théorie pragmatique des effets de l’analyse, tâche face à laquelle, tant pour Mannoni que pour Castoriadis, la théorie du transfert, bien que nécessaire n’est pas suffisante.

Une voie, abondamment examiné par Lacan entre autres, est en lien avec la littéralité du signifiant, le son la lettre. Dans le Séminaire 5, retournant a ce que Freud découvre autour du Witz, il montre que l’essentiel de cette formation de l’inconscient n’est pas du côté de la signification, mais du jeu sur le matériel verbal, sur le signifiant. Mannoni examine cette question, qu’il préfère appeler littéralité. Il part de l’idée que la signification, voire la comprensión, qui fait la paraphrase d’un énoncé quelconque, est, dans un certain sens, la destruction de sa littéralité. Ceci est particulièrement flagrant quand il s’agit de la poésie, laquelle, rappelons-le, est pour Levi-Strauss – qui suit l’intuition de Rimbaud – un paradigme de l’efficacité symbolique en tant qu’elle serait capable de changer le monde.
Mallarmé avait une idée fort intéressante sur la fonction de la littéralité dans la poésie. Il pensait que le poète cherche ses trésors dans le matériel verbal de la langue, dans le son et la littéralité, mais qu’il devait s’arranger secondairement pour que la production semble avoir un sens, afin de rendre acceptable le jeu poétique. Remarquons que le trésor est dans le jeu avec la littéralité et que le sens est secondaire, une promesse. L’effet du poème n’est pas à chercher dans la signification mais dans la littéralité à condition qu’il y ait une promesse de sens sans le délivrer jamais complètement. La question de la promesse de sens apparaît donc comme essentielle a l’efficacité.
Mannoni cite deux vers d’Apollinaire qu’il aime beaucoup :

La foule en tous les sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre.

La question est : ¿Pourquoi aime-t-il ces verses ? Il examine plusieurs possibilités concernant les résonances que lui provoque le poème et d’autres possibles lectures : il s’agirait d’une foule de gens qui se melangent dans une grande ville ; chacun est entouré d’inconnus et ne peu que rêver, ne fut ce que confusément, avec une rencontre amoureuse. C’est ce qui représentent les ombres que se traînent et se mêlent par terre, sans amour malheureusement, car la rue et le lieu de la promiscuité et de la prostitutión, comme l’évoque traînaient.

Mais, même si ce genre de commentaires peut être pertinent, ils détruisent le poème selon Mannoni, « comme une énigme est détruite quand on a trouvé le mot » 17. Freud aussi avait remarqué que une fois établit le sens du Witz du « Famillionaire », on n’arrivait pas pour autant à rendre compte de l’effet du Witz car le sens paraphrasé ne fait pas rire. L’effet se doit à la littéralité du néologisme, donc à la condensación même des matériaux verbaux.

Les analyses classiques référés à l’ars poétique n’arrivent pas non plus à rendre compte de l’effet de la poésie. La littéralité s’impose et au fond on ne sais pas comment est ce que la versification produit son effet.

Mannoni tente d’avancer sur la question disant que le poème opère comme une grimace. Il s’agit d’une intuition qu’il doit à Martin Freud (le fils de Sigmund) qui quand il avait 9 ans, a lis un de ses poèmes à son père. Ils ne sont pas appréciés par Freud qui signifie a son fils qu’ils ont peu de valeur. Le petit Martin s’excuse en disant : « quand je fais de verses ainsi, c’est comme faire des grimaces » 18. Freud aurait pu s’arrêter sur cette phrase, mais pris par un certain classicisme par rapport à la poésie il n’e fait rien. ¿Qu’est ce qui peut implique que la poésie soit une grimace ? ¿Qu’est ce que les grimaces ? Mannoni écrit :

« Les grimaces sont des sortes d’expressions physionomiques mais qui ne sont pas codifiées en tant qu’expressions. La joie, la triste, le dégoût, la surprise, etc. Son des grimaces codifiées, c’est à dire des expressions qui ont un sens. Elles sont métabolizables en mots – je dirais que dans tel cas, c’est la même chose que la prose. Au contraire, on appelle grimaces, a quelque chose a quelque chose qui ressemble à des signes qui ne signifient pas, mais ils ont l’air d’avoir un sens [remarquons qu’on retrouve ici l’idée de promesse de sens].

Ceci nous le retrouvons dans d’autres lieux : les mouvements inutiles, sans signification, avec des pas qui ménent nulle part, sont au fondement de la danse. Le chant et la musique utilisent des possibilités sonores et vocales qui n’ont pas de signification. Sûrement il y a dans le matériel linguistique des possibilités de combinaison qui n’on reçu aucune utilisation codifiée et avec lesquelles on peut jouer. Jean-Martin Freud a peut être mis le doigt sur quelque chose d’important » 19.

Si Freud ne l’a pas compris ainsi se doit a qu’il avait une relation très particulière avec les éléments sans signification. Il ne lui plaisait pas la musique par exemple et il disait ne pas pouvoir apprécié un art qu’il ne pouvait pas comprendre. Diverses données biographiques, certaines apporté par Martin son fils, indiquent même que Freud détestais la musique, trait étrange chez un viennois 20.

L’idée de la poésie comme grimace, comme promese de sens qui ne s’accomplit pas, me semble pertinente pour penser le statut de l’intervention analytyque et son efficacité. Pour l’approfondir, il est utile d’examiner les contributions et les limites des théorie de la métaphore au sein de la filosophie anaytique du langage. Davidson, par exemple dira que la métaphore opére comme un coup de baton, ce qui est trés proche de la notion de grimace. Cet auteur tire des conséquences assez radicales mais fort suggestives par rapport à notre problème. Contre la théorie sémantique de la métaphore (Davidson critique Ricoeur, Black, Barfiel et Richards entre autres), il propose une nouvelle théorie afin de montrer comment la métaphore accomplit ses effets 21.

Aux yeux de Davidson, la théorie sémantique de la métaphore, selon laquelle il y aurait un sens figuré (ou second) à côté du sens littéral, trouve son origine dans l’intérêt de défendre la capacité de la métaphore à dire la vérité 22. Pour l’antiquité classique, par exemple, une phrase comme “ l’esprit de Dieu volait sur l’eau ” était absurde littéralement (et donc fausse), mais tout s’arrangeait si l’on considérait “ voler ” dans un sens “ métaphorique ”. Ceci était tellement évident pour un Saint Augustin par exemple, qu’il ne se posait aucun problème à cet égard. Il recommandait d’ailleurs la connaissance des tropes et des figures à ceux qui voulaient étudier les Ecritures. En passant, remarquons que pour Freud le problème du rêve et du symptôme se pose dans les mêmes termes: la narration du rêve est absurde (fréquemment) si l’on considère littéralement son texte, mais il ne l’est nullement si l’on accède à son contenu latent (signification seconde). Il en va de même pour le symptôme hystérique: l’hystérique ne ment pas, comme le pensaient les neurologues de l’époque ; il y a une vérité (historique parfois, psychique en tout cas) qui s’énonce à travers le symptôme. Il s’agit bien d’une articulation sémantique du problème.

Davidson, à la suite d’Austin (et de Wittgenstein bien sûr) met l’accent sur la pragmatique. La métaphore appartient -selon lui- exclusivement (voilà sa radicalité) au domaine de l’usage. Il n’existerait aucun sens ou signification particuliers aux expressions métaphoriques -aucun signifié ou contenu cognitif implicite suggéré sous le sens littéral- mais elles accompliraient leur prodige moyennant le pur sens littéral des expressions qu’elles forment. En pasant, il comvient de remarquer c’est ce que Freud avait dit par rapport à la symbolisation dans le symptôme hystérique. Il s’agit d’une approche qui a été tyrés negligée pendant longtemps jusqu’à que Lacan la face revivre. Pour Freud des ex`ressions comme « coup dans le coeur » ou « ce que tu me dit c’est commme une gifle » sont prises a la lettre par l’hystérique , « comme s’il s’agissait d’un événement reél » – dit Freud – particulièrement dnas le symptôme conversif donnant lieur à des malaises cardiaques et de sparalysies faciales par exemple. Ceci fait dire a Freud que « l’hystérique ne prends pas de liberté avecs les mots ». A ce stade de la réflexion freudienne « le mécanisme de symbolisation implique la mise en acte du sens littéral d’une expression figurée » 23. Dans la même lignée de pensé se tropuve l’idée selon laquelle le rêve a la structure d’un rebus, sorte d’écriture iconographique que, plus qu’un interprétation, reclame une lecture dans sa literalité signifiante.

Mais retournons à Davidson. Puisque si on prend les métaphores dans leur sens littéral, elles sont fausses, absurdes, paradoxales, contradictoires ou impossibles, il faudrait alors admettre qu’il s’agit d’expressions qui n’ont pas pour but de signifier quelque chose. Elles ne sont ni des assertions ni des propositions. Elles seraient des outils linguistiques qui, à travers leur sens littéral, agissent sur notre imagination en attirant notre attention, en nous faisant remarquer un fait, à l’instar d’un coup de bâton.
Cela dit, il faut savoir que Davidson ne conteste pas que la métaphore puisse être suggestive. Il accepte comme un lieu commun le fait que la métaphore produit et suggère une certaine conception de son objet plus qu’elle ne l’exprime directement. “ Je n’ai rien à discuter avec ces descriptions des effets de la métaphore ” dit-il, mais il critique la théorie des modalités par lesquelles la métaphore produit de tels effets. Il ne pense pas que la métaphore réalise son travail à travers un signifié spécial qui lui serait propre, une sorte de contenu cognitif spécifique.

Sur le fait, amplement accepté, qu’il est très difficile, voire impossible, de paraphraser une métaphore, Davidson trouve un appui à son argumentation. Reprenons l’exemple évoqué plus haut. Quelqu’un veut dire que l’aide économique au tiers-monde a pour but de diminuer les dangers de l’explosion démographique. Au lieu de le dire ainsi, il utilise la métaphore: “ l’aide économique au tiers monde est une pilule contraceptive ”. Pour celui qui entend cette phrase, il serait difficile de dire s’il s’agit seulement d’une référence aux problèmes de l’explosion démographique car il y existe d’autres possibilités. Quelqu’un pourrait comprendre que le locuteur fait allusion à l’intérêt des pays industrialisés pour maintenir, ou réduire, les niveaux d’industrialisation du tiers monde. Il aurait ainsi saisi le côté “ stérilisation du tiers-monde ” qu’invoque la métaphore de la pilule. Et ainsi de suite. Le locuteur, lui-même, bien qu’ayant utilisé la métaphore pour exprimer l’idée en rapport avec l’explosion démographique, devrait reconnaître que la métaphore dit plus que ce que ne dirait l’expression littérale de sa pensée. Donc, une chose est dite pour en dire une autre, pour suggérer gracieusement ou ironiquement une pensée, mais dès l’instant où j’énonce la métaphore, la pensée est dépassée, un excès se produit, et il est très dur de soutenir qu’on peut paraphraser littéralement ce qui a été dit: le sens métaphorique résiste à se transformer en signifié littéral. Davidson conclut que la difficulté de la paraphrase d’une métaphore ne tient pas tant à une trop grande richesse de sens mais au fait “ qu’il n’y a rien à paraphraser ”24.

Mais, tout compte fait, les défenseurs de la théorie sémantique s’opposent aussi à la possibilité de traduire la métaphore. Par théorie sémantique, Ricoeur entend une recherche sur la capacité de la métaphore à fournir de l’information intraduisible, et donc sur la capacité de la métaphore à offrir une connaissance profonde et vraie de la réalité [[RICOEUR, Paul: La métaphore vivante, Seuil (points), Paris, 1997.]]. Dès lors, si Davidson accepte de caractériser les effets de la métaphore comme sa capacité à produire ou à suggérer une certaine vision de son objet, plutôt que de la dire explicitement, pourquoi ne pas donner tout simplement à ses effets le nom de significations? S’agit-il d’une querelle terminologique? Pourquoi ne pas appeler “ capacité de signifier ” cette capacité que la métaphore a de suggérer une certaine vision de son objet? Davidson s’oppose à ce projet car il pense que derrière la théorie sémantique se trouve une autre théorie: selon laquelle la métaphore contient un élément cognitif, qu’elle seule pourrait transmettre, et que cet élément devrait être saisi pour comprendre la métaphore. Il me semble que ce n’est pas tant le “ sens métaphorique ” que Davidson critique, mais surtout le “ contenu cognitif ”. C’est ainsi qu’il comprend cette idée de Ricoeur pour qui la métaphore est une source capable de produire une connaissance profonde et vraie de la réalité. Il lui semble que cette théorie se cache derrière la théorie sémantique, d’où il estime que le sens d’une métaphore correspond, avant tout, à ses effets: “ Je m’appuie sur la distinction entre ce que les mots signifient et ce que leurs usages permettent de faire. Je pense que la métaphore appartient exclusivement au domaine de l’usage ” [[DAVIDSON, D. : ibid.]]. Sa “ magie ” n’est pas la question de la signification des mots, ni du sens de la phrase, ni non plus un sens second, mais un trait du contexte où elle est employée, c’est-à-dire un trait de sa pragmatique. “ Il ne sert à rien, pour expliquer comment les mots fonctionnent dans les métaphores, de postuler des significations métaphoriques ou figuratives, ou des sortes de vérités poétiques ou métaphoriques d’un type spécial. Ces notions n’expliquent pas la métaphore, c’est plutôt la métaphore qui les explique ”25. Remarquons la proximité avec Manonni qui dissais que la paraphrase detruit la poésie ou est une défense contre elle.

Mais si on suivait la théorie de Davidson, ça reviendrais au même les mots utilizés dans la métaphore ou dans l’intervention analytique. On pourrais même arriver a l’extréme de penser que nous pourrions intervenir dans une autre langue. Ou alors, selon un ironie de Mannoni, nous pourrions lire des poémes dans une langue qui nous est incconu, si tout ce qui ineterésee est l’effet de la litéralité. Encore ici les poétes, plus que les philosophes, orientent la réfléxion psychanalytique. Rappellons nous que pour Mallarmé, en plus du jeu de langage, la poésie doit prometre du sens à l’horizon. Tout comme dans l’intervention analytique cette promesse de sens, parfois incertainne ou floue, est essentielle pour l’éfficacité. L’effet analytique se rapporte alors à une promese de donner un sens sans le donner jamais complètement. Il sagit d’une promesse non accomplie, car imposible, mais sans telle promesse il n’ya a pas d’efficacité.

Voyons ceci dans le Witz. Le mot d’esprit nécessite le rire de l’autre. Il s’agit bien d’un effet pragmatique. Mais pourrait-on dire -comme peut-être le ferait Davidson- qu’il suffit de rire pour que l’esprit se réalise? A mon sens, quand l’autre rit pour ne pas dévoiler qu’il n’a pas compris, par honte de paraître bête, et qu’on s’aperçoit de l’imposture de son rire, il n’y a pas de réalisation de l’esprit, car il n’y a pas satisfaction: l’autre n’est pas un vrai complice de mon désir quand il rit sans comprendre. C’est une tout autre afaire que cette compréhensioon ne suffise pas a rendre compte de l’effet du Witz ou que ce quio fair rire soit au delà de ce quio a éte compris, comme quelaue chose toujours incompris. Daccord, mais mais l’importatnt est qu’il s’opere la promeses de sens, sorte d’ilusion esthètique, mais décisive pour la production de l’acteanalityque et l’effet pragmatique. C’est là a mon sens l’interêt de la propòsition de Lacan d’exerser l’intervention au sein d’une cure plus comme une poétique que comme une explication. Il ne s’agit de banalizer le dialogue aux pur jeu de mots, mais de faire emerger de promeses de sens necessaires, que la dilotution du trasfert rendra caduques par aprés.

Par conséquent, les niveaux sémantique et pragmatique s’imbriquent mutuellement pour constituer l’efficacité symbolique, mais la thèorie peut les distinguer. C’est là où la psychanalyse se démarque de la philosophie analytique, car elle introduit une finalité au “ jeu de langage ”. Pour Wittgenstein par exemple, le jeu de langage est autonome parce que, à la différence d’autres pratiques, il ne se définit pas par des fins; il n’est pas un agencement destiné à remplir une fin déterminée. Autrement dit, Wittgenstein fait l’économie d’un référentiel, externe ou interne. Pour Freud en revanche, le jeu du langage continue de graviter autour d’un référentiel, l’inconscient, dont la métapsychologie fera la théorie [[Cfr. la comparaison entre Wittgentein et Freud, dans: ASSOUN, Paul-Laurent: Freud et Wittgenstein, PUF (Quadrige), Paris, 1988, chap. III.]]. Sur ce point la pensée de Castoriadis est d’une valeur certaine pour la Psychanalyse puisqu’il montre de mil et une manières, que son projet de transformation ne peu s’accomplir « que dans un processus d’élucidation de son objet et d’elle même en termes universels – à savoir, avec le projet de constitution d’une théorie. Dès lors, tout en renouvelant radicalement le discours de l’âme, elle renouvelle aussi les apories » 26. Car c’est justement le souci metapsychologique qui différentie la démarche – et pas seulemet la personne ou le rôle social- de l’analyste de celle du chaman, même si leur filiation historique est idéniable.

  1. Psychanalyste et Docteur en Psychologie. Professeur aux Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles. Email : garcia@fusl.ac.be ↩︎
  2. Ibid. ↩︎
  3. Ibid. ↩︎
  4. Ibid. ↩︎
  5. Ibid. ↩︎
  6. Ibid. (Je souligne). ↩︎
  7. AUGE, Marc: Symbole, Fonction, Histoire: les interrogations de l’anthropologie, Hachette, Paris, 1979. ↩︎
  8. Malinowsky, B. , cité par: ADAM, Jean Michel: “ Aspects du récit en anthropologie ”, dans: ADAM, J. M. et al: Le discours anthropologique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1990, p. 256. ↩︎
  9. Malinowski, B. , dans: ADAM J. M. op.cit. p.258. ↩︎
  10. Pierre Bourdieu a souligné que la réflexion austinienne ne peut pas se cantonner dans la seule linguistique. C’est une construction de l’objet “ discours ” qui appelle l’ensemble des sciences humaines. La force linguistique -comme Bourdieu le dit paraphrasant Austin- n’est pas définie par les seules compétences linguistiques en présence, “ …et le poids des différents agents dépend de leur capital symbolique, c’est-à-dire de la reconnaissance, institutionnalisée ou non, qu’ils reçoivent d’un groupe: l’imposition symbolique, cette sorte d’efficacité magique que l’ordre ou le mot d’ordre, mais aussi le discours rituel ou la simple injonction, ou encore la menace ou l’insulte, prétendent à exercer, ne peut fonctionner que pour autant que sont réunies des conditions sociales qui sont tout à fait extérieures à la logique proprement linguistique du discours ” (BOURDIEU, Pierre: Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1982, p.68) ↩︎
  11. LEVI-STRAUSS, op. cit. p.231. ↩︎
  12. CASTORIADIS, C. : op. cit. p. 45. ↩︎
  13. CASTORIADIS, C. : op. cit. p.48. ↩︎
  14. MANNONI, Octave: « Le divan de Procuste », dans : MANNONI, Maud (comp) : Le divan de Procuste, Paris, Denoël, 1987, p25-26. ↩︎
  15. MANNONI, Octave: Ibidem. ↩︎
  16. MANNONI, Octave: Ibidem. ↩︎
  17. MANNONI, Octave: « La litéralité », dans : Un commencement qui n’en finit pas, Paris, Seuil, 1980, p.108. ↩︎
  18. Cité par Mannoni, O: op. cit. p.111. ↩︎
  19. MANNONI, Octave: « La litéralité », dans : Un commencement qui n’en finit pas, Paris, Seuil, 1980, p.112. ↩︎
  20. CAIN J. et CAIN, A. : “Freud, absolument pas musicien”, dans: CAIN, J., ROSOLATE, G. Et al : Psychanalyse et musique, Paris, Les Belles Lettres, 1982. ↩︎
  21. Pour une critique de la position de Davidson, voir: RICOEUR, Paul: Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990, « Troisième étude: une sémantique de l’action sans agent », pp.55-72. ↩︎
  22. DAVIDSON, Donald: (1967) “ Vérité et Signification ”, dans: Enquêtes sur la vérité et l’interprétation, Jacqueline Chambon, Nîmes, 1993. ↩︎
  23. FORESTER, J. : Le langage aux origines de la Psychanalyse, Paris, Gallimard, 1980, p.127. ↩︎
  24. DAVIDSON, D. : op. cit. p.351. ↩︎
  25. op.cit.p.352 ↩︎
  26. CASTORIADIS, C. : « Epilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science », dans : Les carrefours du labyrinthe 1, Paris, Seuil, 1978, p. 46. ↩︎

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