UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE DANS LE CHAMP DES SCIENCES HUMAINES

UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE DANS LE CHAMP DES SCIENCES HUMAINES

ROBERT STEICHEN .

Première version (longue). La deuxième version (courte) est parue sous le titre « L’attitude prospective en anthropologie » dans Recherches Sociologiques, Louvain-la-Neuve, vol XXXII, 1, 2001, 55-75.

1. Orientation et attitude prospective.

La présente réflexion tentera de répondre à la question abordée dans cette publication collective: quelles sont les attentes des chercheurs en sciences humaines à l’égard d’une anthropologie qui serait prospective? En termes plus précis, quel est de notre point de vue particulier, disciplinaire et individuel, le sens d’une anthropologie qui se veut « prospective »?
De quoi s’agit-il? D’une « nouvelle » discipline ou sous-discipline qui viendrait s’ajouter aux multiples autres qui surpeuplent déja le vaste et hétéroclite capharnaum de l’anthropologie? Ou une réorientation plus ou moins cohérente à visée fédératrice des recherches sur le développement et les transformations à tendance innovatrice et/ou prédictive ?
On n’en est pas là. La preuve: la publication à laquelle nous contribuons ici a un caractère purement exploratoire. C’est d’abord et avant tout une idée lancée pour en produire d’autres. Un aiguillon pour la réfléxion. Du moins, c’est ainsi que nous avons reçu l’invitation.
Pour amorcer notre contribution à cette réflexion collégiale, nous partons de l’intention d’examiner la présence de ce que nous appelons une « attitude prospective » dans le champ de l’anthropologie. Nous distinguons cette « attitude », en tant qu’intention consciente des chercheurs affirmée en connaissance de cause, de « l’orientation » prospective qui désigne la présence irréfléchie ou inconsciente d’une telle direction dans leurs discours. On peut postuler que toutes les recherches scientifiques présentent à l’un ou l’autre moment un telle orientation discursive mais que l’attitude subjective est moins évidente car elle engage son auteur, et reste d’autant plus exceptionnelle que les discours scientifiques banissent une telle attitude au nom de la règle de l’objectivité du chercheur.

Le qualificatif « prospectif-ive » appelle au moins deux connotations: celle de la prospection et celle de la prospective.
La prospection concerne l’exploration d’un domaine dans un but extensif: elle livre accès à la recherche de richesses nouvelles, l’étude de régions inconnues pour y découvrir des objets d’intérêt, la recherche de clients éventuels ou, en général, de nouvelles possibilités. Elle sort des sentiers battus et des ornières des habitudes.
La prospective concerne l’avenir. L’orientation prospective marque l’ensemble des recherches sur le futur des collectivités et des individus dans le but d’élaborer des modèles prévisionnels, prédictifs, anticipatifs. Elle est contraire dans son mouvement à la rétrospective, mais elle ne lui est pas opposée: en effet, la prospection s’étaye sur la retrospection qui lui fournit ses fondements. Son aboutissement est l’ouverture de nouvelles perspectives ou du moins l’élargissement des perspectives existantes.
Complétons en conséquence notre définition de l’attitude prospective: c’est l’acte réfléchi qui oriente les études d’un objet de manière à élargir et ouvrir des perspectives à la fois en extension dans l’espace des domaines du savoir et en intention dans le temps des bilans et des projets.
A première vue, l’orientation prospective est présente dans les différents moments et courants constitutifs du « dépot historique » de l’anthropologie. Il faut une étude plus approfondie pour y déceler l’émergence d’attitudes prospectives critiques. Les divers courants de l’anthropologie comportent des indices plus ou moins évidents d’attitudes prospectives masquées par les préoccupations et valeurs des époques, des promoteurs et des maitres de la discipline répérables dans l’orientation générale de leurs textes

Une rapide évocation des grands courants d’orientation suffira comme rappel.

L’anthropologie physique née de la médecine comportait d’emblée une double visée. L’étude morphologique, l’anthropométrie, la craniométrie, etc. ont été affectés à la paléoantropologie dans une optique rétrospective et à l’étude comparée des races et individus dans une visée prospective. L’anthropologie physique a même connu une carrière « futuriste » comme instrument de prévention de l’ordre social. Il s’agissait alors de contrôler les populations en fichant non seulement les individus fauteurs de troubles mais encore ceux qui étaient susceptibles de le devenir. Les instruments de mesure de l’anthropologie physique ont servi à objectiver les individus porteurs de « tares physiques » ou « stigmates » d’une « dégénerescence morale » à surveiller de près. L’anthropologie physique était ainsi appelée à contribuer à la tâche des polices de maintien de l’ordre social sur base de mesures préventives. La littérature de l’époque y voyait un facteur de progrès social et de civilisation. (Foucault M., 1975)

L’orientation prospective se retrouve bien entendu dans les diverses orientations en ethnologie et en anthropologie sociale et culturelle. Une étude comparative entre ces orientations du point de vue de leur conception du de l’évolution dans les cultures (tant du point de vue du dynamisme que des variations) se retrouve dans l’ouvrage classique de Herskovits. C’est sur base des différences de conception à ces sujets que les courants se sont différenciés entre évolutionistes, diffusionistes et fonctionalistes (Herskovits, 1952, 156-343).
Sans entrer dans les détails, il suffit de rappeler l’hypothèse de Morgan relative à la progression du développement des cultures passant par les stades de la sauvagerie, de la barbarie et de la civilisation. A sa suite Tylor, Pitt-Rivers, Bachhofen, Wundt, Comte, Frazer, Radcliffe-Brown, Spencer, Westermarck, et d’autres ont exploré cette hypothèse en se fondant sur le triple postulat de l’unité psychique humaine, de la pertinence de la méthode comparative et de la notion de survivance des coutumes. L’idée de progrès véhiculé par cette anthropologie a donné lieu aux critiques que l’on sait. Le regard rétrospectif sur « les archives vivantes de l’humanité » était correlé à la valorisation ehnocentrique des progrès de la culture euroaméricaine. C’est dans la thèse évolutionniste que les administrations coloniales ont puisé leurs arguments avouables et justifications pour imposer aux colonisés les rigueurs et lourdeurs d’une « oeuvre civilisatrice ». De plus, la description ethnologique de degrés de développement chez les « primitifs » a causé la différenciation administrative entre tribus « évoluées et retardées », et l’instauration de discriminations entrainant des rivalités aux effets catastrophiques durables. Ce qui amène quelques auteurs à qualifier cette anthropologie d' »impérialiste » et « coloniale »(Copans J. 1975, Nshimirimana L. 1998).
La critique des jugements de valeurs en termes de supériorité et infériorité culturelles est venue de l’intérieur de l’anthropologie des tenants du courant diffusionniste représenté par Boas, Kroeber, Lowie, Sapir et d’autres. Ce courant critique les postulats évolutionistes sur base le l’impossibilité de distinction de l’inné et de l’acquis dans le psychisme humain, sur l’impossibilité de comparer valablement des faits culturels décontextualisés, et sur base du péché mortel de l’ethnocentrisme. Le diffusionisme propose un relativisme culturel qui reconstruit l’histoire à partir de modèles de migration et d’emprunts d’éléments culturels tant au niveau mondial que dans les aires culturelles circonscrites.
Le diffusionisme a été à son tour critiqué par l’école fonctionnaliste de Malinowski, MÜhlmann, Thurnwald et (quoiqu’il s’en défende) Radcliffe-Brown. Ils critiquent la reconstruction historique des peuples primitifs et privilégient l’intégrationisme. Pour eux, le but essentiel de l’anthropologie est d’analyser les relations réciproques entre les institutions, les rapports entre les individus d’un groupe cohérent et les phénomènes d’acculturation. C’est une perspective qu’on peut qualifier de systémique.
Les options en matière d’orientation prospective de l’anthropologie « culturaliste » de R. Linton, A. Kardiner, M. Mead, R. Benedikt est sensible dans leur élaboration de modèles de personnalités culturelles. Elle a été autant critiquée par les psychologues que par les sociologues pour l’aboutissement à la construction de types et stéréotypes rigides. Leur évaluation des « patterns culturels » se réfère à l’ échelle des valeurs de leur nation d’appartenance et ne réussit pas à se libérer des idéaux de la politique d’influence nord-américaine dans l’aire du Pacifique.
L’orientation prospective, et a fortiori l’attitude prospective semblent suspendues dans l’anthropologie structurale. Il n’est pas question d’entrer ici dans le débat ouvert autour du structuralisme de Levi-Strauss. Est -il vrai que le privilège accordé à un lecture synchronique des structures élémentaires des institutions et des mythes empêche une lecture diachronique qui serait la condition élémentaire d’une ouverture prospective? Est-il vrai qu’une attitude, définie comme acte subjectif, serait inconcevable du simple fait que le structuralisme aurait évacué le sujet de son système de pensée? Compte tenu des références de la théorie psychanalytique lacanienne au structuralisme, nous ne nous précipiterons pas trop vite dans de telles conclusions. La synchronie n’exclut pas la diachronie ni la dimension prospective articulée à la rétrospective. Par ailleurs, les considérations émises par C. Levi-Strauss à l’égard de l’individu pulsionnel et émotionnel en confondent naivement émotions et pulsions n’annulent nullement, bien au contraire, la formation du sujet au sens psychanalytique du terme en tant qu’il est l’effet de l’inconscient « structuré comme un langage » (Lacan J., 1966, p.868.) Le structuralisme a complètement renversé la perspective de la recherche anthropologique par rapport au culturalisme. Là où les culturalistes prospectaient l’éventail des variations et finissaient par se perdre dans une multiplicité d’explications particulières, Levi-Strauss a ramené l’organisation complexe de la parenté à un principe unique et élémentaire dont il a fait dériver l’infinie variété des particularismes. Lacan y a pris sa leçon: ce qu’il appelle « fonction symbolique » est le principe invariant unique qui organise la multiplicité des situations particulières à chaque sujet.
L’anthropologie sociale et politique de G. Balandier se donne comme spécificité l’étude des changements sociaux en Afrique sous l’effet des transformations des rapports de forces et changements politiques de l’époque post coloniale. Il adopte une attitude novatrice en réaction contre ce qu’il appelle le « fixisme » de l’anthropologie structurale de Levi-Strauss et « l’éternalisme » ( par référence à la figure de l’éternel Dogon) de l’anthropologie mythologique de Griaule. En faisant l’ éloge du mouvement dans le social, Balandier opte pour une attitude résolument prospective au sens d’un privilège accordé aux évènements transformateurs par rapports aux ordres conservateurs (Balandier G., 1955, 1969, 1974, 1988). Dans une toute autre perspective, contestée par Balandier mais adoptée par beaucoup d’autres chercheurs des sciences humaines, l’anthropologie sociale de L. Dumont, a engagé l’interprétation des sociétés dans une orientation prospective en termes d’évolution idéologique passant du holisme des sociétés traditionnelles à l’individualisme des sociétés modernes. On peut certes démontrer que cette interprétation très globale manque de nuances et ne rend que peu compte des multiples situations d’imbrication d’idéologie holiste et individualiste.
Délaissant les grandes perspectives générales, les chercheurs de l’horizon de l’ anthropologie du développement privilégient la recherche ciblée sur les transformations locales observées à plus long terme. Retournant fréquement sur leur terrain, ces chercheurs finissent par devenir des agents actifs dans les processus de transformation qu’ils décrivent. Ils sont obligés de s’observer comme inclus dans le système étudié, de tenir compte de leurs relations concrètes avec les agents du terrain et de mettre en question leurs engagements sur place ( en tant que témoins, collaborateurs et/ou conseillers) et à distance (rendant compte de leur témoignage par les textes et communications). (Olivier de Sardan J.P., 1995; Laurent P.J., 1998).
Tout aussi engagés dans une attitude prospective qui prend sous la loupe l’engagement des auteurs anthropologues dans les processus de construction de la réalité sont les chercheurs des courants de l’anthropologie post-moderne, qu’il s’agisse de l’anthropologie interprétative (Geertz C. 1986, 1988, Singleton M., 1998) ou constructiviste (Affergan Fr. 1987, 1999; Kilani, M., 1995, 1994, ). Ces chercheurs interrogent activement le discours anthropologique à partir de la mise en évidence des processus de la construction de l’objet anthropologique suite à un regard rétrospectif critique sur les processus de textualisation classiques. On trouve la des propositions pour une attitude prospective critique. La vocation de l’anthropologie n’est pas de réduire l’étrangeté des sociétes à des structures invariantes mais de procéder à une traduction adéquate d’une culture dans l’autre, et cela en privilégiant le sens commun, compréhensible pour tous à l’exclusion du jargon technique. Plus récemment, un chercheur propose de prospecter les relations intersubjectives affectives entre les chercheurs et leurs informateurs ainsi que d’étudier les processus de construction de l’identité personnelle des chercheurs dans et par leur travail de terrain (Coffey A., 1999). Cette perspective adopte des attitudes de plus en plus introspectives et interprétatives proches de l’observation clinique en psychologie et de la pratique psychanalytique. Les questions qui se posent sont celles de la construction de la relation transférentielle, de l’interprétation dans le cadre du transfert et de l’inclusion systématique de l’interprétation du transfert dans les processus de production du savoir, étant entendu que le savoir en question est celui élaboré par l’informateur au sujet de lui-même. Il n’est donc pas étonnant que ces nouvelles perspectives qui interrogent les rapports entre le terrain et le texte intéressent très fort les cliniciens soucieux de la dimension anthropologique de leurs pratiques.
Terminons en évoquant les récentes considérations de quelques chercheurs dans le domaine de l’anthropologie des productions culturelles concernant l’avenir de la création et du traitement des objets qui condensent les fonctions de référents identitaires et de productions sociales d’intérêt esthétique et ethnologique (Price S., 1989). On en trouve des témoignages dans les commentaires suscités chez quelques anthropologues par la toute récente intronisation des « arts premiers » au musée du Louvre (Degli M., Mauzé M., 2000), qui ouvrent la question de l’avenir des arts des sociétés « premières » qui s’obstinent à résister contre la globalisation, et produisent des oeuvres qui font office de moyens d’affirmation de leur identité ethnique. Le paradoxe actuel est que l’efficacité de cette affirmation repose largement sur la médiatisation de cet art ethnique par les techniques les plus performantes de la globalisation qui les menace de disparition. Habitués à communiquer avec l’autre monde par l’intermédiaire des entités invisibles qui s’agitent dans les reseaux des mythes, nos informateurs « premiers » ne sont pas les derniers à adopter les ordinateurs qui leur permettent de communiquer avec les autres du monde par l’intérmédiaire des entités virtuelles qui s’agitent dans les circuits du Web. Cela ouvre (encore) des nouvelles perspectives de recherches: la perénisation du traditionnel par la technologie de pointe (post)-post-moderne.

Ces quelques évocations trop schématiques et même caricaturales, indiquent que l’orientation prospective et l’attitude prospective confondues sont à l’oeuvre dans les divers secteurs du champ anthropologique depuis ses débuts. Autant d’écoles que de conceptions de la variété et du changement dans les cultures. Aucune culture vivante n’est statique, il n’y que des rythmes de changements différents. Toute anthropologie est donc nécessairement prospective. On peut dire que les divers courants se distinguent et s’opposent en grande partie par leur différence de conception prospective. Les uns mettent l’accent sur une actualité critiquée en fonction d’un passé ou archaîsme valorisé. D’autres chantent l’évolution ou le développement en référence à un avenir idéalisé par rapport à un passé décrié. D’autres s’en tiennent à une lecture en extension de situations actuelles lues comme systèmes structurés ou décrivent les invariants du système qui lui confèrent identité et cohérence. D’autres encore décrivent les transformations et les rapports entre principes d’ordre et de désordre. Chacun y projette ses propres relations à l’espace et au temps vécus, idéalisés ou réinterprétés.
Ce raccourci suffit aussi pour indiquer la complexité des tenants et aboutissants de l’orientation discursive et de l’attitude subjective. Les attitudes ne sont pas nécessairement explicites et opèrent sous le couvert des orientations des discours. Les effets escomptés ou attendus ne sont pas toujours explicitement annoncés, soit que les intentions qui y président sont méconnues, soit qu’elles sont inavouables. Les discours en question se prêtent d’autant plus aisément aux procès d’intention que les auteurs ne sont pas là pour se justifier.
Ce bref rappel indique aussi que des attitudes prospectives assumées, éclairées et critiquées ne se manifestent que depuis un quart de siècle environ. Leur émergence est correlée à l’implication croissante des auteurs dans leur discours. Tant que les auteurs s’effacaient derrière leurs textes au nom de l’objectivité scientifique, leur attitude subjective pouvait être masquée – mais pas toujours- par l’orientation de leur discours.
L’attitude prospective, prise au sens psychologique du terme en tant qu’ attitude mentale , impliquerait une prise de position consciente, volontaire, éclairée et déclarée. Mais elle n’en reste pas moins sujette aux effets de l’inconscient et donc aux logiques du désir inconscient. Cette participation de l’inconscient à l’attitude ne réduit d’aucune manière la responsabilité du sujet. Le sujet est d’autant plus responsable de son inconscient, qu’il lui est possible d’en saisir les effets répétitifs et de se construire un savoir suffisant de ses fantasmes pour y mettre des limites. L’attitude prospective implique une éthique du chercheur, dont la moindre des tâches est d’arriver à gerer sa « jouissance », c’est à dire l’excitation que lui procure l’objet qu’il construit dans son travail. Ne fusse que parcequ’il y a évidement plus qu’un air de famille entre l’objet que le chercheur s’acharne à faire apparaitre dans la réalité et l’objet de son fantasme inconscient. Or, le scénario de ce fantasme n’est pas social et encore moins philanthropique. Bien sur, une éthique ne garantit pas le bien. L’éthique de Kant est suffisament proche de celle de Sade pour que l’attitude prospective, même dûment éclairée, même éthiquement fondée, ne puisse pas être considérée comme vertueuse ou recommandable d’emblée. Elle n’est pas au audessus de tout soupçon. En effet, comme nous aurons l’occasion de le rappeler plus loin, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
La prise de conscience des effets du discours correlée à l’émergence de l’attitude prospective en anthropologie a joué un rôle nullement négligeable dans la genèse d’une mauvaise conscience et de culpabilité dans ce champ. Il en résulte les actuelles recommandations relatives à une plus grande attention aux acteurs concrets du terrain. Il s’agit de directives relatives aux relations de réciprocité entre chercheurs et informateurs, à la prise en considération des informateurs comme co-auteurs et les propositions de retour des textes au terrain pour leur critique par les informateurs. En résultent aussi les questions relatives à l’engagement des anthropologues dans l’histoire sociale et politique des sociétés étudiées et l’appel lancé à leur responsabilité et ethique (Olivier de Sardan J.P.,. 1995, Agier M., 1997). Dans le même ordre d’idées entre la prise en considération des « savoirs sauvages » non en qualité d’objets des savoirs ethnologiques reconstruits par les sciences occidentales (suspectes d’ethnocentrisme), mais comme devant prétendre dans l’avenir au statut d’ethnosciences locales originales (Scheps R. 1993). Le débat est ouvert entre les tenants du « regard éloigné » comme étant le seul garant de l’objectivité et les défenseurs d’une anthropologie de l’avenir qui non seulement « implique » les chercheurs mais leur assigne comme nouvel objet privilégié la culture contemporaine à laquelle ils appartiennent (Augé M. 1994).

Ces quelques considérations montrent l’ intérêt d’une mise en relief des orientations prospectives largement présentes et des attitudes prospectives émergentes dans le vaste champ des anthropologies.

2. De la clinique à l’anthropologie clinique.

Pour sortir des constats généraux, et quelque peu « approfondir » cette notion d’attitude prospective, il nous faut préciser notre point de vue particulier sur cette question. Il est en effet impossible de parler en connaissance de cause de l’ensemble du champ des anthropologies. Et même si par miracle quelqu’un disposait d’une telle connaissance encyclopédique, il ne lui serait pas possible de traiter de tous les points de vue en même temps et avec la même objectivité. Comme nous ne prétendons pas à une telle compétence, nous nous en tenons au point de vue dont nous avons quelque expérience.
C’est le point de vue d’un chercheur et praticien en « sciences humaines cliniques ». Notre réflexion par d’une trajectoire clinique dans laquelle se succèdent et s’articulent les pratiques médicale, psychiatrique, psycho-thérapeutique et psychanalytique. Cette recherche clinique est poursuivie et transmise dans un contexte universitaire pluridisciplinaire. Elle est doublé de recherches de terrain sur des pratiques de guérison non-occidentales. L’ensemble contribue à la construction collégiale d’une anthropologie clinique.

Si cette démarche se spécifie par son objet « la clinique », comme point de départ et d’aboutissement, il s’agit de le définir.
L’étymologie grecque suggère que le terme désigne « ce qui a un rapport avec le fait de s’incliner et/ou de se coucher, d’être couché sur un lit ».
Par « la » clinique nous entendons l’ensemble des attitudes attentives, soucieuses, et interrogatives de ceux qui se couchent et de ceux qui s’inclinent sur ceux qui sont couchés. Les raisons qu’ont les individus pour se coucher sont diverses: parcequ’ils sont tombés, blessés, malades ou faibles, ou encore parcequ’ils veulent se reposer, réflechir, songer, se détendre, dormir, rêver, ou s’évader dans un autre monde. Ou encore, mais cette fois ci avec un partenaire, pour l’enlacer intimement.

Les attitudes en question comportent d’abord le souci, l’inquiétude et l’interrogation. Ensuite, la clinique comporte l’ensemble des tentatives de produire des représentations explicatives et compréhensives du mal éventuel et de sa cause. Enfin, la clinique comporte l’ensemble des conduites qui visent à soulager, circonscrire, réduire, éliminer ou prévenir le mal.
Ainsi décrit, le « clinicien » est en premier lieu celui qui s’interroge sur son propre mal et investigue les moyens de s’en proteger, de s’en accomoder ou de s’en sortir. Ensuite, plus tard, entre éventuellement en scène un clinicien « en titre » convoqué au chevet du premier. Si cette rencontre se réalise, la clinique désigne la concertation entre les deux cliniciens (celui qui est impliqué et celui qui est titularisé) associés dans la triple tache du questionnement, de la modélisation et du traitement. Cette définition remet en question l’ampleur qu’a pris dans la conception occidentale de la clinique le rôle du clinicien attitré par rapport au patient. Au plus le porteur du titre est devenu un « savant », au plus son savoir est devenu une science, au plus elle est devenue une expertise, au plus le porteur du mal a été expulsé de sa compétence clinique et a été confiné dans le rôle passif du malade qui subit. La relation clinicien-malade est devenue une relation asymétrique, une relation de pouvoir fondé sur la supériorité du savoir de l’expert sur le savoir du patient, qui culmine dans le paradigme de la relation entre le médecin et son patient. Mais ce n’est pas le seul modèle clinique. Dans d’autres cliniques , le malade n’est pas réduit au statut du patient qui subit mais est invité à celui de sujet qui agit sur son mal.
La clinique n’est pas non plus réductible à la seule figure du colloque singulier du clinicien et de « son » malade. D’autres figures existent d’un colloque élargi au couple, la famille, le groupe ou même la société dans son entiereté impliquant une grande diversité et multiplicité de cliniciens et de pratiques cliniques, dans des relations moins hiérarchisées.

Nous proposons de définir l’anthropologie clinique comme « l’étude pluridisciplinaire des représentations et des pratiques cliniques ». Par « représentations cliniques » nous entendons l’ensemble des concepts, modèles et théories communes et savantes en matière de ordre/santé et de désordre/maladie et relatifs à la causalité du mal (maladie/malheur/mal-être/malédiction). Par « pratiques cliniques » nous entendons les attitudes intersubjectives (construction, maintien et résolution de relations cadrées) complétées ou non de pratiques exploratoires (diagnostics et divinations) et curatives ( programmes de traitements et techniques de restauration de l’ordre et/ou de guérison) tant « modernes » (médecines allopathiques, homéopathiques et alternatives, chimio- et pharmacothérapies, psychothérapies, psychanalyses) que « traditionnelles » (chamanismes, ritualismes magico-religieux, exorcismes, phytothérapies). Ces représentations et pratiques cliniques sont identifiées par des observations pathographiques/pathologiques (études de cas) et par des observations ethnographiques/ethnologiques (études de terrain). Faisons remarquer que les représentations et pratiques qui constituent la clinique ne se limitent pas aux savoirs « savants » des cliniciens patentés mais comportent au même titre les savoirs « populaires » de ceux qui les consultent. Le principal intéressé de la situation clinique est celui qui est dans la situation la moins confortable. L’amélioration ou la guérison de son mal dépend non seulement de l’efficacité du traitement étiologique ou symptomatique mais encore de l’efficacité symbolique et imaginaire de son système de représentations de la causalité corrélé au système des représentations en vigueur dans son contexte social et culturel.
La diversité des méthodes de recherches entraine la pluridisciplinarité de l’anthropologie clinique. Y contribuent les diverses sciences humaines cliniques telles que l’anthropologie médicale, l’ethnopsychiatrie, la psychologie transculturelle, l’anthropologie psychanalytique, les recherches d’anthropologie philosophique et psychologique sur les rapports corps-âme(psychè)-esprit, les recherches ethnologiques et d’anthropologie sociale et culturelle sur les représentations et pratiques de guérison dans des sociétés traditionnelles et de sociétés en transformation .

L’anthropologie clinique ne se confond pas avec l’anthropologie médicale. D’abord parceque la médecine n’a pas le monopole de la clinique. Ensuite parceque l’évolution de la médecine, de moins en moins science humaine et de plus en plus arsenal technologique, ne contribue actuellement que faiblement à une réflexion anthropologique. Enfin, parcequ’en médecine la clinique a tendance à se réduire aux techniques de traitement et aux pratiques hospitalières. Cette évolution est évoquée dans les écrits de M. Balint, de G. Canguilhem, de L.Israel et de J. Clavreuil entr’autres . Si on se réfère au bilan de l’anthropologie médicale dressé en 1974 par A.C. Colson et K.E. Selby les domaines de l’anthropologie médicale comporteraient l’épidémiologie (étude des corrélations entre l’environnement social et naturel et les maladies endémiques et épidémiques), l’organisation des soins en institution (health care delivery systems), l’étude des problèmes de santé de populations particulières (enfants, vieillards, handicapés, toxicomanes, alcooliques, déficiences immunitaires) et l’ethnomedecine . Cette dernière étudie les rapports entre les maladies (leur apparition, leur évolution et leur traitement) et l’organisation sociale et culturelle des populations concernées. Elle étudie les pratiques de guérison « des autres » lesquelles sont irréductibles à des médecines alternatives, les comportements relatifs à la maladie et les rapports entre la médecine savante importée et les pratiques de guérison populaires locales.
Commentant ces domaines de l’anthropologie médicale, Augé constate que « toute l’ambiguité du propos de l’anthropologie médicale est là: certains font de la question de l’efficacité thérapeutique la question première et n’envisagent éventuellement la relation au social que sous cet aspect; d’autres (et d’après Augé ceux-là seuls font à proprement parler de l’anthropologie) s’intéressent d’abord à la place des représentations de la maladie et des institutions qui leur sont associées dans l’ensemble des représentations et des institutions de la société, n’envisagent leur efficacité que par rapport au fonctionnement d’ensemble de la structure sociale hiérarchisée  » (Augé M., 1980, 168).
A l’heure actuelle, la médecine occidentale importée ailleurs est devenue une menace pour les pratiques de santé alternatives qu’elle méconnait, méprise et concurrence. Une indication de cette méconnaissance est l’édiction par l’OMS de directives visant à la corriger, à faire reconnaitre et respecter les pratiques traditionnelles, dans la mesure où elles se démontrent sans dangers aux yeux des médecins allopathes érigés en juges de l’efficacité des « autres ». C’est aussi un signe de méconnaissance et de mainmise que d’appliquer aux pratiques traditionnelles le qualificatif de « médecines traditionnelles ». Cette appellation enlève à ces pratiques leur spécificité, en méconnaissant leur efficacité symbolique et sociale qui fait leur radicale différence par rapport à l’efficacité pragmatique de la médecine technologique, et les réduit au statut de médecines au rabais (Singleton M., 1991).
Dans son évolution actuelle, la médecine occidentale, trop sûre d’elle même, fascinée par ses énormes moyens et pouvoirs, s’éloigne de plus en plus d’un dialogue avec les sciences humaines. De ce fait elle n’arrive plus à entretenir une réflexion anthropologique collégiale et disciplinaire. A fortiori, elle n’entre que difficilement dans des concertations interdisciplinaires.
Pour notre part, nous conservons à la notion de clinique son aspect large à la fois médical et non-médical, privé et social, technique et artisanal, pragmatique et symbolique qui ouvre des perspectives pour une anthropologie clinique, qui pourrait à son tour inspirer une clinique anthropologique.

Par ailleurs, l’anthropologie clinique diffère de l’anthropologie de la santé. L’anthropologie clinique concerne davantage les relations concrètes entre les acteurs de la situation clinique alors que l’anthropologie de la santé s’occupe plutôt des idéologies sociales en matière de santé, des programmes d’hygiene ou de prévention. On y trouve des réflexions sur les notions du normal et du pathologique , les organisations des pratiques cliniques et les comportements collectifs en occident et ailleurs . Là où l’anthropologie de la santé privilégie le regard macrosocial, l’anthropologie clinique privilégie le regard micro-social. Privilégier ne veut pas dire exclure, et les deux sont articulés. Il reste que la notion de santé est très déterminée par son usage dans les discours occidentaux dans son opposition à la maladie, en tant que normalité organique et fonctionelle. Un tel usage normatif rabat la santé sur le bon fonctionnement physiologique et mental objectivé par les mesures de laboratoire, les techniques fonctionelles et les tests de diagnostic ou de dépistage. Une telle conception réduite de la santé couplée à la maladie rendent ces termes inadéquats pour rendre compte des notions locales supposées équivalentes dans des systèmes de pensée holistes. Il n’est pas évident de traduire dans les langues occidentales à vocation universelle des notions nuancées d’ordre et de désordre dans les rapports entre individus, collectivités et monde, d’harmonie et de dysharmonie entre composants et fluides subtils, ou d’équilibre tensionnels et de ruptures d’équilibre entre forces antagonistes ou encore les mouvements de bascule entre les deux pôles de l’ambiguité des instances invisibles déterminent le bien-être et le malêtre des humains. Il faut s’entretenir sur le mode collégial avec des « tradi-praticiens » de n’importe quelle partie du monde pour découvrir l’énormité des quiproquos causés par l’usage du terme de « health » ou de « santé » pour traduire leurs notions. Les termes de « salut » et de « sainteté » qui sont les frères étymologiques de la « santé » sont tout autant chargés de connotations chrétiennes qui les rendent tout aussi inadéquats pour les dialogues interculturels. Il faut donc utiliser des descriptions et des métaphores pour rendre compte des systèmes de représentations du monde des autres (Steichen R. 1986).

Une anthropologie clinique doit évidement prendre en compte les données de l’éthnomédecine (qui est la partie la plus anthropologique de l’anthropologie médicale). Elle doit aussi prendre en compte celles de l’anthropologie de la santé. Mais sa spécificité consiste à prospecter ce qui est laissé en friche par l’étude des moyens technologiques et des organisations institutionelles. Sa tâche spécifique est d’étudier les relations concrètes entre les acteurs des rencontres cliniques, les « cliniciens », les « clients » et les « tiers » (famille, société, institutions). Elle a aussi comme objectif l’étude des pratiques symboliques et imaginaires qui donnent sens aux traitements chimiques et techniques. Elle a encore à explorer les représentations populaires, vulgaires, communes, avec leurs imprécisions, mouvances et contradictions mais aussi leur sagesse, expérience et efficacité. Elle a enfin à analyser les rapports de force entre les savoirs populaires et les savoirs experts, et a en dénoncer les éventuels effets pervers.
On doit donc considérer la situation clinique élémentaire comme un système à trois éléments: deux adresses et une référence: deux acteurs ou agents et en position tierce le social avec ses normes, croyances et représentations. Ce système se complique de surajouts. La clinique est un système complexe de moyens, d’attitudes, de relations, de représentations qu’il s’agit d’étudier dans leur ensemble pour comprendre ce qui s’y passe .

Les textes de l’anthroplogie clinique.

Pour reconnaitre les avatars de l’attitude prospective en anthropologie clinique, il nous faut d’abord en construire une vue d’ensemble. La construction de l’anthropologie clinique se fait par bribes et morceaux, par la rencontre entre des textes hétérogènes au premier abord, mais qui par finissent par se rassembler autour d’un objectif commun: rendre compte de la relation clinique à partir des représentations individuelles et sociales de cette relation. Nous citons ici à titre de repères, quelques contributions qui nous semblent significatives de la constitution d’une anthroplogie clinique. Notre sélection est tout à fait subjective, et nous sommes prêts à étayer notre choix si cela nous est demandé. Il reste que ce qui suit sera très schématique. Les textes de référence sont écrits par deux catégories d’auteurs.
D’une part nous disposons de textes à portée anthropologique écrits par des cliniciens qui s’interrogent sur leur expérience clinique. Ils construisent une théorie de l’humain sur base de ses attitudes en période de crise ou de maladie et confrontent leur expérience à celle de cliniciens d’autres cultures et aux données de la sociologie et de l’anthropologie culturelle. Ces recherches visent à comprendre le fonctionnement de l’humain au delà de la maladie considérée comme révélatrice de processus habituelement discrets et exacerbés par la crise ou la maladie. Les pathologies sont considérées comme réalisant des expériences de clivages, de conflits et de tensions dans l’humain, qui mettent à jour révélateurs les failles et les articulations structurales dans l’humain. Notre hypothèse est que les diverses expériences du mal (malaises, maladies, malheurs, malédictions) constituent des épreuves identitaires qui révèlent les composantes et lignes de clivages de l’identité. Au terme d’un siècle de recherches en sciences humaines cliniques il est possible de dire que l’identité humaine est une construction mentale qui articule en un ensemble des représentations individuelles et collectives. L’identité, à la fois individuelle et sociale, personnelle et interpersonnelle, subjective et sexuelle, est un effet de sens produit par un reseau de signifiants consensuels (Steichen R., 1997). Dans cette perspective, la santé et la maladie sont non seulement des expériences mais encore des représentations qui se réfèrent aux discours sociaux. Ceux-ci servent de référence pour faire exister socialement les expériences individuelles. Les discours sociaux manifestent, donnent une forme transmissible aux systèmes consensuels de représentations des expériences de l’être humain, sous ses aspects dialectiques du « bien-être » et de « mal-être ». Il s’agit là d’une anthropologie par la clinique.
D’autre part, nous trouvons dans le relevé de la littérature un très grand nombre de textes d’éthnologie, d’anthropologie sociale, culturelle et philosophique qui étudient les représentations et les pratiques cliniques ainsi que les rapports entre les humains en souffrance et les cliniciens qui s’en occupent. Les auteurs d’une anthropologie de la clinique entretiennent un dialogue continu avec les cliniciens en leur offrant un regard extérieur, un recul nécessaire. Ces écrits sont précieux pour les cliniciens engagés dans leur activisme car ils y trouvent le recul nécessaire pour entretenir un « regard éloigné » qui leur permet de comprendre ce qu’ils font.

Dans les textes constitutifs d’une anthropologie par la clinique nous trouvons, outre les données de l’ethnomédecine et de l’anthropologie de la santé, les contributions de l’anthropologie psychiatrique, de l’anthropologie psychologique et de l’anthropologie psychanalytique.
L’anthropologie psychiatrique interroge l’humain à partir des maladies mentales. Nous y trouvons toutes les tentatives de donner un sens humain à la folie. La maladie mentale est considée par les uns comme une perte de facultés humaines, par d’autres comme dissociateur des composantes de la logique humaine, et par d’autres encore comme une logique originale particulière. S’inspirant de la phénoménologie de Husserl et de l’existentialisme de Heidegger, se référant à la psychanalyse et entretenant un dialogue permanent avec des philosophes tels que H. Maldiney, M. Merleau-Ponty, J.P. Sartre, la psychiatrie existentielle a produit un large éventail d’approches de la folie. Nous y trouvons les textes de V.E. Von Gebsattel, E. Strauss, J.H. Vandenberg, V.E. Frankl, L. Binswanger, E. Minkowski, R. Kuhn, H. Ey, E. Degreeff, D. Lagache. Tous ces auteurs contribuent à une anthropologie psychiatrique ou une « anthropo-psychiatrie » selon l’expression de J. Schotte. Ce champ de recherches très riche comporte des orientations diverses telles que la clinique phénoméno-structurale, la psychiatrie existentielle, l’analyse du destin et la pathoanalyse. Cependant ces diversités sont dépassées dans la constitution d’une anthropologie clinique pluridisciplinaire.
Le champ de l’anthropologie psychologique est aussi varié et contrasté que celui de la psychologie qui le fonde. Impossible de rendre compte de toute la complexité de ce champ dans un texte de synthèse comme celui-ci. Mais il n’est pas non plus nécessaire de vouloir en rendre compte largement car notre objectif
est limité à l’orientation de la psychologie clinique. Dans cette perspective un courant important est celui de la psychologie et de la psychothérapie existentielle produite par des cliniciens nord américains et européens immigrés aux USA proposant une clinique des relations interpersonnelles sur base d’une interprétation de la philosophie existentielle européenne. Nous y trouvons des auteurs tels que K. Goldstein, E. Fromm, E. Erikson, K. Horney, G. Allport, R. May, H. Feifel, A. Maslow et C. Rogers .
Parmi les recherches plus récentes dans le domaine de la psychologie expérimentale à orientation anthropologique citons celles qui explorent les variations culturelles des approches cognitives et émotionelles de la réalité . Ces auteurs proposent explicitement une anthropologie comparative susceptible d’éclairer la clinique concernée par les modifications de la perception de la réalité.

Les textes pionniers de l’anthropologie psychanalytique sont les classiques écrits métapsychologiques de S. Freud qui font le lien entre les thèmes rencontrés dans la clinique et leurs correspondances dans le social . J. Lacan a proposé une relecture de Freud: on trouve dans les « Ecrits » et dans « les Séminaires » les étapes de la construction d’un modèle de réalité, de sujet et de l’inconscient à ouverture anthropologique . Le concept d’anthropologie psychanalytique a été introduit par des chercheurs travaillant à la jonction de la clinique et de l’ethnologie. On y trouve des écrits de psychanalystes et de sociologues qui établissent explicitement des ponts entre les deux disciplines . Une contribution tout à fait importante à l’anthropologie clinique est apportée par l’ ethno-psychiatrie , associée et parfois confondue avec l’ethno(psych)analyse, dont les auteurs les plus représentatifs sont G. Roheim et G. Devereux . Parmi les cliniciens actuels qui se réclament de l’ethnopsychiatrie le plus prolifique mais aussi le plus contesté est T. Nathan . Les interrogations que soulèvent sa pratique intéressent au premier abord les praticiens d’une clinique transculturelle des populations immigrées en sociétés européennes. Ces recherches cliniques alimentent les réflexions anthropologiques autour des thèmes de l’identité ethnique (de la population immigrée) dans son rapport à la normalité culturelle (de la société d’accueil).

En ce qui concerne les contributions à une anthropologie de la clinique par des non-cliniciens nous trouvons les écrits de philosophes, de sociologues et d’ethnologues mais aussi des essais littéraires remarquables dont il ne pourra êtrte question ici.
Il existe une anthropologie philosophique centrée sur les rapports entre le corps et les fonctions qui l’humanisent désignées par les termes de l’âme, la psychè, l’esprit, le langage. On pourrait ici faire état de toute la philosophie qui se pose la question de ce qu’est l’homme à partir de l’expérience des ratages de l’humain, dans la folie, la déraison et l’inhumain. Pour ne citer que les réflexions contemporaines en la matière qui inspirent les sciences cliniques, retenons les travaux sur la psychopathologie de K. Jaspers, les recherches de J.P. Sartre sur l’imaginaire et sa proposition d’une analyse existentielle distincte de celle de L. Binswanger) appliquée à l’analyse biographique, la phénoménologie clinique de M. Merleau-Ponty, de H. Maldiney et de P. Ricoeur. L’anthropologie philosophique d’ A. De Waelhens articule la phénoménologie, la psychanalyse freudienne et lacanienne et la clinique psychiatrique . Dans le prolongement des recherches sur le corps subjectivé dans la dialectique santé-maladie, se situe l’actuelle anthropologie du corps à laquelle oeuvre D. Lebreton.
L’anthropologie philosophique qualifiée d' »empirique » (pour la distinguer d’une forme « littéraire ») est un courant de pensée qui a regroupé depuis 1920 des chercheurs de disciplines diverses qui ont comme commun dénominateur de s’opposer aux réductionismes. Les auteurs de ce courant proposent une perspec-
tive synthétique centrée sur l’intersubjectivité. L’aboutissement en est un humanisme fondé sur l’épistémologie. Leurs domaines d’investigation sont la biologie, la psychiatrie et la sociologie. Citons M. Scheler, E. Cassirer, P. Haberlin, H. Plessner, G. Vanderleeuw, M. Buber, W. Ehrlich, S. Strasser, F.J.J. Buytendijk, M. Merleau-Ponty, K. Goldstein, V. Von Weizsäcker.
L’oeuvre de M. Foucault occupe une place originale dans la littérature qui construit une archéologie des savoirs et une anthropologie des discours contribuant de manière déterminante à une anthropologie de la clinique occidentale. Sa conception d’une philosophie du discours, appliquée à l’étude des effets des discours cliniques produit une vaste fresque qui englobe les différentes pratiques qui s’occupent des sujets en mal de société: psychologie, médecine, psychiatrie, droit pénitentier et, pour cloturer l’oeuvre, la sexologie . Sa réflexion relative aux rapports entre les institutions sociales et le désir inconscient sont très proches de celles de la clinique psychanalytique.
Enfin, il faut faire état de l’anthropologie clinique de J. Gagnepain. Sa théorie de la médiation est fondée sur une interprétation linguistique d’une clinique des troubles du langage et des praxies. Son espoir est de fournir aux sciences humaines en général et aux sciences cliniques en particulier un outil qui permettrait de réduire la masse hétéroclite des descriptions et interprétations cliniques produites par la grande diversité des courants à des données homogènes et comparables. A cet effet il propose l’utilisation de catégories intellectuelles et de concepts strictement définies et universellement acceptables parceque correspondant aux fonctions isolées par les pathologies qui désintègrent le complexe fonctionnel. L’oeuvre est trop riche et trop complexe, et échoue de ce fait à constituer un outil d’interprétation qui fasse l’unanimité entre les chercheurs des sciences cliniques.

Par ailleurs, d’autres chercheurs de l’horizon de l’ethnologie et de l’anthropologie sociale et culturelle interrogent les mythes, discours et pratiques d’autres sociétés. Ils étudient les phénomènes des cures par la magie et par la transe. parmi lesquels les textes désormais classiques citons ceux de M. Hubert et M. Mauss, C. Levi-Strauss, E. Evans -Pritchard, R. Bastide, A. Metraux et M. Eliade . Actuellement il faut y ajouter les multiples écrits sur le chamanisme et la possession partout dans le monde . La multiplication actuelle des publications de recherches de terrain produites par des ethnologues et des cliniciens qui contribuent à une anthropologie clinique, entraine la nécessité de les regrouper ici d’après le terrain de référence principal, même si la perspective est transculturelle
Le lecteur qui nous a patiemment suivi jusqu’ici à travers les dédales de ce tour d’horizon sera sans doute aisément persuadé du fait que l’anthropologie clinique est loin de constituer un ensemble homogène. Cela tient à la complexité de son objet, la clinique dont les enjeux sont multiples, individuels et sociaux. L’anthropologie clinique comporte de nombreux recoupements avec les anthropologies sociale, culturelle, politique, religieuse. Il y a peu de littérature spécifique et pas d’organisation disciplinaire. On comprend dès lors aisément qu’il n’est pas aisé de s’y retrouver. Néanmoins le lecteur interpellé, surtout s’il est clinicien ou anthropologue, ne peut manquer d’y trouver une communauté de péroccupation. Au centre de la clinique se trouve la question de la gestion de l’ordre et du désordre par les sociétés, compte tenu du fait que leurs cultures sont à la fois productrices de désordre et d’ordre.

Objectifs d’une anthropologie clinique.

Pour nous, l’objectif de cette étude pluridisciplinaire des « représentations et pratiques cliniques » est de développer les connaissances de l’efficacité (réelle, imaginaire et symbolique) des démarches cliniques en matière de ordre/santé (somatique, mentale et sociale) dans les diverses sociétés (modernes, traditionnelles, migrantes ou en cours de transformation). En conséquence, une telle « anthropologie clinique » promeut la constructions de modèles prospectifs utiles à la recherche théorique et à la pratique clinique, transmissibles dans l’enseignement et dans la formation des cliniciens et chercheurs sur le terrain, mais aussi intégralement récupérables dans un langage compréhensible par les acteurs et informateurs du terrain.

Précisons la conception de la « réalité » à laquelle se réfère la notion de « représentations ». La réalité » dont il est question dans cette conception de l’anthropologie clinique n’est évidement pas celle de la réalité objective des sciences exactes, mais celle de la réalité subjective des sciences humaines et surtout la réalité subjective du commun des mortels. C’est celle à laquelle se réfèrent les sujets confrontés à une maladie ou un malheur, construite dans l’urgence pour comprendre et supporter ce qui leur arrive, leur tombe dessus, les possède, les contraint de l’extérieur ou s’impose de l’intérieur, dans leur intimité mentale ou dans leur corps. Il s’agit de la réalité mentale avec ses effets matériels, fabriquée avec les éléments de la perception, lesquels sont interprétés et aménagés de manière à produire une réalité accueillante, habitable, et consensuelle. Cette réalité est approchée, sans être épuisée, par les notions de « l’espace et du temps vécus » des philosophes phénoménologues, des « faits sociaux » de la sociologie de Durkheim et de la « réalité sociale » de la sociologie compréhensive de Weber et autres. Elle est encore la réalité des « représentations sociales » des sciences sociales contemporaine (Moscovici S. 1982, 1984. Jodelet D. 1994). Certes, cette réalité humaine est articulée à la réalité non-humaine susceptible de virer au inhumain. L’ajustement entre la réalité mentale et la réalité physique pose problème, tout autant que de rendre compte de la réalité mentale des faits sociaux. Celle-ci existe objectivement parceque les participants sociaux y croient collectivement. Ces croyances institutionnelles sont analysables en termes d’actes de langage, d’intentionnalités collectives et de règles consensuelles (Searle, 1995).

Les relations concrètes aux autres sont dirigées par les représentations mentales. On entend par là les images, modèles et stéréotypes, individuels et collectifs, à travers lesquels nous appréhendons les autres et qui leur confèrent leur caractère de désirables ou d’indésirables. Etant donné le caractère déterminant des représentations pour la construction des relations concrètes, il est de première importance pour les praticiens et spécialistes des relations humaines de reconnaître et éventuellement de déconstruire et reconstruire ces représentations mentales. Cette reconnaissance et ces pratiques sont indissociables de la formation des cliniciens. Parmi ceux-ci les psychanalystes accordent une attention tout à fait particulière à la soumission de la construction de la réalité des autres aux « logiques de l’Autre ». Nous désignons ainsi la logique inconsciente des processus d’énonciation dont découlent les énoncés conscients. Cette logique n’a pas de sujet, il n’y a pas un Autre du langage, mais il y a l’illusion d’une intention attribuée par les humains à une fiction. Quant aux figures qui représentent cette fiction désignée par l’Autre, elles varient d’après les systèmes de représentations concernés. Pour les uns, il peut s’agir des idéaux, valeurs, normes, impératifs moraux et éthiques. Pour d’autres, de la structure, du langage ou du surmoi. Pour d’autres encore de la voix de la conscience, d’une ou diverses forces supérieures, de Dieu ou des dieux, des démons et autres agents du destin. La connaissance des autres, de nos semblables (Mitmenschen) nécessite un processus actif d’attention, une attitude subjective de prise de conscience. Elle implique un effort de construction consciente qui s’oppose aux représentations dictées par le fonctionnement inconscient. Les autres sont toujours étonnants, originaux et particuliers quand le regard sur eux est débarrassé des oeillères interprétatives imposées au nom de l’Autre. La rencontre avec les autres concrets est médiatisée par la connaissance construite à leur sujet. Ce savoir est nécessaire sans doute pour réduire le caractère d’inquiétante étrangeté des autres. Mais en même temps il est la principale source de méconnaissance des autres du fait de l’intervention des « logiques de l’Autre » dans la construction de ce savoir. (Steichen R., 1997, 1998).

En ce qui nous concerne, notre contribution à l’anthropologie clinique est construite sur deux terrains de recherches coextensifs et synchrones: les conceptions et pratiques cliniques occidentales dont nous avons une expérience directe, et les études comparatives relatives aux savoirs et pratiques cliniques traditionnelles que nous observons sur le terrain

Ces recherches, tant en ce qui concerne les systèmes cliniques occidentaux qu’exotiques, ont donc comme but de contribuer à la constitution d’une anthropologie clinique, définie comme « l’étude comparative et contextuelle des systèmes de représentations de l’ordre et du désordre (ou de la santé et de la maladie) et des pratiques de curation (ou de guérison) correspondantes ». Cette définition tient compte du fait que les notions de maladie et de santé ne sont pas universelles. Dans les sociétés occidentales, elles sont conformes aux conceptions individualistes. Dans d’autres sociétés, dans lesquelles prédomine une lecture holiste des relations sociales , territoriales et au monde environnant, on utilise plutôt des vocables vernaculaires traduits approximativement par les notions d’ordre (équilibre des forces, harmonie des éléments, quiétude des humains dans un monde paisible) et de désordre (conflictualité des forces, chaos des éléments, malheurs des humains dans un monde agité).

3.L’attitude prospective en anthropologie clinique.

Il est évident que l’attitude prospective est présente dans l’objet de l’anthropologie clinique et détermine la réflexion anthropologique à son sujet.
Toute démarche clinique concrète (médicale, psychiatrique, psychologique, psychanalytique, …), comporte non seulement une orientation générale prospective (exploration de la situation), mais réclame de la part du clinicien une attitude subjective prospective. Cette attitude supposée au clinicien est à l’origine des demandes et offres de soins. Elle fonde l’engagement de tout clinicien dans sa pratique et constitue l’objectif de toute pratique clinique. L’attitude prospective clinique se condense dans l’intention d’améliorer la situation existente, de réduire ou supprimer la douleur physique et/ou la souffrance morale, et si possible, d’en supprimer la cause. Soulager et éventuellement guérir. A défaut d’ un traitement étiologique qui guérisse, le clinicien instaure un traitement symptomatique qui aide à vivre ou encore un traitement palliatif qui aide à mourir le plus dignement possible.
Dans le processus clinique, l’attitude prospective est indissociable de l’attitude retrospective et du bilan de l’actualité. La propédeutique médicale relie ces trois moments: l’anamnèse et l’observation (ou examen) porte sur l’actualité mais aussi sur l’évolution du ou des symptomes (ou du syndrome) et de son contexte. Elle prend en considération tant les symptômes subjectifs que les symptômes objectifs. A travers les dires du patient et sur base des pièces médicales éventuelles ou d’un dossier, elle explore les antécédents personnels et familiaux, Le diagnostic est établi sur la base des antécédents et de l’actualité. Le pronostic découle du diagnostic et de la projection dans l’avenir des effets supposés d’un modèle thérapeutique déduit du diagnostic. Le pronostic inspire le traitement. Dans le pronostic interviennent tant les éléments objectifs du diagnostic que les éléments subjectifs du praticien. C’est son expérience clinique et son optimisme ou pessimisme personnels qui vont largement déterminer sa prudence, son audace ou son abstinence, et déterminer l’avenir du traitement.
Du moins, il en était ainsi dans la propédeutique médicale occidentale telle qu’elle était enseignée il y a un demi siècle. Actuellement la part subjective du client est réduite à la portion congrue et même disqualifiée au regard de l’exploration objective à grand renfort de techniques. Le diagnostic découle davantage des données de laboratoire, des radiographies, scintigraphies, échographies, electroencéphalographies, electrocardiographie, électromyographie, et autres examens spécialisés et épreuves fonctionnelles que de l’interprétation clinique médicale.
Actuellement, les personnes malades ont toutes les peines du monde à trouver un médecin qui ait la disponibilité temporelle et la compétence de fonctionner comme clinicien au sens ou nous l’entendons ici. Le plus difficile est de trouver un médecin qui puisse dans le cas de pathologies chroniques, récidiventes et atypiques, de l’ordre de celles qui empoisonnent l’existence quotidienne, prendre le temps que nécessite l’acte intellectuel et responsable de l’interprétation clinique. Celle-ci comporte une série de composantes: l’ écoute patiente du récit du client qui décrit sa représentation « personnelle », la synthèse intellectuelle des données techniques, la construction d’une représentation « savante », la prise de conscience du caractère hypothétique de cette représentation et de la part subjective du clinicien dans la construction de celle-ci, la traduction de cette représentation et sa restitution au client, et la construction avec le client d’une représentation « consensuelle » résultant de l’articulation entre la représentation « personnelle » et la représentation « savante ».
Cette interprétation devrait être un travail de collaboration entre le médecin et son client, dans laquelle les représentations « savantes » n’ont aucune supériorité par rapport aux représentations « personnelles », et dans laquelle le client garde son statut de sujet. Nous en sommes loin actuellement. Les médecins n’ont plus le temps de penser, comprendre, interpréter. Ils sont de plus en plus enfermés dans la fonction d’experts voire de techniciens appliquant des technologies. De leur côté, les clients sont aliénés au statut de patients désubjectivisés réduits à des « cas cliniques » et dépossédés de leur maladie (expérience personnelle) ramenée à une « pathologie »(une épure mathématisée et topologisée). En principe l’interprétation est l’apanage du médecin généraliste, dit médecin de famille. Il est censé être le médiateur entre les clients et les spécialistes rattachés aux laboratoires, hopitaux ou instituts de recherches qui disposent des budgets exorbitants que dévorent les technologies sophistiquées.
En principe, les médecins les plus humanistes sont les médecins de famille. Mais il n’est un secret pour personne qu’ils sont surchargés de travail et ne peuvent que difficilement être disponibles à la fois pour leurs clients et pour leur formation technologique permanente. L’évolution technologique de la médecine compromet le développement actuel d’une véritable anthropologie médicale.. Cette situation n’est pas récente. Le prix Nobel 1940 de la médecine, A. Carrel, a appelé de ses voeux une « science de l’homme » qui dépasserait les cloisonnements entre la biologie, la psychologie et la sociologie et inspirerait l’avenir de la médecine. Mais surtout, il espérait que la médecine dépasse sa division entre une science des maladies abstraites et une approche des individus concrets. « Il serait impossible(…) de construire une science de la médecine en se contentant de compiler un grand nombre d’observations individuelles ». Par la compilation on obtient une connaissance des maladies en tant qu’entités abstraites. Cependant la médecine ne devrait pas être une science générale des maladies mais une science des individus malades, concrets et singuliers. Le rôle du médecin « consiste à découvrir dans chaque patient le caractère de son individualité, sa résistance propre à l’agent pathogène, le dégré de sa sensibilité à la douleur, la valeur de toutes ses activités organiques dans son passé et son avenir »(Carrel A., 1957, 343-345). Nous retrouvons dans le partage de la médecine entre une science des maladies et une clinique des malades l’opposition entre les essentialistes et les nominalistes. La médecine scientifique défend la réalité des universaux abstraits tandis que la clinique médicale s’occupe de personnes concretes auxquels est appliqué une nomination conventionnelle. Les médecins se trouvent en présence à la fois de la réalité concrète (des patients) et des abstractions scientifiques (des pathologies). La médecine doit construire une science du particulier à partir d’une science du général. C’est là le programme difficile et exigeant d’une anthropologie médicale qui dialectise la recherche scientifique et l’approche clinique, ou en nos termes, les représentations et les pratiques . Carrel plaide pour un rapprochement entre le réalisme et le nominalisme car l’homme est à la fois un être humain (universel) et un individu (singulier) (Carrel A.,1957,371-375). Cet ouvrage d’avant guerre met déja les médecins en garde contre une priorité accordée au développement technologique et spécialisé par rapport à une approche individuelle et totale (de l’homme comme ensemble somato-psycho-social). Actuellement, l’écart entre la technologie et la clinique s’est creusé et la technologie s’est compliquée au point de devenir un monde à part, très éloigné de la vie quotidienne des individus concrets. Si on veut trouver actuellement une anthropologie médicale, il faut aller la chercher dans les lieux où se débattent les questions éthiques soulevées par les technologies nouvelles en matière de manipulations génétiques et de manipulations d’embryons (eugénisme), de remplacement et transformation d’organes, de techniques de prolongation de la vie. Il y a ample matière pour une future anthropologie médicale mais il manque singulièrement de médecins dans ce débat.
En résumé de cette réflexion, l’attitude prospective dans les pratiques médicales déserte la clinique pour se concentrer sur les questions techniques, de gestion et de remplacement de l’attitude clinique par l’application technologique. L’attitude clinique prospective n’est pas interrogée dans les textes constitutifs du savoir médical actuel. On y trouve une prospection active de nouveaux domaines (pathologies) et de nouveaux moyens (technologies). Il s’agit plus d’inventorier et de comparer des savoirs de pointe que de réfléchir aux attitudes. L’orientation générale est celle de l’amélioration des conditions d’hygiène (santé publique), de la détection des endémies et de la prévention des épidémies (programmes de vaccination), de gestion hospitaliere, de la solution de problèmes ponctuels de santé prédominant à un moment donné dans une société donnée. Mais on y apprend peu du point de vue clinique. Pour illustrer ceci, il serait intéressant de développer l’articulation entre la problématisation sociale du Sida entre 1980 et 1985 et le traitement du problème par la médecine. Ce qui était à l’avant plan des efforts d’intellectualisation étaient, d’une part, l’étude des catégories de populations atteintes et « contaminantes » et d’autre part, la recherche d’identification du virus causal. Les aboutissements visibles en ont été le développement d’une méfiance et mise en quarantaine de la population séro-positive, la rivalité entre chercheurs américains et français pour la paternité de la découverte de l’agent, et la concurrence effrénée entre laboratoires pour mettre au point et décrocher le brevet du traitement. Quant à une réflexion anthropologique sur les dimensions cliniques individuelle et sociale, il n’en a été question que dans les sciences humaines en dehors de la médecine.
La désubjectivation des malades est d’autant plus marquée que la médecine sépare radicalement les maladies somatiques d’une part et les maladies psychologiques et mentales, d’autre part. La médecine psychosomatique et la psychiatrie sont pris dans le même engrenage. La nosologie et le diagnostic psychiatrique ont fort changés en ce dernier quart de siècle. La psychiatrie est passée de la richesse descriptive de la nosographie classique à la pauvreté classificatoire du manuel statistique des maladies ou DSM. Pourtant, ainsi que nous l’avons vu, la psychiatrie phénoménologique, la psychiatrie existentielle et la psychiatrie psychodynamique mais aussi les courants de l’antipsychiatrie et de la psychiatrie de secteurs ont élargi des perspectives et ouvert des espoirs nouveaux pour la transformation des patients en sujets. La standardisation dans un but d’efficacité de gestion institutionnelle a refermé les perspectives. On est passé d’une attitude prospective centrée sur la compréhension des malades mentaux vers une attitude prospective centrée sur l’efficacité de la gestion des institutions soignantes. Les psychiatres sont dans une situation très inconfortable, entre les terreurs de leurs patients, les angoisses des familles et les exigences des administrations de la santé. Actuellement la profession de psychiatre est de moins en moins attirante et l’actuelle génération de cliniciens ne recoit pas dans les facultés les moyens intellectuels pour entretenir et construire une anthropologie psychiatrique.
Malgré son déclin et sa mort annoncée à plusieurs reprises depuis un demi-siècle, la psychanalyse tient le coup et le cap. Son défi est de rester avant tout une pratique clinique au sens le plus plein du terme, ce qui n’est possible qu’à condition de rester privée, indépendante et artisanale. Mais son défi est aussi de subsister comme collectivité théorisante de chercheurs. Ce qui fait que la psychanalyse apporte une importante contribution à l’anthropologie clinique. La diversité des tendances et écoles psychanalytiques offrent une garantie de critiques mutuelles qui réduisent les risques de dérapage de la psychanalyse vers une fonction d’expertise à l’instar de ce qui s’est passé pour la médecine. Cela tient au fait que l’ éthique de la psychanalyse est une promotion du désir du sujet contre la passivité du patient: ce qui est considéré comme thérapeutique est le savoir de l’analysant et non celui de l’analyste. Et l’acte d’interprétation de l’analyste n’a de sens que dans la mesure où il produit et soutient l’acte d’interprétation de l’analysant.
Le savoir théorique constitué dans les diverses écoles des tendances freudienne, jungienne, kleinienne, bionienne, et lacanienne est déstiné aux analystes et à tous leurs interlocuteurs intéressés des divers champs des sciences humaines. Mais en aucun cas ce savoir est destiné à détrôner le savoir des analysants, seul garant de la cohérence des théorisations qui font office de savoir psychanalytique. Cette disposition consensuelle qui constitue le coeur de la psychanalys soutient la production d’une anthropologie psychanalytique proche de l’anthropologie interprétative contemporaine. Celle-ci privilégie en effet les savoirs locaux par rapport aux savoirs savants et s’occupe des phénomènes d’interaction entre chercheurs et informateurs. Il y a cent ans que la psychanalyse est née de la prise en compte du transfert et du contre-transfert comme condition de l’efficacité thérapeutique de l’interprétation. Est-ce maintenant le tour d’une anthropologie qui serait prospective de prendre en compte l’interprétation dans le transfert? Mais alors, comment concevoir la solution du paradoxe d’une anthropologie qui brasserait largement le social à partir d’une pratique focalisée sur les individus pris un à un ? Comment relier le social à l’individuel sans s’y perdre?
Le stéréotype courant de la psychanalyse en fait une théorie et une pratique centrée sur l’individu « isolé ». C’est la croyance dans ce stéréotype qui a conduit les premiers analystes systémiciens à définir la spécificité de leur démarche comme antagoniste par rapport à la psychanalyse. C’était méconnaitre que le sujet de la psychanalyse n’a rien d’un individu isolé. Dans la cure analytique le système familial et le système social tout comme leur culture commune sont constamment présents dans les représentations conscientes et inconscientes de l’analysant. Il est impossible de concevoir le sujet de la psychanalyse dégagé des complexes familiaux, des mythes et normes sociales, des idéaux et discours culturels. D’autant plus que le désir, moteur et objet de la cure, n’existe pas en dehors des reseaux de signifiants constitutifs des discours qui fondent le lien social. Le désir est l’effet du langage qui est un bien commun. Le désir est aussi directement corrélé au régistre de la Loi opérateur de toute culture. Au fondement du désir se trouve le principe de la régulation de la jouissance au bénéfice du lien social et de l’existence individuelle. En démontrant que cette régulation est l’effet de la fonction paternelle, ou en d’autres mots, que l’ouverture au social est l’effet de la métaphore paternelle interpellée dans la cure, J. Lacan indique que la psychanalyse a comme objet l’analyse du lien social. Des chercheurs d’autres horizons ont compris que la notion de responsabilité juridique est liée à la question de la fonction du père tout comme celle du don dans l’échange social est liée à la question du meurtre du père Ces rapports entre l’individuel et le social ne cessent d’alimenter les échanges entre la psychanalyse et le droit (Legendre P., 1989) et l’anthropologie. En ce qui concerne ces derniers, rappelons que l’objet central de l’anthropologie, le système de liens de réciprocité dans le social, fondé sur les dons et contredons, est articulé au sacrifices fondateurs de la culture: sacrifice de la sexualité, de la jouissance, du sacrifice (Godelier M. et Hassoun J., 1996; Godelier M., 1996).

Contributions de l’ anthropologie psychanalytique à l’ anthropologie clinique.

Parmi les cliniques contributrices à une anthropologie clinique la psychanalyse est de toute évidence entièrement engagée dans une recherche prospective à la fois extensive et intensiventensive. Elle est également engagée dans le développement d’une anthropologie en dialogue avec les autres anthropologies.
Il n’y a pas d’anthropologie psychanalytique qui s’impose à l’instar d’un discours universitaire ou d’une discipline scientifique et encore moins d’une institution. Elle se produit dans le champ de la recherche psychanalytique comme prolongement de celle-ci, et comme pont avec les autres sciences humaines. Les connections avec les discours culturels ambiants et les autres sciences humainessont une composante constante de la psychanalyse depuis ses débuts. Sur ce fond de références culturelles et scientifiques se détachent certains thèmes qui ont plus particulièrement alimenté des dialogues entre psychanalystes et anthropologues.
Le débat entre psychanalystes et anthropologues concernant l’ universalité du « complexe d’Oedipe » a engagé Malinowski, Roheim, Jones et d’autres. C’est l’exemple classique du dialogue entre parties prenantes d’une anthropologie. Le débat autour de Totem et Tabou en est un autre. Pour la construction de son mythe métapsychologique Freudienne s’est basé sur le Golden Bough de Frazer en. Il en a résulté un fiction scientifique selon les uns, une élucubration selon les autres. Quoiqu’il en soit, et du fait même que c’est une fiction, le récit de la rivalité meurtrière entre un père tyranique et ses fils rend parfaitement compte de la lutte de tout sujet contre le versant tyranique de son système de contraintes (dit le sur-moi) qui le pousse, au nom d’une loi imposée par la force et hors consensus, à des excès préjudiciables pour lui-même et les autres (la jouissance au sens juridique et psychanalytique du terme). Cette fiction métapsychologique éclaire des aspects de la cure, des biographies individuelles et des configurations sociales. L’apparition dans la cure de cette figure mythique du père tyranique constitue pour l’analysant l’occasion très pragmatique de réorganisation de la gestion de ses tendances « excessives » aux passions, violences et autres « débordements » nuisibles pour lui-même et les autres. La fiction de la horde primitive se démontre opératoire pour l’étude sociologique des rapports de force dans le social. (Enriquez E., 1983). Par ailleurs la fiction du meurtre du père ouvre sur les perspectives du sacrifice à la base du social (Godelier M. et Hassoun J., 1996). Il s’agit de fictions manifestement opératoires.
Freud a ouvert d’autres voies pour une anthropologie psychanalytique, en interrogeant le psychologie collective, les destins collectifs du sadisme et du masochisme, la fonction de la sublimation dans la culture, le malaise dans la civilisation, l’ origine de la guerre moderne et la vocation des grands hommes, « pères du peuple » « Führers » et autres meneurs politiques historiques.
Dans la foulée de Freud, nombreux furent les psychanalystes qui ont tissé des liens entre les fonctionnements individuels et les fonctions sociales, par exemple en étudiant les relations entre les fantasmes individuels et les mythes collectifs, en passant par les romans et mythes familiaux. Sur base d’une documentation étendue à d’autres cultures, Jung a proposé des théories séduisantes à caractère universel quoique largement sujettes à caution.
Prenant appui sur les travaux de linguistes (de Saussure, Jakobson, Benveniste, Chomsky), de philosophes (Hegel via Kojève, Heidegger), du structuralisme de Levi-Strauss et de nombreuses autres références dans les sciences et la culture, et remodelant ces données à sa façon pour élaborer une topique logico-mathématique originale, J. Lacan a certes irrité beaucoup de monde mais a aussi impulsé une puissante remise en question des habitudes de pensée et forcé les analystes à dialoguer plus intensément avec les sciences, la société et la culture. L’étude de l’évolution des sciences humaines dans la période 1950-80
marquée par l’egouement pluridisciplinaire pour le structuralisme, met en relief l’originalité de J. Lacan (Georgin R., 1983). Le haut degré d’abstraction du modèle lacanien de l’inconscient, dégagé des figurations imaginaires qui le spécifient trop culturellement, en fait un outil de discussion avec les chercheurs d’autres sciences et des cliniciens d’autres cultures où il y a place pour une pensée polyvalente analytique, structuraliste et constructiviste, sensible aux effets de réalité des fictions. Que l’inconscient soit structuré comme un langage (Lacan 1966, 868) ne signifie ni que « la » structure existe, ni que l’inconscient en soit une. Le « comme » est à prendre au pied de la lettre. Il s’agit d’une comparaison analogique entre fictions instructives et opératoires. Que le langage soit compris comme un corps subtil c’est mettre l’accent sur « l’effet de réalité » du signifiant.
Il aura fallu du temps pour que cette idée fasse du chemin. Lorsqu’en 1970 Viderman a rappelé à la suite de Lacan que l’interprétation psychanalytique ne dévoile pas une réalité préexistante mais construit une « vérité »actuelle, cette idée constructionniste a beaucoup troublé ceux qui considéraient la psychanalyse comme une « archéologie du moi ». L’acceptation de l’idée que la psychanalyse puisse être une « construction du sujet » est la conséquence d’un long cheminement, à en juger par le chemin parcouru depuis les premiers écrits lacaniens à ce sujet. Actuellement, cette reformulation par Viderman de la proposition de Lacan concernant la fonction de l’interprétation semblent une évidence pour beaucoup d’entre nous sinon pour tous : « La fonction la plus profonde de l’interprétation n’est pas de dire ce qui a été en le reproduisant, mais faire que dans l’espace analytique apparaissent des figures qui ne sont nulle part ailleurs visibles parcequ’elles n’ont d’existence que celle que leur donne l’espace qui, les rendant visibles, les fait exister » (Viderman S.1982, 343-344.) Cet énoncé est à mettre au crédit d’une anthropologie psychanalytique qui fait son chemin. Cette anthropologie prospecte la fonction de l’interprétation en tant que productrice de réalité humaine. Elle explore aussi les conditions de son efficacité, ce que Viderman appelle son espace. Or cet espace n’est pas liée au seul cadre psychanalytique mais apparait dans tous les cadres qui réunissent les conditions de production de la réalité humaine, c.à.d., de production de fictions porteuses de sens pour l’existence humaine.

De ce chemin et de ce dialogue croisé entre ethnologues et psychanalystes témoignent encore les numéros thématique de revues d’anthropologie telles que Le Journal des Anthropologues et L’Homme . Dans ce dernier, des anthropologues écrivent que si l’anthropologie veut prétendre à être une science de l’homme, elle ne peut que dialoguer avec la psychanalyse qui est l’étude du psychisme. Celui-ci est la dimension par laquelle l’homme entre en relation avec les autres et avec le monde par le biais du langage articulé aux dynamiques des pulsions et à la logique du désir. Le psychisme ainsi conçu ne se confond pas avec une psychologie de l’intellect et des affects. Le psychisme est « ce en quoi chaque individu se reconnaitrait dans l’ensemble constitué des croyances du groupe »(Green A., 1999, 32). En mettant l’accent sur les croyances plutot que sur les savoirs, il s’agit de souligner l’engagement des humains en tant que sujets de parole, de pulsions et de désirs dans le système de représentations de la culture qu’ils élaborent.
Toutes les sociétés ont à se débattre avec les « résidus » ou « restes » qui résistent à entrer dans les représentations consensuelles acceptables. Ce sont des représentations non socialisables, en rapport avec la violence, la trahison, la jouissance sadique et masochiste, le sexe, la folie et la mort.  » On les trouvera au fond d’une poubelle, où l’on pourrait découvrir les secrets bien enfouis de la communauté étudiée, certaines productions psychiques inavouables. Ces déchets ne sont pas définitivement évacués. Ils sont agités en permanence, et même font retour dans le quotidien. (…) On pourrait situer sur un continuum, d’un côté les sociétés qui se préviennent contre tout risque de débordement pulsionnel sur la scène publique (…),de l’autre, celles qui installent la poubelle au coeur de la vie sociale en incorporant cette « souillure » dans ses propres conceptions de l’identité ». (Bidou P. et al, 1999, 18-19)
Le travail des sociétés pour organiser le psychique se traduit par la multiplication des représentations de la causalité psychique dans les cultures. Pourtant, malgré l’ubiquité de cet énorme travail culturel pour limiter, contenir, symboliser, organiser les facteurs de désordre, « les anthropologues n’ont pas grand chose à dire sur la guerre ou sur le mal. De par leur formation et leurs outils intellectuels, ils ne peuvent rapporter que de « bonnes nouvelles », ce qui fait fonctionner et perdurer les sociétés si bien que leurs travaux ne donnent pas accès à la compréhension de l’histoire contemporaine » (Gillison G. 1999, 43).
D’après ce dernier auteur ce serait (encore) la faute au structuralisme de Levi-Strauss qui, en considérant l’inconscient vide de contenu et de même nature (secondaire et relationnelle) que la pensée consciente, élimine le conflit intra-psychique fondamental pour la psychanalyse. « Cette absence de conflit interne, qui fait partie des prémices du structuralisme, a eu comme conséquence directe l’impossibilité ce rendre compte du conflit dans le monde  » (Gillison G. 1999, 48).

D’autres anthropologues décrivent la construction de représentations collectives du fonctionnement psychique et des processus inconscients partout dans le vaste monde. Il est hautement instructif de comparer les représentations des composantes de la personne chez les Yafar du Sépik (Juillerat B. 1999), les objets de la référence de l’identité personnelle chez les Marind et les Wodani de Nouvelle Guinée (Breton S. 1999), et les représentations de l’inconscient chez les Otomi du Mexique (Galinier J. 1999) et les Tatuyo d’Amazonie (Bidou P.1999)
C’est bien parce qu’il n’y a pas plus de matière causale dans les hauteurs (au ciel ou dans l’élévation de l’âme) que dans les profondeurs (en enfer ou dans l’inconscient) qu’il faut l’inventer. On trouve partout, au ras des paquerettes de la surface habitable par le commun des mortels, des systèmes de représentations qui rendent comptes de qui arrive de heureux ou de malheureux. Ce qui oblige de diversifier les figures de l’Autre, les supposés agents de causalité des dites constructions et de les projeter le plus loin possible des sociétés humaines. Ces figures trônent dès lors dans les hauteurs célestes au titre de dieux uniques ou multiples, déterminisme astral, esprits aériens, ou encore de les loger dans les profondeurs abyssales ou les marges exotiques ou étrangères au titre d’ancêtres, d’esprits chtoniens ou démons divers. Les causalités décrite en termes de grands principes abstraits ne font pas exception au fait qu’ils sont des systèmes de représentations figuratives qui ressortent des mécanismes interprétatifs et projectifs. Ces mécanismes sont caractéristiques de la pensée paranoïde active dans les constructions de systèmes de pensée scientifiques ou délirants et souvent les deux à la fois. Une science est très difficile à distinguer d’un délire collectif.
Le fictif fonctionne comme producteur et organisateur du monde à l’échelle de l’humain. Ce fictif donne aux humains une prise sur ce qui leur échappe. La fiction est la conséquence du défaut fondamental de l’humain, de son manque-à-être constitutif. Le manque de connaissance, le défaut de savoir, entraine la nécessité de construire un savoir substitutif, sous forme des savoirs culturels dont les savoirs communs (populaires), les savoirs experts (scientifiques), et les savoirs traditionnels (sagesses) sont divers fleurons. Au niveau des individus, à entendre ceux qui dans la cure et dans les thérapies témoignent de la construction de leur savoir, il se manifeste que la construction de fictions opère dans l’inconscient dès les premiers moments de la genèse subjective. Ces premières fictions correspondent à ce qui est appelé « fantasmes ». Nombre d’indices laissent penser qu’ils contribuent aux premières tentatives de chacun pour construire un savoir substitutif au manque fondamental. Là ou il n’y a « rien », le fantasme advient. Le fondement de tout désir est la production d’un objet qui lui manque. Rêver de l’objet accomplit ce désir. La construction imaginaire de l’objet anticipe la jouissance de l’objet. L’imaginer c’est le posséder par la connaissance. C’est un effet de la pensée magique. Ce désir de connaitre qui vire si facilement à la volonté de savoir a depuis longtemps été modelisée. Le mythe biblique de la genèse de l’humanité s’organise autour du point central de la première faute. Elle s’origine d’une insatisfaction et de la transgression de l’interdit de consommer le fruit de la connaissance. On connait la suite de l’histoire et ses conséquences . Depuis, l’humanité n’arrête pas de travailler et de construire des connaissances. Emouvante tentative antique de trouver une cause pour une culpabilité liée à l’épistémophilie, en construisant la fiction d’une première faute.

Un thème épineux pour une anthropologie clinique prospective: la répétition

Tout clinicien rencontre dans sa pratique le phénomène irritant de la rechute de la maladie et/ou de la répétition du malheur. Dans toute une série de situations ce processus est prévisible, et le pronostic tout comme le traitement est largement déterminé par la connaissance du caractère répétitif du mal en question. Cette expérience de répétition entraine dans certaines pathologies des effets dramatiques. Il en est ainsi de l’évolution par poussées et rémissions des affections neurologiques démyélinisantes telles que la sclérose en plaques. C’est tout aussi vrai pour certaines formes de cancer et d’affections liées à la déficience immunitaire essentielle ou acquise. Ces pathologies lancent un défi non seulement à la médecine, mais aux sciences cliniques et autres sciences humaines qui s’interrogent sur les possibilités individuelles et/ou collectives de produire un sens pour une existence malgré la perspective du retour du mal. Il y a actuellement suffisament de situations d’individus et de collectivités à la survie précaire ou enfermés dans une perspective limitée pour que la fonction de l’attribution de sens en jeu dans ces situations soit considérée comme digne de constituer l’objet d’une anthropologie qui se prétend prospective.

Ce que les cliniciens constatent dans ces cas c’est la persistance obstinée des traces des antécédents dans l’actualité et dans la formation des projets. L’avenir ne peut être sereinement envisagé qu’à la condition de comprendre cette persistance du passé, cette damnation qui impose un destin pourri et finit par produire ce qui est redouté. Actuellement, ce mécanisme de répétition est dramatisé dans la littérature clinique par les recherches sur le syndrôme post-traumatique, inducteur d’un lourd destin. La victime d’un traumatisme a tendance à le repeter soit en tant que victime, soit en tant qu’agent. L’exemple qui à cet égard frappe le plus l’imagination collective est celui des enfants victimes de violences sexuelles. L’expérience traumatique les fragilise, et les amène à se sentir contraints soit à reactualiser les affects liés au traumatisme subi dans les circonstances qui le rappellent, soit à le remettre en scène sur le mode agi en imposant le rôle de victime à un autre. La connaissance du mécanisme en jeu dans des destins traumatiques individuels peut éclairer ceux qui se rejouent dans des destins traumatiques collectifs. La conscience du risque de répétition est au fondement du « devoir de mémoire » de l’ensemble des sociétés concernées par un traumatisme historique subi par un groupe de cet ensemble.

La répétition peut même oeuvrer dans les entreprises apparement les plus novatrices, les plus originales ouapparement les plus éloignées du risque de répétition. Elle s’impose par le retour d’une logique circulaire qui vient briser la continuité d’une entreprise à logique linéaire. Cette logique circulaire n’est pas nécessairement reconnue au moment de la réalisation du projet mais s’impose comme évidente lors du constat dans l’après-coup. Le résultat n’est pas nécessairement ressenti comme échec au moment de la prise de connaissance, mais comme résultat inattendu d’une logique méconnue qui oeuvre sous couvert de la logique connue. Cette logique méconnue, telle une volonté latente, a détourné à son profit la réalisation dirigée par la logique de la volonté manifeste. Le sujet entreprenant se trouve ainsi forcé de réaliser le désir d’un Autre dans le fait même de tenter de le déjouer. L’échec de l’entreprise voulue est en même temps la réussite de l’ entreprise sous-jacente. Devant le résultat inattendu, le réalisateur du programme insu peut s’écrier: « je n’ai pas voulu celà! » Cri d’autant plus pathétique que les effets sont contraires aux effets escomptés, et que le cri dit précisément: « C’est ce que je n’ai pas voulu qui c’est réalisé!. »Mais pour pouvoir dire cela il a fallu penser ce qui n’est pas voulu, et le représenter dans la mémoire sous la forme positive secondairement négativisée. Celui qui dit à un autre « Je ne veux pas te faire du mal » énonce sous la forme négative l’idée qui s’impose à lui sous la forme affirmative. « Je peux te faire du mal, parcequ’au fond je désire te faire du mal, mais comme je suis civilisé, je ne le ferai pas ». Dans la mémoire inconsciente la négation ne fonctionne pas.Un désir négativé garde dans l’inconscient toute la force d’un désir positif qui cherche à s’imposer quand l’occasion se présente, contre une volonté affaiblie.
Les exemples foisonnent. En s’acharnant à guérir le patient on aggrave son cas ou on le tue; en imposant son aide à quelqu’un pour le sortir d’un mauvais pas, on l’enfonce davantage; en voulant absolument améliorer la situation d’une collectivité, on aggrave son marasme. Toutes ces situations illustrent des attitudes prospectives dont le résultat est un échec d’autant plus cuisant que l’attitude était affirmée et apparement éclairée. Se voulant absolument l’agent du bien de l’autre le sujet bien intentionné ignore son désir inconscient tout comme il méconnait le désir de l’autre. Il méconnait que la relation entre son attitude prospective et ses conséquences n’est pas une relation de cause à effet simple, mais une relation à détours régie par les logiques de la contre-volonté (de son désir et de celui des autres). C’est pourquoi la formation d’un clinicien nécessite qu’il fasse l’effort de l’analyse, de la déconstruction des raisons de sa volonté de soigner, de soulager ou de guérir, et en savoir un peu plus sur son désir et le fantasme qui le soutient.
C’est l’observation d’une logique à l’oeuvre dans les répétitions malheureuses et dans le renversement du bien en mal, qui amène les individus concernés à se poser la question de la causalité et à y voir à l’oeuvre des processus quasi-intentionnels. Au plus la logique se vérifie, au plus les sujets impliqués recherchent un sujet à cette quasi-intention, un autre dans l’entourage ou un Autre. L’interprétation peut aller jusqu’au délire si rien ne la retient, et jusqu’au meurtre du supposé agent. Si c’est une collectivité qui se considère victime de la logique de l’Autre, la contagion délirante entraine suelquefois des massacres ou des génocides.
Dans ses conclusions à une recherche pluridisciplaine sur la causalité, un chercheur écrit: « Il est difficile de donner à la causalité un sens qui soit satisfaisant.(…) La causalité est phénoménale. Bien entendu, les significations accordées à la phénoménalité diffèrent: pour l’un le phénomène est ce par quoi se manifeste le réel, pour un autre c’est ce que l’imagination prête à la réalité, pour un troisième le phénomène est l’expérience constituée, ou mise en forme, par la raison.(…) La causalité est de l’ordre du paraître ou de l’apparaître et il reste à découvrir, si on le peut mais peut-être ne le peut-on pas, la réalité qu’elle recouvre. »Quant à la question de la nature de la relation qui relie ce qu’on appelle la cause à ce qu’on appelle l’effet, l’interprétation proposée (par les chercheurs collaborateurs à l’ouvrage en question) de la causalité nous permet de rompre une fois pour toutes avec les tergiversations concernant une définition a priori de la nature de cette relation, à l’aide de termes métaphoriques tels que ceux d’efficience, production, action, agent, facteur, force, energie, etc. Tous ces termes peuvent convenir et sont interchangeables, du moment qu’on n’oublie pas qu’ils ne sont que des images pour désigner- au niveau phénoménal de l’apparaître- ce qu’il reste à découvrir » (Franck R., 1994, 303, 304 et 307). Soulignons cette dernière phrase qui réduit les prétentions à hierarchiser les termes qui font office de métaphores. Si tous sont des images, aucun ne peut prétendre à un rapport privilégié avec ce qui reste à découvrir et ne sera peut être jamais découvert. En attendant ce qui ne viendra sans doute jamais les images aident à vivre!
Le fait qu’il ne s’agisse que d’images ne doit pas empêcher d’en tenir compte. Les images construite pour faire apparaître en tant que phénomène une causalité du mal dans la société servent à soutenir la vigilence à l’égard des mécanismes répétitifs sociaux responsables du malaise dans la civilisation(Freud,1930). Les images, les fictions et les montages échouent certes à imaginer et dire ce réel. Mais au moins elles le cernent par cet effort constant et au prix de cette vigilence indéfectible il est peut être possible d’en retarder un retour d’autant plus pressant qu’il est refoulé dans l’inimaginable et l’indicible. C’est le devoir d’une anthropologie clinique qui se veut prospective de diffuser le plus largement possible ses connaissance relatives à la construction d’une réalité humaine commune qui puisse autant que possible faire barrage à la répétition malheureuse de la violence du réel.

5. Quelques tâches pour une anthropologie prospective.

Une anthropologie prospective pourrait se donner comme tâche de comprendre à l’échelle collective, sociale et culturelle, les processus qui font que les bonnes intentions, surtout les meilleures, pavent l’enfer. Les intentions, surtout les bonnes, et pire, les meilleures, ne fondent que trop souvent les initiatives à orientation prospective qui visent le bien de l’autre. Que peut-on savoir du bien de l’autre pour le lui offrir ou le lui imposer? Nous pensons qu’une des tâches multiples d’une anthropologie prospective serait de construire des modèles acceptables pour le plus de monde possible qui modélisent des formules telles que « le mieux est l’ennemi du bien » et que « le meilleur accouche du pire ». C’est là, nous semble-t-il l’occasion de vérifier l’efficace d’une attitude prospective responsable par rapport à une vague orientation prospective ou une attitude prospective abstraite. Cette efficace se mesurerait dans la prévention des dérives des entreprises bien intentionnées, et dans l’observation judicieuse de la règle d’abstention dans certaines situations. Le vieux principe clinique du « primum non nocere » consiste à renoncer à utiliser un remède lorsque celui-ci risque d’être pire que le mal. On ne peut pas prétendre que ce principe fasse grande autorité dans la médecine contemporaine à haute technologie. La confiance aveugle dans les performances technologiques a déjà produit suffisament de méfaits pour en tirer des conclusions. Mais pour tirer ce genre de conclusions, il faut une certaine distance. C’est celle que devrait pouvoir prendre une anthropologie clinique prospective étayée sur la clinique et sur l’ensemble du champ des anthropologies. Les chercheurs de pointe en médecine ne sont pas naturellement disposés à se laisser inspirer de la prudence par des observateurs non médecins, c.à.d. moins engagés narcissiquement dans la course aux performances médicales. Mais peut-être seraient ils davantage sensibles aux énoncés d’un discours anthropologique prospectif dont ils seraient les partenaires. Qui sait?
Peut être serait il possible pour une anthropologie prospective pluridisciplinaire de construire des modèles de ce qui est possible ou impossible dans le champ des réalisations humaines. La prise de conscience collective des conséquences catastrophiques de la croyance de quelques illuminés en un « monde sans limites » est peut-être capital dans la construction d’un tel savoir. Celui-ci serait une science douée de conscience et comporterait des exigences éthiques dans son programme. Autant dire qu’une anthroplogie prospective n’est pas une science prédictive qui vise à améliorer aveuglément les performances dans quelque domaine que ce soit, mais qui incite à la lucidité.
Est-ce du pessimisme que de souligner les limites de la prospective et de faire de la limitation un devoir pour une attitude prospective? Ce serait plutôt du réalisme si ce terme désigne le fait de tirer toutes les conséquences de l’expérience de la réalité y compris et surtout des échecs qui infligent des blessures narcissiques aux experts, savants, spécialistes et autres apprentis sorciers qui croient tout savoir et veulent tout maitriser.

L’attitude prospective pourrait aboutir au refus de laisser carte blanche au hasard et aux illuminés et autres savants fous. Elle pourrait collaborer au travail social de transformer du destin subi en histoire agie. Elle implique un certaine connaissance des causalités en jeu. L’étude comparative des diverses théories de la causalité liées aux cultures constitue un objet de choix pour une anthropologie prospective. A cet effet, les chercheurs auraient à étudier dans les cultures les formes de la répétition de schèmes, la persistance d’engrammes, de traces et d’inscriptions, et à lire les signes qui annoncent la transformation de l’innovation en répétition. Et à cet effet, prendre en considération les pratiques traditionnelles du déchiffrage des signes, les mantiques, les divinations et les visions culturellement reconnues.
Ces études prendraient en considération les deux modalités de la répétition: la reproduction (la répétition à l’identique) et la reprise (la répétition analogique), pour étudier les conditions de réversibilité réciproques. Ces recherches pourraient aussi porter sur les récits et les mythes du destin de sociétés globales ou de collectivité particulières pour y répérer les manifestations de destins transgénérationels .

6. Conclusions.

L’attitude prospective dont il a été question ici n’a rien à voir ni avec une science fiction qui rêve du meilleur des mondes ni avec l’hallucination futuriste d’une maitrise sur le destin. On peut la souhaiter réaliste dans la mesure où elle tire des conclusions des expériences passées et aussi des expériences alternatives effectuées dans les diverses cultures mondiales concernant le renversement du temps linéaire en temps cyclique.
Une anthropologie prospective serait amenée à quitter les cieux académiques du savoir global pour descendre sur la terre de l’existence commune et se mettre à l’écoute du savoir local qui évoque les joies et peines quotidiennes.
Elle aurait à traduire d’une culture à l’autre, en prenant le plus grand soin de traduire correctement, les récits qui traitent de la prise des humains sur les destins malheureux. Elle pourrait contribuer à la circulation de ces savoirs et les mettre en dialogue plutot que de les mettre dans des boites étiquettées à l’usage des seuls disciples. Cette anthropologie serait responsable à l’égard de tous les informateurs du monde auxquels elle restituerait le savoir global construit à partir de l’étude comparative des savoirs locaux. Elle pourrait s’inspirer entr’autres par les préoccupations d’une anthropologie clinique, elle même en cours de constitution, qui se donne comme tâche de tirer les enseignements des diverses cliniques du monde.
Le but de toute clinique (moderne, traditionelle ou en mutation) est de comprendre les processus qui empoisonnent la vie des humains quelque soit le nom appliqué à leur souffrance (maladie, pathologie, handicap, disfonction, marginalité, déviance, névrose, psychose, possession, ensorcellement, souillure, perte de l’âme, etc) afin d’induire des processus thérapeutiques (de guérison, de soulagement, de réadaptation, de salvation, de récupération, de purification, etc). De manière très synthétique, la clinique a comme but d’ avoir une prise sur le malheur. A cet effet, elle construit des représentations des causes et effets dudit malheur, à l’usage immédiat des sujets qui le subissent et aussi pour communiquer entre collègues d’obédience diverse.
A cet effet la clinique mobilise tous les moyens possibles (chimiothérapies phytothérapies, pharmacologie, physiothérapie, psychothérapies, sociothérapies, ritologies, exorcismes, magies, transes, etc) dans le but d’activer l’efficacité symbolique et imaginaire en même temps que l’efficacité pragmatique de façon à produire une efficacité réelle ou effective.
Dans notre optique, une anthropologie clinique est d’office engagée socialement. Elle n’a qu’un intéret très limité si elle n’est qu’au seul service de la carrière des chercheurs, la renommée de leurs institutions ou de leurs factions disciplinaires. Cet engagement tient à l’atttude prospective, voulue, décidée, méthodique et critique. Une attitude prospective n’a de sens que si elle est directement articulée sur les réalités communes, individuelles et collectives.

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