Quel paradigme pour la relation à l’Autre, Démon ou Surmoi ?
Quel paradigme pour la relation à l’Autre, Démon ou Surmoi ?
Réflexions cliniques inspirées par
l' »Anthropologie du Don » d’ Alain Caillé .
Robert STEICHEN
Etat du 30 janvier 2002.
Après avoir lu le livre d’Alain Caillé , entendu son exposé et conversé avec lui, je me retrouve endetté à son égard. Car j’ai reçu un don, que j’ai accepté. Conformément au paradigme du don développé par Alain Caillé dans son ouvrage, je suis donc son obligé. Je lui dois un contre-don. Que puis je lui donner en retour? Qu’ai je à lui offrir?
Le plus simple serait de lui donner ce qui m’a été demandé par l’organisateur du colloque: un commentaire critique de son livre. Ce faisant je ne serai pas conforme au paradigme du don mais plutôt à celui du contrat. Or je ne suis pas lié par un contrat.
Je pourrais encore m’en tirer en me conformant au paradigme de l’échange, en lui donnant en échange de son savoir un échantillon représentatif du mien. Mais tel n’est pas l’objectif de cette rencontre.
Dans ces deux cas de figure, que ce soit en donnant un commentaire ou un bout de mon savoir je m’acquitterais de ma dette en lui donnant ce que j’ai. Il me reste une autre possibilité qui est de lui donner ce que je n’ai pas. Ce faisant je serai plus conforme au paradigme du don et j’aurai l’embarras du choix car il y a un tas de choses que je n’ai pas. Donner ce que l’on n’a pas, c’est la définition lacanienne de l’amour. En donnant ce que je n’ai pas, je suis tout à fait dans la logique de ce débat : l’amour a tout de même quelque chose à voir avec l’aimance dont Alain Caillé fait l’apologie. Je vais donc lui donner mon manque. Je partirai des doutes, des incertitudes, des questions que je rencontre dans mes pratiques de clinicien. C’est à partir de ce manque que j’ai lu son livre. Je cherche en effet dans les ouvrages de sociologie, d’anthropologie et d’autres disciplines des paradigmes pour témoigner de ma clinique auprès de non-cliniciens qui ne sont pas initiés aux complexités du discours psychanalytique.
Quatre paradigmes.
J’ai lu ce livre dans une optique utilitariste à la recherche d’outils intellectuels pour rendre compte de la pratique clinique. J’y ai trouvé un système de paradigmes constitué de quatre modèles de relations sociales utilisés en sciences sociales.
Dans l’ introduction l’auteur décrit les trois paradigmes des sciences sociales et en privilégie un parmi eux qu’il appelle le tiers paradigme. Dans le chapitre VI il en développe un quatrième : le paradigme du sacrifice. En regroupant tout cela j’en arrive à trouver un système de quatre paradigmes. Détaillons ce système à quatre possibilités :
Le premier paradigme est individualiste, utilitariste, contractualiste, instrumentaliste. C’est le paradigme du « chacun pour soi. C’est le paradigme du contrat.
Le deuxième est le paradigme holiste. Il explique les actions individuelles et collectives par l’emprise de la totalité sociale sur les individus. Il est décrit comme fonctionnaliste, culturaliste, institutionnaliste, structuraliste. Il impose le despotisme de l’obligation de la règle de la réciprocité. C’est le paradigme de l’échange.
Ce qu’Alain Caillé désigne comme le tiers paradigme est celui du don, de la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre. Ce paradigme est, selon Marcel Mauss, l’inducteur des alliances, des associations, du politique et du symbolique (de la réalité sociale comme intrinsèquement symbolique). Il se joue dans le champ méso-social et dans le sens horizontal.
Le quatrième paradigme est celui du sacrifice. Il se joue essentiellement dans les relations impersonnelles avec les instances supérieures. Cette relation est verticale entre acteurs dissymétriques pris dans des rapports hiérarchiques, tandis que les trois précédents paradigmes se jouent plutôt dans la dimension horizontale des relations sociales entre acteurs égaux.
Ce n’est pas exactement ainsi que Caillé l’a écrit mais c’est ainsi que je le résume pour y réfléchir.
Une question pour deux terrains.
La question qui oriente la réflexion qui suit est issue d’échanges entre cliniciens et sociologues au sujet du déterminisme réciproque entre le fonctionnement social et les attitudes individuelles. En l’occurrence, est-ce que les paradigmes des relations sociales correspondent à des modes d’organisation psychique ? La question n’est pas de savoir ce qui est premier , si les modèles sociaux conditionnent le psychique ou en sont l’expression. Il est logique de penser en termes de conditionnement mutuel complexe, mais ce n’est pas l’objectif de notre réflexion. Celle-ci a un objectif bien plus modeste et délimité. Ma question est : est-ce que mon matériel clinique me fournit matière à penser qu’il existe une relation d’analogie entre les paradigmes décrits par A. Caillé et les relations intrapsychiques. Plus précisément, les relations entre les instances psychiques sont elles comparables aux relations sociales ?
Plus précisément, ces paradigmes peuvent-ils contribuer à une anthropologie clinique ? Je définis celle-ci comme l’étude comparée des représentations et pratiques de guérison dans les sociétés technologiques et les sociétés traditionnelles? Cette recherche s’exerce sur deux terrains.
Le premier terrain est celui des modèles et des méthodes cliniques en Europe et aux USA : médecine, psychiatrie, psychothérapies, psychanalyse. Ce terrain est représenté par l’ample bibliographie théorique disponible et par mon propre parcours de clinicien successivement dans ces quatre domaines des techniques de santé physique et mentale au cours des trente-cinq années révolues.
Le deuxième terrain est celui des conceptions de l’ordre et du désordre et des pratiques de restauration de l’ordre coexistant en marge, en collaboration ou en opposition avec les précédentes. Il s’agit des médecines dites parallèles et pratiques de guérisseurs dans les pays industrialisés auxquels recourent massivement tous ceux qui ne peuvent être aidés par la médecine et la psychologie clinique officielle. Il s’agit aussi des représentations sociales et des pratiques dites populaires de phytothérapie, exorcisme, contre-sorcellerie, ritologie propitiatoire et apotropaïque, chamanismes divers dans des sociétés dites en voie de développement ou clivées entre des strates sociales bénéficiant des avantages technologiques et d’autres qui en sont exclues. Est-il nécessaire d’ajouter que l’intérêt pour ces dernières est largement motivé par le fait qu’elles sont de loin majoritaires sur la planète ? Pratiquement, mon matériel d’étude est constitué par des recherches de terrain successivement organisées dans quelques
sociétés sélectionnées en Afrique centrale, au Maghreb, en Amérique latine et en Asie himalayenne.
Dans ces domaines et sur ces terrains je rencontre un souci général constant qui est d’élaborer des représentations compréhensibles de l’origine du mal. Je parle ici de ce qui est généralement désigné comme malaises, malchances ou malheurs répétitifs ainsi que des affections chroniques sans diagnostic et des maladies incurables par les techniques opératoires tant de la médecine moderne que traditionnelle.
Les représentations de la causalité.
Les systèmes de représentations des causes sont multiples. Pour simplifier on peut distinguer quatre catégories: les causes divines, les causes spirituelles, les causes humaines et les causes naturelles. Apparemment ces causes s’échelonnent des représentations abstraites aux figures concretes. Encore ne faut-il pas se méprendre : le concept de nature n’exclut pas les précédents. Le concept de nature est une construction culturelle qui varie selon les cultures, ainsi que le montrent les recherches de P. Descola.
Plus précisément, je m’interroge sur les relations que les individus entretiennent avec ces instances causales invisibles, immatérielles, insaisissables localisées dans le monde environnant ou dans l’individu et qui fonctionnent comme causes de malheurs, agents de répétition malheureuse.
Pour désigner globalement ces agents, je propose d’employer le terme de l’Autre. La justification de cette appellation se précisera au fur et à mesure de cette réflexion.
Relations avec l’Autre extérieur .
Traversant les diverses catégories causales, nous trouvons là ce qui est nommé fatalité, déterminisme, hasard malheureux, malchance, mauvais sort, sortilège, destin funeste, adversité,… Termes bien insatisfaisant pour les victimes lesquelles se recherchent des représentations plus satisfaisantes, compréhensives, sédatives, anxiolytiques, si possible amendables et traitables. Il leur faut des lieux, des figures des raisons logiques et des scénarios. Ils cherchent à imaginer un Autre malin qui fonctionne à la manière d’ un autre humain. Il leur faut, diront les psychanalystes, une figure projective.
D’après le lieu matériel ou imaginaire dans lequel la cause du mal est localisée, la dénomination de l’Autre varie avec beaucoup d’inventivité . Le plus simple est de localiser L’Autre dans la figure concrète d‘un individu : l’inconnu, l’immigrant, l’étranger, l’ennemi, le différent, le double… Dans les sociétés à cosmologie et sociologie holistes, les causes du mal sont logées dans le monde environnant tant naturel que sociétal et spirituel. La compréhension des systèmes de causalité nécessite l’étude approfondie des croyances, mythes et cosmovisions populaires et pragmatiques (lesquelles réinterprètent les officielles en fonction des réalités locales). Les causes invisible du Mal sont répérées du côté des dieux, des démons, esprits plus ou moins liés aux lieux, âmes errantes des morts violents, des ancêtres supposés s’emparer des enveloppes corporelles. Les possédés sont traités par divers exorcismes et le guérisseur s’arrange pour récuperer l’âme de ceux qui l’ont perdu. Mais surtout, attentifs à prévenir pour ne point devoir trop s’hasarder à guérir, la vie quotidienne est infiltrée de règles compliquées destinées à harmoniser les relations entre les humains et la grande diversité des entités invisibles qui régissent le monde. Les rites de protection et de conciliation constituent nous trouvons un terrain fructueux pour étudier la pragmatique des paradigmes évoqués par Caillé. Ce terrain mythologique et ritologique est largement étudié par les ethnologues et suffisament connu pour ne pas nous y attarder ici. Ce qui est plus compliqué est le cas des relations avec l’Autre intérieur.
L’Autre intérieur.
Dans les sociétés dites “ individualistes ” qui nient l’existence d’entités invisibles et surnaturelles les choses sont intellectuellement plus simples à expliquer mais humainement plus difficiles à vivre. La cause des maladies chroniques sans symptômes objectifs ou sans étiologie reconnue est d’abord recherchée dans le contexte pragmatique, le style de vie et l’environnement du système familial, social et contextuel. On invoque le surmenage, le stress, l’hygiène de vie, les conflits relationnels, les contraintes, le harcèlement physique ou moral, etc. Si le repos, la relaxation, les exercices physiques, le régime, les sédatifs, les anxiolytiques et les antidépresseurs restent sans effets, alors l’hypothèse d’un cause interne au sujet est envisagée.
C’est là où les choses se compliquent. L’absence de reconnaissance dans le discours social officiel de l’Autre extérieur entraîne que ceux qui l’évoquent sont suspectés de processus paranoÏdes voire de délire de persécution paranoïaque caractérisé. La conception culturelle de la normalité réprime les mécanismes de projection et incite à privilégier l’intériorisation et le refoulement. On prend sur soi, on n’embête pas les autres avec ses problèmes, on s’isole avec son problème, on se replie sur son problème et on se retrouve dans un face-à-face angoissant avec l’Autre interne. Les psychiatres, psychologues cliniciens et psychanalystes rencontrent très communément des situations dominées par la culpabilité, l’autodestruction, l’autopersécution sous des formes plus ou moins spectaculaires. Ces situations illustrent la complexité des relations avec l’Autre intérieur.
La complexité est évidente dès les tentatives de représentation, de désignation, de figuration et de nomination de l’Autre intérieur. Il n’est pas évident d’en saisir la modélisation “ scientifique ”. Les psychanalystes lacaniens ont l’habitude de l’identifier avec l’inconscient en tant que “ ça y parle ”, soit l’ensemble des processus de l’inconscient “ structuré comme un langage ”, désigné comme “ lieu de l’Autre ”. Les psychanalystes freudiens qui modélisent l’inconscient en termes d’instances, évoquent les bouillonnements pulsionnels du ça et les contraintes autoritaires émanant du sur-moi. Freud a donné des descriptions saisissantes de la cruauté du surmoi qui reposent sur la figuration qu’en donnent les névrosés obsessionnels . Par ailleurs, Lacan a attribué au surmoi le rôle d’agent qui pousse les individus à rechercher leur propre malheur. Il désigne cette fonction comme “ pousse-à-jouir ” étant entendu que la jouissance en question est aux antipodes du plaisir. La jouissance vers laquelle pousse le surmoi correspond à “ l’au-delà du principe du plaisir ” freudien et à la jouissance en tant que reglée par la Loi. Il s’agit de la tendance à user d’un bien jusqu’à l’abus, jusqu’au terme de sa consommation donc jusqu’à son anéantissement. L’Autre intérieur est encore décrit comme “ l’étranger à soi-même ” l’agent de l’inquiétante étrangeté, cette part de soi bien connue mais refusée qui revient dans les rencontres avec les autres, comme retour du familier retrouvé dans la figure de l’étranger.
La cause du mal est alors identifiée à la contrainte interne, la compulsion au malheur (recherche active de l’échec), à un bourreau ou un tyran interne.
Le terme de surmoi, issu du vocabulaire freudien est entré dans le langage commun pour désigner cette contrainte interne (Avant, on parlait de la voix de la conscience, mauvaise conscience, juge interne…). Les lecteurs assidus de Freud, familiarisés avec le surmoi freudien, reconnaissent dans cette instance exigeante cruelle, méchante, sadique, l’effet de l’intériorisation des figures autoritaires, voire abusives et sadiques auquel le sujet a eu à faire à l’époque de son impuissance infantile. Pour rendre compte de l’intériorisation de l’autorité, Freud a construit le fameux mythe du père de la horde primitive, tyran tué et cannibalisé par ses fils, lesquels se donnent des lois aussi sévères que l’était le père.
Figures de l’Autre dans son versant surmoïque.
Très, vraiment très schématiquement nous pouvons distinguer trois figures de l’Autre tant extérieur qu’intérieur dans ses rôles de censeur, de juge ou pire de persécuteur :
Il peut être projeté à l’extérieur et imaginé comme une intention, un sujet pensant, une instance supérieure de nature spirituelle ou divine. Le Dieu du monothéisme chrétien et juif occupe très efficacement cette place. D’où le problème crucial auxquel étaient confrontés les croyants juifs pendant la dernière guerre : si Dieu pense et réfléchit il ne peut ignorer les horreurs du génocide juif. Soit il ne le sait pas, il n’est pas omniscient ou est trompé et alors sa nature divine est entachée. Soit il le veut et alors il est méchant, sadique, persécuteur. Dans ce cas il a partie liée avec les persécuteurs et se conforme à l’affirmation germanique du “Gott mit Uns ”. La relation entre les croyants et leur Dieu est résolument hiérarchique. La verticalité de cette relation correspond au paradigme du sacrifice : on y trouve le traitement sacrifiant, le sacrificateur, l’objet sacrifié et l’adresse du sacrifice conformément à l’analyse fournie par A. Caillé.
Une alternative qui permet l’économie de la relation sacrificielle est de maintenir la projection et de figurer l’Autre comme un agent humain doté de pouvoirs maléfiques, un jeteur de sorts ou un sorcier, commandité par un proche malveillant. Cette solution nécessite cependant l’existence d’un système collectif de sorcellerie en bonne et due forme. Remarquons que dans les sociétés holistes à sorcellerie, l’entrée en jeu du sorcier peut être analysée comme la conséquence d’une rupture de la règle de la réciprocité. Le fait que le groupe social se garde bien de démasquer et de sévir contre un sorcier que tout le monde connaît peut être interprété par la fonction sociale du sorcier. En tant que gardien du paradigme dominant, soit celui de l’échange soit celui du don, il châtie le transgresseur de la règle de la réciprocité.
Une troisième alternative est la modélisation de l’Autre comme un processus anonyme, désubjectivé, qui ressemble à une intention mais sans qu’elle émane pour autant d’un sujet pensant. A défaut de pensée il y aurait une logique automatique répétitive, un programme au sens informatique du terme. Dans le vocabulaire psychanalytique on parle de la logique de l’Autre, dont le surmoi est la figure qui nous intéresse ici comme facteur de malheur. Logiquement, la relation entre le moi et le surmoi n’est ni verticale, ni horizontale puisqu’il n’y a pas de véritable sujet en jeu. Mais suite à la figuration des instances (le surmoi, le moi et le ça) et l’imaginarisation du scénario dans lequel ils interagissent, la relation se verticalise. Dans le modèle imaginaire popularisé, le surmoi domine, le ça est en-dessous, et le moi est entre les deux. Bien sur, il s’agit d’images vulgarisées récusées par les modèles théoriques complexes et nuancés, mais qui sont opérantes pour le savoir commun qui s’est annexé les rudiments du vocabulaire psychanalytique et surtout pour les analysants tant qu’il n’ont pas déconstruit leur relation au surmoi.
Logiquement, le surmoi est nécessaire à la vie en société. Il comporte en effet un versant légal coexistant avec le versant transgresseur. Il ne pose problème que lorsque les deux versants fonctionnent excessivement. Cliniquement, les effets du surmoi excessif sont effrayants dans toutes les structures. Les névrosés obsessionnels souffrent de compulsions, écrasés par un surmoi qui fonctionne comme un procureur, un juge et un bourreau à la fois. Les névrosés hystériques s’épuisent dans la course incessante vers l’idéal. Ils se tuent dans la lutte pour l’enjeu phallique, c’est à dire leur perfection sans faille. Les pervers ont la réputation de ne pas avoir de surmoi. Ce n’est pas aussi caricatural.
Si le versant légal du surmoi peut sembler carrent étant donné l’absence de culpabilité, il n’en va pas de même pour le versant qui pousse à la transgression. Ils sont en proie au commandement de ce qui les pousse à jouir, qui les force d’aller toujours plus loin dans la mise en actes de leur fantasme, d’alourdir les scénarios sadiques, masochistes, fétichistes, voyeuristes, exhibitionniste. Ca peut aller jusqu’à la mort, la leur et celle de ceux qu’ils entraînent dans leur démesure.
Enfin, les psychotiques donnent littéralement à voir leur persécuteur interne en mettant en scène la figure délirante du meneur du complot dont ils sont victimes ou du persécuteur repéré dans la réalité. Ils s’épuisent à composer, transactionner, discuter, lutter avec l’Autre, de manière d’autant plus désespéré qu’il est identifié à Dieu.
Quel paradigme pour la relation à l’Autre intérieur ?
Le paradigme qui s’impose dans une verticalité imaginaire est celui du sacrifice. Le moi s’y trouve en mauvaise posture et peut en effet s’y trouver sacrifié. Il va même au sacrifice en chantant. Le moi se met même en position d’être son propre bourreau. Comment échapper à l’autodestruction ? En mettant en place un paradigme alternatif ?
Une alternative est celui de substituer le paradigme du contrat au paradigme du sacrifice : instaurer la règle du donnant – donnant. Le contrat cependant est toujours inégal, car le surmoi exige toujours davantage.
Une autre serait le paradigme du don, privilégié par A. Caillé dans les relations humaines. Comme le surmoi n’est pas un sujet et de plus inhumain, ce paradigme est impossible à instaurer dans la relation entre le Surmoi et le moi. Le surmoi, pourrait-on dire, ne fait jamais de cadeaux.
Quant au paradigme de l’échange réglé par la loi commune ? Ne serait-il pas davantage opérant dans la mesure où le Surmoi comporte un versant légal, voire légaliste ? C’est une voie explorée dans la cure qui tente de jouer le versant légal du surmoi contre son versant transgresseur. Concrètement il s’agirait de remplacer une relation au père imaginaire tyrannique par une relation au père symbolique de la légalité. C’est la scénarisation des deux relations dans le cadre du transfert qui est censé produire la substitution. Opération bien sûr très difficile et prenant beaucoup de temps.
Quel paradigme peut alors s’avérer plus ou moins opératoire ? Y en a-t-il un ? Que se passe t il dans un traitement psychothérapeutique ou dans une cure psychanalytique ? Car les sujets ont déjà essayé les quatre paradigmes pour sortir de leur souffrance.
Devant l’inopérance des paradigmes qui règlent les relations sociales entre agents humains, les relations inhumaines réclament d’autres processus. Dans un autre article nous avons décrit quelques-uns de ces processus que les sujets utilisent pour se protéger de l’Autre surmoîque. :
Projections (extériorisation) sur l’Autre (Dieux, esprits, etc) ou les autres (semblables, parents, voisins, etc)
Identification à l’Autre
Ritualisation et magie
Promesses, dons, sacrifices, compromis, contrats (toujours catastrophiques car l’exigence augmente, révisions constante des termes du contrat au détriment du sujet)
Déconstruction du Surmoi en ses composants (surmoi maternel, paternel imaginaire, paternel symbolique, Loi de la collectivité, impératif de jouissance DEFINIR JOUISSANCE.
Traversée du fantasme : démontage du programme de la jouissance et de l’impératif de jouissance.
L’efficacité symbolique comme échange entre signifiants.
Quel est le paradigme qui se montre efficace dans la cure psychanalytique et plus précisément opérant dans la traversée du fantasme? Pour y répondre il faudrait disposer d’un modèle simple et clair de l’efficace de la psychanalyse. S’il ne manque pas de modèles, ils ne sont pas faciles à décrire en termes évidents.
Une manière de s’y essayer sans s’y perdre tout à fait serait de dire quelques mots de l’opération de la métaphore curative ou substitution signifiante.
Pour l’introduire, il est commode de se référer au concept de l’efficacité symbolique construit par Levi Strauss. Ce qui justifie cette référence est le fait que le texte qui l’introduit est suffisament célèbre pour que je ne doive pas le résumer ici . Le processus décrit est celui d’un échange. Du point de vue phénoménologique, le lecteur comprend qu’il y a un échange entre le chaman et sa cliente. Ce n’est pas ce que veut dire le texte. L’auteur se place non sur le plan des phénomènes mais celui des structures. Pour avancer il faut savoir ce que désigne ce terme, concept classique et discuté. Disons, pour avancer, que la relation en question n’est pas celui entre les deux personnes (le chamane et sa patiente) en tant qu’acteurs sociaux mais entre sujets de langage c.à.d. entre usagers du langage qui sont façonnés, traversés, déterminés par le langage. Plus précisément les processus qui intéressent le structuraliste se jouent dans le chef de la patiente entre “ deux niveaux en correspondance analogique ”.
Dans le travail clinique, qu’il soit chamanique ou psychanalytique , on se propose d’amener à la conscience des conflits et résistances restés jusqu’alors inconscients. Mais ce n’est pas la connaissance rationnelle qui dissout ces conflits et résistances. Il faut pour cela une expérience spécifique au cours delaquelle les conflits se réalisent da ns un ordre et sur un plan qui permettent leur libre déroulement et conduisent à leur dénouement. Pour susciter l’expérience le thérapeute, chaman ou psychanalyste, tient un double rôle : sur le plan du discours il suscite un récit, et sur le plan du transfert le thérapeute devient dans l’esprit du malade un protagoniste du conflit. Dans les thérapies, les énoncés dans le discours (selon les cas, le récit du chaman ou le récit de l’analysant) rendent compte du scénario qui se joue sur la scène privée de l’inconscient. Dans la cure chamanique, “Ce discours se heurte à la barrière de l’inconscient, et il ne peut atteindre les complexes que par des actes, des gestes à charge symbolique, des contacts physiques élémentaires, des opérations concrètes à valeur de rite” Dans la cure les actes sont exclusivement des “actes du langage”, c.à.d. des paroles pleines qui engagent le locuteur dans sa parole.
La définition la plus précise de ce processus que donne Levi-Strauss est la suivante : “ L’efficacité symbolique consisterait dans cette propriété inductrice que posséderaient, les unes par rapport aux autres, des structures formellement homologues pouvant s’édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du vivant : processus organiques, psychisme inconscient, pensée réflective. La métaphore poétique fournit un exemple familier de ce procédé inducteur, mais son usage courant ne lui permet pas de dépasser le psychique” .
Y -a-t’il une technique de la “métaphore curative” qui serait la quintessence de l’efficacité thérapeutique ? Pourrait on l’identifier, la purifier en l’extrayant de l’ensemble des processus langagiers comme on isole les molécule actives à partir d’un substrat chimique impur pour en faire les médicaments ? J’ai entendu des collègues en discuter très sérieusement. D’un point de vue psychanalytique c’est une utopie de croire que l’efficacité symbolique puisse être concentrée dans des processus langagiers élémentaires qu’il suffirait de reproduire pour obtenir l’effet voulu. L’efficacité en question est lié à la scénarisation du conflit dans un cadre transférentiel spécifique.
Cette formulation est vague et donne lieu à de multiples interprétations et critiques. Parmi les interprétations, celle de la psychanalyse ne sont pas des plus évidentes. Mais quelque soit la difficulté un clinicien ne peut se soustraire à la tache de tenter de modéliser son action. Non pour la maitriser techniquement mais pour au moins ne pas freiner inutilement le processus thérapeutique. Il est important pour lui de se faire une idée des relations entre la parole dans la cure et les processus langagiers dans l’inconscient. Et cela sans oublier que la parole efficace n’est pas la “ bonne ” parole du psychanalyste, mais la parole “ pleine ” de l’analysant lui-même. Lacan a le plus fait travailler les cliniciens d’obédience psychanalytique. L’efficacité symbolique serait l’effet d’une métaphore, ou substitution signifiante. La substitution résulterait d’un échange de signifiants entre deux états du signifiant : d’une part, la chaîne signifiante constituée au niveau des phonèmes et, d’autre part, le cercle du discours constitué par des sémantèmes, composants d’un “ réseau des emplois ”. La chaîne signifiante est dite “ perméable aux effets de la métaphore et de la métonymie ”, tandis que le cercle du discours est le niveau où, du point de vue analytique, se produit le moins de sens, caractérisant la parole vide du discours commun. Le discours scénarisé du chaman tirerait son efficacité du fait qu’il mobilise des signifiants dans la chaîne signifiante qui noue le symptôme de la patiente. Tout ceci peut paraître bien compliqué, abstrait, voire délirant. Il faudrait longuement contextualiser ces énoncer et les dfiscuter. Nous n’en avons pas le temps et ce n’est pas notre objectif. Notre but n’est pas d’expliquer l’efficacité de la cure, mais d’indiquer que cette efficacité ne se joue pas au niveau des relations interindividuelles concernées par les paradigmes dont nous avons parlé jusqu’à présent, mais à un autre niveau. Et ce niveau où se joue l’efficacité n’est pas non plus celui des relations imaginées entre le moi et le surmoi, comme s’il s’agissait d’une relation intersubjective. Si nous avons emprunté cette voie de la scénarisation imaginaire c’est d’une part, pour mettre le modèle psychanalytique du conflit psychique à la portée d’une réflexion en termes de paradigmes sociaux, et cela jusqu’à se heurter à une limite, mais aussi pour rendre compte du fait que dans la cure les analysants construisent des représentations imaginaires du débat interne pour se donner une scène sur laquelle ils peuvent situer le débat interne, en saisir les termes et enjeux, et enfin déconstruire dans la mesure du possible la figure du surmoi plutôt que de garder avec elle une relation verticale écrasante et mortifère.
La psychanalyse dans le social.
C’est sur ce matériel langagier que travaillent longuement et difficilement les analysants en cure. De leur côté, les psychanalystes soutiennent le travail car ils mettent quelque espoir dans l’efficacité de la “ métaphore curative ”, c.à.d. la substitution de signifiants nouveaux à des signifiants anciens, de manière à transformer le système des signifiants ou le réseau des signifiants qui le définit comme sujet parlant et désirant. L’objectif de ce travail est de traverser le fantasme, prototype du réseau des signifiants, en construisant des modèles alternatifs à son sujet, en remplaçant les modèles en place par des alternatives de rechange.
C’est long, difficile, douloureux et coûteux. C’est moins commode que le recours à l’exorcisme ou au chamanisme. La nécessité d’un travail individuel est corrélée à l’idéologie individualiste d’une société qui a érigé le paradigme du contrat comme norme. C’est le prix à payer du fait de la perte des modalités thérapeutiques disponibles dans les sociétés à idéologie holiste recourant aux paradigmes de l’échange et du don.
L’échange des signifiants dans la substitution métaphorique dans la cure serait-il un reliquat holiste dans un contexte individualiste ? Il est tout à fait compréhensible que les progrès de l’individualisme, qui idéalise le narcissisme, aboutisse à discréditer la psychanalyse comme pratique de curation. Le social en poussant à la consommation propose de changer toujours de moyens et de biens au nom de l’idée que le neuf vaut mieux que l’ancien est plus performant du point de vue économique ce qui est en effet le cas pour les technologie nouvelles appliquées aux outils de la vie quotidienne.
Un avenir pour le tiers paradigme ?
Le tiers paradigme est il une solution ? Pas pour le rapport avec le surmoi. Même en dehors, dans les relations sociales, il est difficile, exigeant. Suppose en effet que l’on accorde de l’importance à l’autre, qu’on lui donne une place. Qu’on renonce à occuper seul toute la place. Suffisant pour rester son obligé , attentif à son désir. Etre endette et prendre sa dette au sérieux comme lien, rester le débiteur des autres et assumer cette dette, le rendre petit à petit sans l’annuler, c’est difficile car c’est mettre une limite à sa jouissance, garder un bien non consommé jusqu’au bout pour en faire un bien réservé pour l’autre, un don pour l’autre. Le rapport à l’autre à l’Altérite n’est pas le rapport aux autres dans la sociabilité ! Ce n’est pas parce qu’on fréquente beaucoup de monde, qu’on a un réseau social, qu’on est extraverti que l’on fait pour autant attention aux autres ou qu’on lui donne une place. Donner une place, c’est ne pas la prendre toute pour soi, laisser une place. Etre castré, limité, admettre la fonction d’un tiers, une règle de partage. Fonction paternelle(Colloque Articles La Pensée)
Mais il est plus douteux que ce soit aussi vrai pour les fonctionnements humains qui changent moins vite que les techniques. Après avoir épuisé tous les paradigmes évoqués dans l’ouvrage d’ Alain Caillé, que restera-t-il comme moyens pour se débrouiller avec le surmoi ?
La jouissance, le Nom-du-Père et le désir.
Il restera alors le paradigme de la jouissance, c.à.d. de consentir au surmoi, d’aller toujours plus loin, plus haut, plus vite, d’aller jusqu’à l’épuisement ou jusqu’à la mort…On peut facilement adhérer aux idées d’Alain Caillé malgré les critiques possibles, parce qu’il attire notre attention sur un paradigme ancien qui a déjà fait ses preuves. Le paradigme qu’il appel “ tiers ”, celui de la triple obligation du donner, de recevoir et de rendre peut être désigné comme second, plutôt que tiers, si on adopte une perspective historique. Si le premier paradigme, parce que le plus ancien, serait celui du sacrifice alors le second celui du don.
Echanger de la jouissance contre du désir. Dans la jouissance le jouisseur consomme son bien en bon égoïste dans son coin. Il ne tient nullement compte des autres. Dans une logique de la jouissance sans limites, il utilise les autres pour jouir encore plus. Il peut aller jusqu’à les réduire au statut d’instruments pour sa jouissance, voire jouir de leur corps, de leur douleur, de leur vie, de leur mort. Aux antipodes de la logique de la jouissance, la logique du désir renonce à consommer le bien. Celui-ci est gardé à la disposition des autres, il est réservé pour entrer dans des échanges, ou pour faire l’objet d’un don pour les autres. Il peut aussi constituer une réserve de survie en cas de disette, pour soi et les autres. Le bien réservé peut sceller une alliance, faire l’objet d’un potlatch, d’un échange commercial, accompagner les défunts dans leur sépulture ou encore faire l’objet d’une offrande aux dieux. La recherche psychanalytique s’intéresse tout particulièrement aux processus psychiques qui instaurent la logique civilisatrice du désir contre la logique sauvage de la jouissance. Tout comme les sociologues s’intéressent à la question de ce qui peut limiter des conduites de consommation au bénéfice de conduites de don.
Les psychanalystes modélisent l’instauration de la logique du désir par la métaphore du Nom-du-Père.
L’objet de l’échange dans la cure: le signifiant.
Dans les cures, les les objets de l’échange- du transfert- ne sont ni à proprement parler des objets matériels, ni des affects , ni des informations- mais des signifiants, c.à.d. des éléments matériels, dont des phonèmes, vecteurs de sens, de liens logiques dans un système de sens. Les signifiants tirent leur efficace du fait qu’ils représentent des sujets à l’intérieur d’un réseau de signifiants, c.à.d. d’un système de signifiants. Ils représentent des sujets auprès d’autres sujets dans un système relationnels tout comme les mots représentent des éléments de sens dans la phrase qui est le système de sens. Mots : phonèmes vecteurs de liens logiques, c.à.d. de sens. Les signifiants tirent leur sens du “ réseau des signifiants, c.à.d. du “ système langagier ” particulier dans lequel ils officient. L’ordre logique ou ensemble des lois régissant un tel système, c’est ce que nous appelons “ structure ”.
Forts de ce modèle systémico-structural il devient possible de définir la relation clinique par référence à cette vision des choses. La relation en question peut s’entendre comme la rencontre entre deux systèmes : d’une part, le système des énoncés concrets de l’analysant dans le cadre de la cure, et, d’autre part, le systèmes des énonciations qui traduisent en mots et images le programme du fantasme.
Dans le transfert : substitution de signifiants d’un discours par ceux de l’autre discours. Cette infiltration par substitution modifie peu à peu le discours en place. De la même manière qu’un part politique infiltré par des politiciens de la minorité se retrouve à un moment donné saturé des éléments infiltrants au point de changer. Il suffit que les politiciens infiltrants retournent leur veste au moment où ils sont majoritaires pour que la majorité change de politique de fait.
L’Autre intime se manifeste par la voix, les sentences, les ordres, les interdictions, les jugements que l’individu entend en lui comme s’ils étaient proférés par quelqu’un qui parle à l’intérieur de lui-même. La voix de la conscience des anciens “ directeurs de conscience ”. Se manifeste dans le dialogue, la discussion interne, la dispute, le conflit psychique.
Phénoménologie du conflit psychique.
Le psychanalyste est généralement consulté en dernier ressort, après avoir fait le tour d’autres cliniciens: médecins, psychiatres, psychothérapeutes. On vient le trouver lorsqu’il manque une représentation intellectuellement et affectivement acceptable d’un mal sans substrat objectivable dans le corps ou dans la réalité du contexte.
On vient parce qu’on s’est résigné à accepter l’idée que sa maladie était psychique, c’est à dire que la cause du mal réside en soi-même. Autant dire qu’on avec des pieds de plomb.
Ailleurs, dans d’autres sociétés, il y a d’autres possibilités. Là où on croit à des entités invisibles la cause du mal peut être attribuée à des agents dont il existe des représentations collectives: dieux, démons, esprits, ancêtres et forces ou énergies maléfiques.
Chez nous, où l’incroyance est érigée en croyance, ces ressources n’existent plus, du moins officiellement. Car en dehors des pratiques dites “ scientifiquement fondées ” il y existe bien sur des pratiques de guérison parallèles recourrant à des rites magiques. Dans le modèle de la névrose généralement accepté en occident, la cause psychique est considérée comme étant conflictuelle.
Le modèle freudien de la constitution psychique est suffisamment banalisé pour que les notions de Moi, de Ca et de Surmoi soient passées dans le vocabulaire commun. La vulgarisation du modèle tripartite entraîne une anthropomorphisation des parties qui facilite la compréhension des tensions et désaccords intrasubjectives. Le conflit en question se joue entre les instance et de manière simpliste l’image qui s’impose est celle du malheureux Moi tiraillé entre les pulsions du Ca qui lui viennent “ d’en bas ” et les exigences d’un Surmoi qui viennent “ d’en haut ”. En règle générale, la coexistence entre les trois instances ne devrait pas poser trop de problèmes. Le Surmoi il est même tout à fait utile. Ce qui pose problème c’est quand il en fait trop, devient excessif.
Expérience commune de l’existence de l’inconscient: les insomnies et les rêves. L’insomnie comme effet de dialogue. Au moment de s’endormir: voix qui rappelle le devoir. Transaction/ je te donnes un quart d’heure de travail ce soir, je me lèverai un quart d’heure plus tôt. D’accord, si je te donnes cela, tu me laisses dormir, tu me fous la paix? Nous sommes là au niveau du marchandage, du contrat, donnant-donnant.
L’autre exemple est le rêve.
Le dialogue interne et le rêve font poser la question? D’ou cela vient-il? Qui parle là? D’ou vient le rêve? Réponse, de l’inconscient. Ca parle, ca représente dans l’inconscient. L’inconscient est structuré comme un langage.
L’inconscient existe-t-il ?
L’inconscient existe-t-il ? Cette question m’a été posée publiquement par M. Singleton . La réponse fut instantanée et négative. Il me faut apporter ici les nuances qui ont fait défaut alors, et çela sans écrire un traité d’ontologie (sans contester que cette question mériterait néanmoins un traitement approfondi). Tout dépend de l’acceptation donnée au terme “ exister ”. L’inconscient n’a pas la consistance de la matière, laquelle existe au sens commun de l’objet de la perception (en oubliant que toute perception est déjà infiltrée d’interprétation). Il n’a certes pas le statut d’être auquel logiquement ne pourrait prétendre -s’il existe-qu’un dieu auto-suffisant et auto-référentiel. L’inconscient n’a pas non plus l’étoffe d’un sujet qui ex-siste par rapport à une référence extérieure (objets et autres immanents ou Autre transcendant). Il pourrait au moins exister comme objet construit par le discours d’un sujet ou, mieux encore, comme fiction consensuelle définie par quelques sujets collectivisés. C’est à ce titre qu’il circule comme notion dans le discours commun.
De manière empirique, tel qu’il se manifeste en clinique, l’inconscient in-siste. C’est son insistance à se faire entendre dans la répétition qui le fait exister dans la réalité des analysants. Il s’agit alors d’un automatisme de répétition, de conduites et idées compulsives. Les analysants qui en subissent les effets le désignent comme “ ça ” ou “ la chose ”. Pour eux, il ne fait pas de doute que “ ça ” existe. Même si cela les rend furieux, les désespère, même s’ils s’opposent de toute la force de leur raison et de leur volonté contre “ ça ”, cela est plus fort que la raison et la volonté conjugués. Pour le comprendre, ils se le représentent sous l’espèce de figures pour se l’imaginer et/ou de concepts pour le signifier pour d’autres. “ Ca ” fonctionne comme un processus logique, autonome et impérieux.
C »st structuré comme un langage, selon l’expression de Lacan qui ne fait que reformuler ce qu’en disent les analysants. L’inconscient c’est le nom donné à l’ensemble des lois qui organisent le système des manifestations (symptômes) auquel la clinique a à faire. La structure est une hypostase intellectuelle, qui désigne une logique de fonctionnement, qui impose sa loi au sujet. Si on est d’accord pour dire que ces processus existent, puisqu’il y a des gens qui en accusent les effets, alors l’inconscient existe au moins pour eux. Seuls ceux qui en subissent les effets sont vraiment aptes à en parler. C’est pourquoi on peut dire que la psychanalyse a été inventée par les analysants, plus précisément par les analysantes puisque historiquement ce sont d’abord les femmes qui en ont témoigné de la manière la plus convaincante (les hystériques pour Freud et les paranoïaques pour Lacan). Il existe comme objet d’expérience (sinon d’expérimentation) au même titre que la pensée, les sentiments, les projets, l’espoir, la douleur, l’amour et la haine, et tous les processus psychiques dont la réalité est attestée par ceux qui en font l’expérience personnelle et en témoignent par la parole. Il s’agit d’expériences subjectives qui ne peuvent s’objectiver que par la médiation du témoignage parlé adressé à un témoin dans une situation dite expérimentale. On pourra toujours récuser les témoignages et donc nier l’existence de l’objet construit par le témoignage. C’est ce qui fait la fragilité de l’existence de cette catégorie d’objets. La collectivisation massive, voire les preuves matérielles, ne peuvent convaincre ceux qui ne veulent rien en savoir. Comment s’attendre à la reconnaissance de l’existence de l’inconscient dans une société dans laquelle certains nient même la réalité d’expériences et de preuves d’existence historique de l’holocauste.
Pour terminer, nous faisons quelques allusions à l’anthropologie clinique en tant qu’inspiratrice pour une clinique anthropologique, dans laquelle il y aurait place pour une anthropologie du don et pour la mise en œuvre du paradigme du don .
