MEDECINE TIBETAINE ET CHAMANISME TANTRIQUE

APPROCHE DE DEUX FORMES DE THERAPIE TRADITIONNELLE AU LADAKH:
MEDECINE TIBETAINE ET CHAMANISME TANTRIQUE.
Notes de terrain de la mission au Ladakh du 16 mai au 11 juin 1996.

Robert STEICHEN
PSP/PCLI/CLAP
Université de Louvain

Dans ma conception de l’anthropologie clinique, je privilégie les conceptions et pratiques populaires plutôt que les théories et techniques savantes. Priorité donc du « savoir local » par rapport au « savoir global », car c’est le savoir partagé par le consultant et par le consulté (lequel se met au niveau de compréhension du consulté), qui soutient l’efficacité thérapeutique. C’est donc le « savoir partagé » en tant que « savoir efficace » ou système des « représentations opérantes » qui est pris en considération dans cette réflexion sur les pratiques traditionnelles de guérison.

1.1 Introduction: le mythe occidental de la sagesse orientale.

Au départ de cette recherche sur la réalité himalayenne, c.à.d. sur les représentations que se construisent pour leur propre usage les habitants de cette contrée du monde, se trouve une expérience clinique. En 1966, au retour d’un séjour de formation au Zaïre au contact de la psychopathologie africaine, je me suis trouvé impliqué dans la prise en charge thérapeutique de quelques victimes du mythe himalayen. Pour rappel, les débuts des années soixante étaient marquées par les mouvements sociopolitiques de contestation de l’establishment. La politique nord américaine d’agression militaire en Corée a produit aux états unis, et puis dans le monde entier, une attitude pacifiste contestataire. Les « flower people », les « hippies », les « baba cool » inventaient un style de pensée et de vie sous le slogan « Make Love, not War ». Ils se réclamaient des grandes figures de la non-violence, à la fois du Christ, du Bouddha, et du Mahatma Gandhi. Mais le paradis étant battu en brèche dans les sociétés de production consommation, le mouvement contestataire s’est trouvé des lieux mythiques pour supporter le rêve d’une société meilleure, sans violence. Le Tibet éveille depuis au moins cinq siècles, d’après les données disponibles, une fascination sur les voyageurs occidentaux. Il est possible de dresser l’histoire de la construction du mythe occidental du Tibet.
Depuis l’invasion du Tibet par la Chine en 1959, une propagande intensive fortement médiatisée a focalisé l’attention des occidentaux sur ce qui est devenu la « cause tibétaine ». La pays voisin du Népal avait accueilli un grand nombre de réfugiés tibétains. Il avait par ailleurs ouvert ses portes aux voyageurs occidentaux depuis 1954. Les « flower people » ont inventé le pèlerinage de Katmandu, comme voyage initiatique vers un autre monde. Certains en sont revenus transformés. Parmi ceux ci quelques uns ont atterri dans les services de psychopathologie.
Le « syndrome de Katmandu », familièrement appelé la maladie du « ganja-tantra » comportait deux symptômes majeurs : une dépendance à l’égard de drogues psychédéliques et des rêveries mystiques orientales. A leur réveil, ils témoignaient: ils sont partis chercher la « sagesse orientale » et ils n’ont découvert que leur incapacité d’occidentaux à entrer dans la logique de la réalité locale. Ils ont du renoncer à leur rêve d’une compréhension universelle des grandes vérités de la vie. La révélation était: « recherches en toi même ce que tu ne peux trouver en dehors de toi ».
Un clinicien ne peut prétendre soigner sans comprendre ce qui se passe. Une formation à la pensée orientale, plus précisément au Bouddhisme himalayen s’imposait dès lors.
Il me faudra attendre 1974 pour pouvoir passer des lectures théoriques aux observations sur le terrain, et vérifier la cohérence entre les idéologies colportées et les réalités sociales. Mes maitres à penser étaient des déconstructeurs de mythes. Tant le psychiatre Carlos Troch que l’anthropologue Armand Neven, dénonçaient en connaissance de cause les illusions des occidentaux et leurs effets pervers.

1.2. Le contexte et les antécédents.

Présentation de la recherche et du chercheur.
Recherche clinique et anthropologique depuis 1965. Deux terrains: cliniques psychosomatique, psychiatrique, psychologique et psychanalytique occidentales et pratiques de guérison traditionnelles « exotiques ». Terrains occidentaux : Europe francophone et anglophone, Canada et Etats Unis. Terrains exotiques: Afrique sub-saharienne, Maghreb, Amérique latine et pays himalayens.
Indonésie et Thaïlande 1974 : Symposiumreis des St Lukas Kliniek : Inleiding tot hindoeisme en boeddhisme.
Népal 1977: Studiereis van de Belgo-Nepal Friendship Association.
Ladakh 1996: Fieldstudy on traditional healers: lha-mo, on-po and amchis.
Nepal 1997: Fieldstudy on Tantric Shamanism and Traditional Healers;
Nepal 1999: Fieldstudy on Traditional Medicine and Shamanism.

1.3. La méthode de recherche.
Les antécédents de ma recherche clinique m’amènent à privilégier une approche qualitative à forte implication personnelle et prise en considération des effets de transfert et de contre-transfert.
Cette « méthode engagée » entretient des relations de sympathie avec la « méthode compréhensive » de Jean Claude Kaufman et celle de l' »anthropologie interprétative » de Clifford Geetz.

2.1. Présentation du terrain himalayen : le Ladakh.

Le Ladakh est un petit pays (à l’échelle de ses gigantesques voisins, la Chine et l’Inde) du plateau tibétain au Nord-est du Cachemire, enserré par les deux plus hautes chaines de montagne du monde, le Karakorum au nord et l’Himalaya, au sud.
Il jouxte la province chinoise du Sinkiang au nord, dont il est séparé par le Karakorum. Il prolonge à l’est le Tibet sous contrôle chinois depuis 1959 dont il est séparé par les hauts plateaux désertiques du Chantang. Sous contrôle de l’Union de l’Inde, le Ladakh est administré dans l’entité régionale appelée Jammu et Cachemire. Actuellement le pays est occupé par d’importantes concentrations militaires indiennes suite aux tensions locales, notamment entre le Pakistan et l’Inde.
La population ladakhi estimée à 150.000 individus occupe les vallées verdoyantes bordées de montagnes et plateaux désertiques. En effet, le pays manque de pluies, car la mousson qui monte du sud ouest ne parvient qu’à peine à dépasser les chaines de haute altitude. L’agriculture repose sur une gestion économe des eaux de fontes de neiges.
La société ladakhi se compose d’une grande majorité d’agriculteurs et d’éleveurs sédentaires dans les vallées et d’une petite minorité de pasteurs nomades sur le plateau tibétain.
Dans sa brande majorité la société est bouddhiste Mahayaniste (Grand Véhicule) et suit les principes du Vajrayana ou « La voie du diamant ». Les érudits qualifient cette voie de « tantrique et lamaïque ».
D’après le mythe d’origine du peuple tibétain « tous les hommes sont nés de l’union d’un singe et d’une démone des rochers. Le couple eut cinq fils ou cinq lignées (Rigs): le premier engendra la lignée des rois (Rgyal-Rigs); le second, celle des nobles (Rje-Rigs), le troisième, celle des lamas (Bram-Ze-Rigs); le quatrième, la lignée des hommes ordinaires (Dmans-Rigs); et le cinquième, celle des artisans (Gdol-Pa-Rigs) ». A cette dernière catégorie est rattachée celle des gens inférieurs qui sont hors lignée (Rigs-Nan). (TUCCI G. « The Theory and practice of the Mandala », Rider, London 1969,pp. 78-80).
La population est clivée en deux composantes nettement séparées: la population religieuse et la population laïque. Les moines vivent cloitrés dans les nombreux monastères construits sur des sommets et des lieux éloignés (Thikse, Lamayuru, Hemis, Hemis-gotchen,…).
La famille royale, exclue du pouvoir, a abandonné le palais royal de Leh et s’est réfugiée dans d’autres palais plus confortable. Les notables sont appauvris pour la plupart. Les gens ordinaires vivent sur le mode autarcique dans leurs fermes en économie fermée sur base de réciprocité des services. Les spécialistes religieux et laïcs que sont les praticiens traditionnels de la santé, c.à.d. les médecins-herboristes (Am-chis ou Sman-pa ou encore Lha-rje), les astrologues-devins (On-po), et les mediums ou oracles-guérisseurs (Lha-mo et Lha-ba) appartienent à la classe des gens ordinaires et non à celle des notables. Les basses castes assurent leurs métiers itinérants tels que chaudronniers (Mgar-ba), musiciens professionnels (Mon-pa) et travailleurs saisonniers.
Le dialecte ladakhi appartient au sous-groupe tibétain des langues tibéto-birmanes. Les Ladakhi scolarisés connaissent en outre l’Urdu qui est la langue administrative de l’inde, et des rudiments de Tibétain (au contact des réfugiés et des littéraires), de Pakistanais (au contact des commerçants ) et d’Anglais (au contact des voyageurs occidentaux).
Le Ladakh a préservé une culture authentique dans la pure tradition du Bouddhisme Tantrique. Cependant les signes de changement sont évidents.. Lentement mais inéluctablement la population est poussée à la modernisation suite à l’immigration locale de populations pakistanaises et indiennes de religion musulmane, activistes sur le plan politique et entreprenants sur le plan commercial. Néanmoins, à l’heure actuelle, le Ladakh reste considéré comme le dernier bastion de la civilisation tibétaine Lamaïque. Les chercheurs ethnologues y rencontrent à profusion des astrologues-devins, des herboristes -médecins traditionnels, des médiums -oracles possédés et des lamas pratiquant les cérémonies et danses rituelles (le cham) dans leurs monastères conformément aux préceptes du Vajra-yana, la Voie du diamant du Mahayana.

2.2. Le Tantrisme au Ladakh.

Le Tantrisme comporte une facette Hindouiste et une facette Bouddhiste sans qu’il soit possible de déterminer laquelle est antérieure à l’autre. C’est une notion mythifiée et stéréotypée en occident au point de nécessiter un effort de déconstruction du malentendu pour débarrasser le concept de ses surcharges d’exotisme, ésotérisme et érotisme. (cf. J. Cl. CIANCIMINO et A. NEVEN « Art tantrique et significations » in «  »Le Tantrisme dans l’Art et la Pensée », Société des Expositions, Palais des Beaux Arts, Bruxelles 1974.)
Le terme Tantra signifie en sanskrit « ensemble des moyens d’extension du savoir ». Il apparait dans les textes au 6me siècle après J.C. à l’époque de l’empire Gupta. Le contenu du terme est plus ancien et remonte au 1er millénaire avant J.C. décrit dans les Atharva-Veda. C’est un système de pensée issu des développements des enseignements ésotériques du Bouddhisme Mahayana ou de gnostiques Hindouistes.
Le terme Tantra désigne encore les textes et livres dans leur dimension matérielle. Ces textes prônent un empirisme psychique et prétendent fournir les moyens pour atteindre l’illumination ou la libération par un raccourci. Les tantrika cherchent à rompre le cycle infernal des renaissances (Samsara) auquel les contraint la causalité des actions personnelles (Karma). Ils pensent pouvoir s’identifier dans l’existence actuelle au principe universel. Le Tantrisme hindouiste est supposé promouvoir le retour de l’Atman individuel au Brahman universel tandis que le Tantrisme bouddhiste Mahayaniste aiderait l’adepte à rejoindre sans délais la vacuité universelle du Shunya.
Ce qui est particulier au Tantrisme est la conviction d’atteindre ce but sans renoncer ni aux passions, ni à la sensualité. Bien au contraire, il s’agit de les amplifier pour produire une enstase ( Cette notion est empruntée à Mircéa Eliade). L’enstase s’oppose à l’extase : elle est l’expression mystique dont l’objet se confond avec le sujet au lieu d’être extrinsèque à ce dernier.
Le Tantrisme comporte et associe les composantes et pratiques suivantes: le Tantra ou « ensemble des moyens pour étendre le savoir », les Mantra ou « formules mentales, intellectuelles », les Yantra ou « moyens visuels de contrôle et stimulation de la pensée par la construction et contemplation de Mandala ou diagrammes cosmiques », les Mudra ou « attitudes et poses physiques supportant la méditation » et, enfin, le Yoga ou « ensembles des moyens physiques de contrôle du souffle (Praana ou Rlung) et de la méditation susceptibles de produire l’illumination. Le Tantrisme Yogique comporte des tendances multiples et opposées : au courant intellectuel s’oppose le courant passionnel. Le premier privilégie le retrait dans la solitude, l’étude, la méditation des livres, tankas et mandalas. Le second recourt à des techniques d’enstase violentes, des techniques sexuelles (Shaktisme) et des pratiques macabres de macération et découpes de cadavres. Certains de ces débordements ont abouti à des pratiques antisociales qui ont provoqué des réactions d’interdictions de la part des autorités et surtout des répressions de la part des autorités anglaises.

2.3. Présentation du terrain local.

Le camp de base pour notre recherche en 1996 était situé à Sabu, village à 12 km de Leh. Notre équipe de sept chercheurs y était logée dans une famille de notables et participait à leur vie quotidienne. Notre médiateur européen était Jean Baptiste Rabouan, un photographe -ethnologue -voyageur. Notre médiateur-traducteur-informateur principal local était Nawang Tsering Shakspo, un intellectuel spécialiste de la littérature ladakhi, membre de l’Académie des Lettres du Jammu et Cachemire.

2.4. Le médiateur (Jean Baptiste Rabouan).

2.5. L’informateur (Nawang Tsering Shakspo)

2.6.Les informateurs -acteurs de terrain ( les praticiens traditionnels).
De Sabu nous avons rayonné dans les villages et monastères voisins en fonction des opportunités, festivals et possibilités de rencontres. De la sorte, ont été rencontrés :
– deux médecins tibétains traditionnels (Gso-Ba Rig-Pa): l’Am-chi de Leh (Amchi Tsering Puntsog) et la femme Am-chi de Hayu (haut Sabu),
– deux astrologues-devins (les On-po de Temisgang et de Nimmu),
– trois médiums shamaniques : les Lha-mo de Leh (faubourg), de Sabu (Sanom Sangma) et de Gogsum (le vieux Leh),
– un médecin allopathe : Tsering Amstok, M.D. du Sonam Norbu Memorial Hospital,
– deux ex-juges de villages (Go-ba) : Nawang Tsering Shakspo de Sabu et Tsering Wangchok de Nimmu.

En outre, nous avons rencontré et interrogé plusieurs lamas Gelukpa et Karmapa dans les gompa de Sabu (Palden Lama), de Leh, Hemis-gotsang, Hemis et Thiksé. Par ailleurs, nous avons assisté à diverses Puja publiques et domestiques, rites du Lha-chos (religion officielle) et Mi-chos (religion populaire qui conserve les rites animistes du BÖn prébouddique). Il nous a été possible de participer aux cultes quotidiens pratiqués dans les Lha-kang (sanctuaire domes-tique) et aux abords des Lha-to (dépôts sacrés dans et au pourtour des villages).

3. Les Lha-mo.

Les Lha-mo (féminin de Lha-bo) sont décrits dans la littérature ethnologique comme formes de chamans, d’oracles, de devins, de guérisseur ou de médiums. Les auteurs anglo-saxons les désignent volontiers par le terme « Faith Healers ». Ils sont tout cela sans doute, mais pour éviter l’usage inconsidéré du terme de chaman (à réserver aux praticiens du vol de l’âme des population de chasseurs sibériens, mongols et Inuits), je préfère les désigner comme médiums guérisseurs.
Nous en avons rencontré trois. Nous avons passé de nombreuses heures à observer les consultations, les rites de traitement, avons consulté nous-même, avons interviewé les Lha-mo et longuement discuté à leur sujet avec nos informateurs. Ce matériel recueilli sur place a été confronté depuis avec la littérature ethnologique.

3.1. La Lha-mo de Leh.

La Lha-mo que nous avons rencontrée en premier lieu ( Dolma Norben (fictif) le 22 mai 1996, à la tombée de la nuit) habite dans le faubourg sud de la nouvelle Leh. Ce quartier comporte des habitations construites avec des matériaux modernes (briques industrielles, boiseries de série et revêtements de ciment) mais respectueux des volumes, de l’agencement intérieur et de la décoration traditionnelles.
Elle reçoit dans sa cuisine-pièce de séjour. Elle officie sur une petite estrade recouverte de tapis élimés, face à son autel, à droite du poêle de fonte et devant le rangement des batteries de cuisine en cuivre.
La scénarisation est impressionnante. L’entrée en scène est orchestrée par la mère de la medium, une accorte matrone sure d’elle, au sourire satisfait retenu. Elle y est secondée par les trois enfants de la medium âgés de 10 à 16 ans. Un épais nuage de fumée d’encens remplit la petite pièce bourrée de visiteurs blottis contre les murs dans un coude-à-coude serré. La transe est fort active. La Lha-mo bat avec vigueur un tambourin à deux faces (damaru) pour ponctuer ses invocations lancées à haute voix. Par la suite, le même tambourin servira d’instrument thérapeutique. Elle prie en criant, chante à tue-tête, et au fur et à mesure du progrès de la transe, pousse des cris aigus stridents (les fameux « hiiik » proférés par les moines tantriques lors des cérémonies du Bar-do pour provoquer l’ouverture du vertex et favoriser l’échappée de l’âme du mourant. cf. Alexandra DAVID-NEEL, « Prêtres et magiciens du Tibet » Ed. du Rocher, Monaco 19.. ) En même temps, elle s’agite, se tord les mains et les bras, tremble de tout son corps (elle est dite « chevauchée » par le dieu, telle une « monture »). Enfin, au sommet de la transe, qui a pris un bon quart d’heure, elle revêt son costume rituel: la couronne aux cinq figures des « jinna » nouée autour du front pardessus le voile rouge qui recouvre la tête, la tunique rouge, la collerette brodée au motif de nuages. La touche finale est l’écharpe de soie blanche (kathan) déposé légèrement sur la tête par-dessus la couronne : bienvenue au visiteur divin.

Une bonne vingtaine de personnes dans l’assistance viennent la consulter. L’ensemble de la consultation a bien pris une heure et demie à deux heures au total, y compris le temps de l’attente au début.
Chacun, à tour de rôle, se prosterne devant la medium sans aucune gêne apparente eu égard au public, et aux étrangers, présents dans la salle. La pièce étant petite, les personnes présentes ne perdent pas une miette de ce qui se dit et se fait là. De temps en temps l’un ou l’autre visiteur pose au consultant une question qu’un observateur occidental qualifierait d' »indiscrète » à laquelle celui-ci répond publiquement. La réponse vaut pour tout le monde et se réfère à des savoirs connus de tous.
(Techniques utilisées lors des consultations.)
(Interview après consultations.)

3.2. La Lha-mo de Sabu.

La maison de Sanom Zangmo est située dans le bas du village de Sabu, dans un quartier de petites maisons traditionnelles datant d’une cinquantaine d’années, dans de petits lotissements poussiéreux délimités de briques, en bordure du sentier qui mène au village des réfugiés tibétains de Choklamsar. Nous y arrivons après une heure de marche difficile à travers un désert d’éboulis, dans la matinée du 23 mai 1996.
Sa demeure est plus que modeste. Or, Sanom Zangmo est une praticienne qui est beaucoup consultée car elle est réputée pour sa sagesse et sa longue expérience. Elle a en effet commencé à pratiquer son art à seize ans et est actuellement âgée de près de soixante ans. D’après mes informateurs, un(e) Lha-bo(mo) n’est jamais riche. Les clients payent dans la mesure de leurs modestes moyens et uniquement s’ils sont satisfaits. En pratique, le payement se fait soit en achetant au domicile du médium le Kathan qu’on lui offre en début de cérémonie, soit en déposant quelque menue monnaie dans un bol ad hoc disposé dans un coin, soit en lui apportant par la suite quelque cadeau utile: une volaille, une mesure d’orge ou de riz, une botte de légumes, des biscuits secs ou une conserve du marché.
Pratiquement, les médiums ne vivent pas de leur art mais de leur champ, de leur potager ou de leur troupeau. Les médiums sont des agriculteurs comme les autres, et leur art est une pratique complémentaire. En l’occurrence, Sanom Zangmo reçoit ses clients deux à trois matinées par semaine, pour une consultation collective d’une dizaine de personnes.
Elle a vraiment beaucoup d’allure, se tient bien droite et ses gestes sont mesurés. Son visage ridé est serein et hiératique. Son style est nettement plus sobre, retenu, digne que celui des autres deux médium visitées. La sobriété de sa mise en scène rehausse la présence personnelle de la guérisseuse. La mise en train de la transe est sobre, sans cris ni gesticulations. L’induction consiste en une longue prière continue à voix basse, faiblement modulée, rythmée d’un léger bercement du corps agenouillé. L’habillement se fait tout en priant, lentement. La transe est signalée non par l’agitation corporelle mais par l’agitation de la clochette rituelle (gantha) et le tournoiement de l' »éclair diamantin »(vajra). La gestuelle accompagnant les prières est particulièrement soignée, élégante même, et illustre parfaitement le concept tantrique de l’association harmonieuse (esthétisante en l’occurrence) entre les gestes, les positions corporelles et les formules rituelles (tantra-yantra-mantra) comme agents de transformation du praticien yogique en cours de méditation. Il peut apparaitre surprenant que cette ritualisation conçue pour induire la méditation soit utilisée ici pour induire une transe. En effet, le rituel d’induction des transes est généralement (dans la littérature éthologique comme dans mes autres observations de terrain) caractérisé par une certaine véhémence, voir violence, dans les soubresauts et tremblement du corps. Il faut se souvenir du fait que le but de la méditation tantrique est l’illumination, c.à.d. la visualisation et de la divinité tutélaire et ensuite l’identification à celle-ci. Cette étape de la méditation est une possession sans manifestations de transe. Certes, le public est quelque peu frustré du spectacle de la transe, mais la possession n’en est pas moins opérante. Le résultat en est que la cure apparait ici bien plus sereine. On peut supposer que les clients ont leurs préférences. Les uns ont besoin d’une « dramatisation » de leur cure, tandis que d’autres, au contraire, préfèrent un apaisement.
Remarquons également le style sobre de Sanom Zangmo en matière de techniques curatives. Elle ne pratique quasiment pas d’extraction du mal mais recourt à un rituel de la parole, privilégiant les prières aux esprits et les conseils aux consultants.

3.3. La Lha-mo de Gogsum.

La rencontre avec la troisième des mediums nous conduit dans le vieux quartier du haut Leh, un amas de maisons d’allure antique, accrochées en flanc de la colline rocheuse qui porte le monastère lequel domine les ruines du palais royal. Les maisons sont petites, vétustes, pauvres, et se confondent avec la poussière des collines. A Leh, le quartier des pauvres est en haut, sur la colline, et le quartier des nantis, on ne peut dire des riches, est en bas dans la vallée.
Nous sommes en fin de la matinée du 25 mai. Le soleil est déjà haut dans le ciel d’un bleu profond, et réchauffe même les membres engourdis. La maison à terrasse est facile à trouver: devant la porte au linteau consacré par des images et talismans poussiéreux, sur le sentier poudreux, s’agglutine une grappe humaine d’une quarantaine de personnes de tous âges, y compris les animaux domestiques. Les vêtements sont en guenille, les corps sont affalés, épuisés : cela ressemble fort à une cour des miracles. Tout ce petit monde bavarde gentiment, sans s’impatienter. Pourtant, beaucoup viennent de fort loin, ont passé une bonne partie de la nuit à trébucher dans les sentiers rocailleux qui montent vers le vieille capitale, et attendent là depuis quatre ou cinq heures. D’autres sont venus la veille et ont campé là. On s’amuse de menues choses, des gosses qui se font du charme, des chiots qui se disputent, un vieux qui grignote une curiosité alimentaire…
Le temps de l’attente est suffisamment long pour observer la population des consultants. Ils viennent par familles (pa-sphun) entières, quatre générations confondues. Ils viennent de loin, à en juger par les particularités vestimentaires des femmes qui portent les marques spécifiques de leur village d’origine. Les chapeaux (thebe-nakpo, hauts-de-forme à cornes en velours brodé), les bijoux (simples amulettes ou collier a turquoises brutes et corail avec boitier en argent), la tunique (gontcha de laine ou de coton), la cape (peau de chèvre, coton ou brocart chinois plus ou moins râpé), les chaussures (baskets high tech ou poulaines médiévales de feutre aux extrémités recourbées), etc., composent pour l’initié un système de codage explicite des origines et des statuts.
Enfin, la porte s’ouvre. On entre lentement, sans aucune bousculade. Les jeunes cèdent le passage aux vieux, et tout le monde s’efface pour les étrangers. La maison ne comporte qu’un seul niveau, comme toutes celles du quartier. La terrasse porte un lha-to de dimensions modestes. Par contre la maison croule sous la masse des drapeaux de prières. Aux quatre coins de la terrasse des faisceaux de branches tordues sont garnis de bouts de tissus de toutes les couleurs.
La foule est mollement dirigée par une vieille femme vers la cuisine. Tout le monde s’installe en se comprimant.
La lha-mo est déjà la, abimée dans ses préparatifs. Elle est d’un âge moyen par rapport aux deux précédentes: la quarantaine sans doute. Petite, rondouillarde, et sympathique, avec un regard vif argent, des pommettes toutes rouges et une petite bouche charnue. Pas du tout une allure mystique. Elle fait plutôt penser à une bonne fée de Walt Disney.
La séance ressemble dans ses grades lignes aux précédentes mais diffère par des détails, aboutissant à un autre style. Le rituel d’induction de la transe est intense mais relativement sobre par rapport à la première et bref par rapport aux deux précédentes. Peu de prières, pas de gestes, ni tambourin ni clochette.
Elle semble pragmatique et pressée d’arriver à l’essentiel. Presque tout le temps de la cérémonie est consacré aux consultations et aux traitements. Pendant près de deux heures sans désemparer elle s’occupe consciencieusement des trente quémandeurs ( il reste une dizaine d’accompagnateurs sans demande formulée). Elle les écoute, ausculte et soigne avec la plus grande des attentions. Ses techniques sont variées. Elle extrait le mal sous la forme d’un caillot sanglant, en l’aspirant fortement par un chalumeau de laiton appliqué sur la peau. Elle intimide l’esprit malveillant en appliquant la pointe d’un grand couteau sur la partie du corps qu’il hante. Elle conjure les effets du mauvais œil (du regard envieux) en nouant ensemble les médians des deux mains avec un fil aux sept couleurs. Elle façonne des amulettes à porter ou à déposer dans la maison. Elle bénit en projetant de l’orge et du riz. Elle donne des conseils ou des directives. Elle se fâche tout rouge sur un démon récalcitrant ou sur un consultant négligeant, etc. Sauf rares exceptions, les consultants ne quittent pas la pièce après leur passage. On reste donc solidairement comprimés pendant tout ce temps.

4. Analyse qualitative:

Trois médiums: une même pratique et trois styles différents, avec des variations adaptées aux publics et aux circonstances. Du moins, c’est ce qui ressort de la discussion avec les informateurs qui sont des consultants assidus des mediums. La comparaison entre les trois observations permet de dégager des constantes.
Dans ma tentative de compréhension, qui est déjà une tentative d’interprétation, je me réfère à six catégories: le contexte (social et culturel), le cadre (organisation spatiale et temporelle), la relation (rapports de force, transfert et contre-transfert), le mythe (système de représentations explicatives), le rituel (scénarisation, techniques et formules) et la compétence (récit de l’élection, la transmission, l’initiations et la formation).

4.1. Le contexte social et culturel.
Rappelons que les devins guérisseurs appartiennent à la classe des gens ordinaires et sont donc soumis aux règles de la société de réciprocité des services. Dans une telle société il n’est pas question de sortir de son rang. Et tout privilège matériel ou spirituel est sensé être réinvesti dans la collectivité locale. Le guérisseur a reçu son élection du dieu et son savoir faire par transmission familiale. Bien sur, l’individu élu peut se révolter contre cette élection, mais il ne peut s’y soustraire impunément. C’est la volonté divine qu’il se mette au service de sa communauté. La collectivité connait la famille du guérisseur, et le connait depuis son enfance. L’enfant du pays est solidaire de son groupe, et c’est cette solidarité qui assure et rassure sa clientèle. Et celle-ci le rémunéra quelque peu pour ses services, mais ce ne sera jamais son gagne-pain. Le guérisseur est et reste un cultivateur qui vit en famille de son fermage.

4.2.Le cadre spatial.
Le medium exerce son art dans sa ferme, dans le « pièce du foyer » (Can-sa). C’est la plus belle et grande pièce de la maison. Il constitue l’espace domestique et social de toute maison ladakhi. La maison (Khan-pa) est conçue et organisée comme un microcosme. Le foyer (Thab) est matérialisé par l’âtre et, dans les familles plus fortunées, par le poêle de fonte de fer décoré d’appliques symboliques et décoratives en laiton. Il est le « centre symbolique » de l’espace domestique. Il forme avec le trou à fumée au-dessus de lui (Dkar-kun) un axe cosmologique par lequel passent les communications avec le surnaturel.
Le foyer forme aussi un couple magique avec le pilier central en bois (Ka) qui supporte la poutre maitresse, qui elle même supporte la terrasse, sur laquelle sont dressés le sanctuaire familial (Lha-kang) et les autels des dieux (Lha-to).
Le couple foyer – poutre forme un bi-pôle qui délimite les deux extrémités de la frontière entre l’espace de la vie sociale (coté fenêtres) et l’espace domestique (côté porte). Le premier est valorisé comme « tête de ligne » (Gral-mo) et c’est là qu’officie le medium. Son autel est dressé devant le rangement des batteries de cuisine et la resserre aux objets liturgiques et précieux). Le deuxième est de moindre valeur et appelé « fin de la maison » (Khyim-mjug). C’est là que se pressent les visiteurs et clients du medium. (cf. Pascale DOLLFUS « Lieu de neige et de genévriers », C.N.R.S., Paris 1989, pp.131-137).

4.2. bis Le cadre temporel.

La séance de curation comporte trois temps de durée inégale et variable.

D’abord, la lha-mo induit sa transe par un rituel destiné à soutenir son identification à l’esprit possesseur. (Séance d’autosuggestion, dira-t-on ici).. D’après les renseignements obtenus, la lha-mo appelle son lha titulaire par son nom spécifique et par l’évocation de ses attributs. Elle lui offre son corps à la manière dont une monture se dispose à recevoir son cavalier, pour faire corps avec lui, le temps d’une séance. Fumigations, incantations, fabrication d’offrandes, battement du tambourin, mantra-tantra-yantra, cris d’ouverture du vertex, sont utilisés à cet effet. La possession est signalée par les manifestations visibles de la « transe »: des tremblements, des frémissements de tout le corps, une agitation motrice générale, un changement de la voix, le regard « extatique », les gestes « automatisés ».
Ensuite, la lha-mo revêt ses parures de possédée, signifiant par là clairement sa transformation aux yeux de tous. Son costume est à la fois une démonstration et une armure magique défensive. Il s’agit par celle-ci de contenir, de limiter les effets du dieu possesseur. Les habits sont similaires à ceux des lamas bouddhiques lorsqu’ils effectuent un rite magique (puja) adressé aux dieux locaux et lorsqu’ils conduisent les rites funéraires. La fréquentation des dieux est dangereuse, et il s’agit de contrôler par les vêtements le pouvoir du dieu possédant.
Enfin, la lha-mo pratique le divination et les techniques de guérison. La guérison n’est pas instantanée. Il n’y a pas de miracles. Le rite instaure un processus de guérison, plus ou moins long. Certains traitements sont très longs, durent plusieurs mois. D’autres sont expéditifs, à effets rapides. Le « patient » devra respecter des prescriptions d’actes sociaux (par exemple se réconcilier, respecter un engagement, réaliser une promesse, s’acquitter d’une dette, se séparer de mauvaises fréquentations), pratiquer des rituels (faire des offrandes ou un pèlerinage), ou encore suivre des règles de vie ou d’hygiène, voire consulter un on-po, un am-chi ou un médecin. Parfois aussi, le consultant est purement et simplement congédié par la lha-mo irritée par l’inertie du « patient » qui ne prend pas les prescriptions en compte. Une participation active des consultants dans le processus curatif est requise, conformément à l’idée centrale du bouddhisme de la responsabilité des humains dans la construction de leur karma.

4.3. La relation.
Elle est interpersonnelle et nullement anonyme, même si le dialogue medium-consultant est très limité. Tout le monde connait tout le monde. Pas de rapports de supériorité: tout le monde est du même milieu et l’étranger n’est pas autrement traité que le familier. Le respect est du au dieu possesseur et nullement au medium. S’il y a soumission, c’est à la parole du dieu qui utilise le véhicule du medium.

4.4. Le mythe (le système des représentations de la réalité invisible).

Dans ce vaste ensemble, je distingue le système de représentation des entités invisibles, celui des maladies et celui des causalités et des traitements.
(A développer)

4.4.1. Le système des entités invisibles au Ladakh.

Le monde invisible est organisé selon une division tripartite: le monde d’en haut (Stan-lha) est habité par les dieux des airs, nuages et cimes inaccessible (Lha).
Le monde d’en bas (Yo-khlu) est habité par les dieux des souterrains, grottes, puits et rivières (Khlu, correspondants des Naga népalais et hindous).
Le monde du milieu ou de l’entredeux (Bar-tsan) est habité par les humains et les entités invisibles qui les hantent et les doublent dans leur quotidienneté (Tsan).

Le Monde d’en Haut.

Les entités de ce monde ne sont pas les grands dieux clairement identifiés par leur iconographie codifiée et leurs attributs du panthéon hindou ou bouddhique (Chos-kyong), tels que Mahakala, Palden Lhamo, les figures du Boudda Maitreya (le bouddha du futur) et Dorje Chang, le Boudda créateur. Les Lha sont les divinités de la religion populaire (Mi-chos) liés à l’organisation sociale. Chaque palais, monastère, village, quartier, maison, famille, individu, possède son Lha spécifique. Chaque Lha possède son autel (Lha-to) et plusieurs Lha sont révérés dans les sanctuaires privés et publics (Lha-kang).
Chaque individu nait avec son dieu gardien (Skye-lha) logé dans son épaule droite tandis que son démon personnel (Drye) loge dans son épaule gauche. Une autre manière de se représenter ces deux divinités liées à l’individu est de faire correspondre le Lha au corps et le Drye à son ombre portée au sol.

Chaque maisonnée (Pha-spun), comportant plusieurs maisons (Khan-pa), possède son ou ses Lha, particulièrement honorés le jour de l’an (Phar-la). Les Lha ne sont que rarement figurées. Sur les peintures (Thang-ka) elles apparaissent sous l’apparence de figures humaines ailées et aimables.

Le monde d’en bas.

Les Khlu sont zoomorphes et la plupart ont l’allure de poissons, de lézards ou de serpents. Ce qui fait qu’au Ladakh on ne mange pas les poissons et on évite et honore les ophidés. Ils fonctionnent dans un rapport de double aux humains: toute blessure accidentellement infligée à un Khlu entraine sur le corps de l’auteur d’une lésion correspondante, mais amplifiée. Si vous avec un bras fracturé c’est que vous avez blessé un Khlu au membre correspondant. Dans ce cas, il faut se propitier les Khlu avec des prières et des offrandes. Ils sont friands de céréales, fruits, du santal, des pierres fines et des métaux précieux. Ces ingrédients sont rassemblés dans des poteries (Pum-pa) façonnées à cet effet par les moines des monastères, et déposées par les particuliers dans les sanctuaires champêtres (Khlu-bang). Les Khlu ont une aversion du sang et de la viande, et il faut dons y faire attention lors de leur écoulement ou élimination. Ils redoutent également le métal, les couteaux et tous les objets tranchants. Il est donc imprudent de nettoyer les instruments agricoles dans les rivières. Les femmes sont considérées comme entretenant des liens de familiarité avec les Khlu ce qui est démontré au grand jour quand elles coiffent leur couvre-chef spectaculaire en forme de serpent de tissu rouge recouvert d’écailles de turquoises (Perak).

Le monde du milieu.

C’est le monde de la coexistence quotidienne et omniprésente des humains et des entités invisibles qui peuplent tous les coins et recoins du monde visible.

Déjà les humains ne sont pas aisés à comprendre, mais la compréhension des Lha-tsan, ou plus simplement les Tsan, est encore bien plus ardue. Les Tsan, comme les humains sont équivoques: ils comportent une facette rassurante, familière, et une autre, inquiétante et étrange. Vus de face, ils sont beaux, mais dès qu’ils montrent le dos il se révèlent horribles. Aussi vaut il mieux de ne pas les voir sous cet angle. En effet, le curieux ou le trop perspicace risque de perdre son âme (Blha) sous le choc d’une forte frayeur. Et l’âme ainsi détachée risque fort de s’enfuir en toute vitesse, d’errer n’importe où et devenir la proie des Tsan ou autres esprits ou sorciers amateurs d’âmes. Leur dos est ouvert sur leurs entrailles, et on voit donc les humeurs internes à vif. Ce spectacle est la cause de morts violentes. Et les morts par frayeur, à l’instar de tous les morts par décès violent (par meurtre, suicide, accident, etc) deviennent à leur tour des Tsan. Les Tsan sont ainsi des esprits errants, malheureux qui cherchent à se venger de leur malheur en répétant leur expérience catastrophique au détriment d’autres victimes.
Cependant, quoique tous effrayants, les Tsan ne sont pas tous malfaisants. Quelques-uns sont même protecteurs ou aidants pour les humains qui surmontent leur peur et se les propitient. Cependant, la politique générale des humains à leur égard est de les tenir à distance respectueuse par toutes sortes de stratagèmes. Le plus utilisé est le leurre. Sachant que les Tsan ne se fréquentent pas entre eux, on les éloigne des maisons en leur faisant croire que ces maisons sont occupées par leurs congénères. A cet effet on entoure portes et fenêtres de bandes de peinture en ocre rouge, on peint sur les façades des svastikas, des cercles ou des figures de gardiens armés, ou encore, on surmonte les murs de cônes en pierre peints en ocre rouge (Tsan-dos).

Les Bul-yul-pa sont des entités invisibles supposées heureuses dans un monde parallèle heureux.

Les Sman-mu sont des êtres invisibles féminins qui rodent dans les montagnes avec les troupeaux de bouquetins qui leur servent de monture. Elles recherchent à l’occasion le contact avec les humains et séduisent les hommes. Leur particularité est d’avoir un tout petit vagin, ce qui nécessite une certaine assiduité de la part du mâle. D’ou l’expression « amant de Sman-su » qui est l’équivalent de notre « un chaud lapin ». Parmi les Sman-mu le personnage de Tebrang est un personnage de légendes.

Les Ba-lu sont des lutins réputés travailleurs, responsables des modifications dans le paysage ou dans le village qui ne peuvent s’expliquer autrement.

Les Lha-dol sont des « fantômes » causes d’événements nocturnes anormaux. Ils ont une forme animale. On se défend d’eux en lâchant dans le coin des chiens maquillés en esprits avec du rouge sous les yeux. Ces entités sont supposées hanter et persécuter les humains (comme les « Poltergeisten » de tradition germanique).

Les Shin-dre sont les âmes errantes des morts qui, sans être décédés de mort violente, ne trouvent pas le repos du fait d’une insuffisance des rites funéraires ou du fait d’un incident dans le processus de réincarnation (manque de formation de vie à proximité). Comme ils sont dérangeants pour les vivants, on les tient à l’écart en les menaçant avec des pièces de métal (fer, acier) ou s’exhibant nu. Effrayés, ils s’encourent au spectacle des organes génitaux.

Les Rgyal-po sont des entités invisibles supposés gardiens des biens et des propriétés et ennemis des voleurs. Ils peuvent prendre l’aspect de taches de lumière dans la nuit suggérant la lueur des lanternes de veilleurs. Parmi eux, la figure de Pehar est populaire: il est le gardien attitré des biens du monastère d’Hemis. Il faut penser qu’il a perdu de son efficacité à en croire les récits de vols d’objets de cultes, perpétrés par les moines, et revendus aux voyageurs occidentaux.

Les Srin-po et Srin-mo sont des ogres et ogresses amateurs de petits enfants. Les plus dangereuses sont les Dze-mo qui prennent l’apparence de belles jeunes filles pour s’approcher des petits enfants qu’elles emportent pour les déguster dans leur retraite.

Enfin, il faut encore citer les Ro-lan qui sont des morts-vivants.

Outre cette panoplie impressionnante d’entités invisibles ou à apparence empruntée, les Ladakhi doivent se débrouiller avec des influences néfastes d’origine humaine, que les informateurs rangent dans la catégorie fourre-tout « envie et sorcellerie ».

La Mi-kha est la parole envieuse, qui, à peine prononcée, prend son envol sous la forme d’une entité noire à tête d’oiseau, qui tournoie au-dessus de l’assemblée complice avant de tourmenter sa proie, et la pénétrer si elle ne résiste pas.

Le Mik-pokches est le « mauvais-œil », le regard envieux méchant et empoisonné qui flétrit et empoisonne ce qu’il regarde. Les victimes toutes désignées du mauvais œil sont les jeunes, beaux, riches et heureux. La défense recommandée est de suspendre un phallus en bois (Mdje) à l’extérieur de la maison, au-dessus de la porte.

Les Rdung-djong-ma, c.a.d. littéralement « celles qui chevauchent la poutre », sont des sorcières, des vieilles femmes qui connaissent les maléfices magiques et se réunissent en réunions « sabbatiques » qu’elles rejoignent sur la poutre centrale de la maison ( sans que pour autant la maison ne s’écroule lors de cet emprunt).

Les Gong-po et Gong-mo sont les sorciers et sorcières animé(e)s par l’envie. Leur mauvaise pensée (Sems) s’introduit dans le corps de la victime pour y produire le mal, le malaise, la maladie ou le malheur. C’est une forme de possession pernicieuse qui nécessite des rites d’exorcisme. La force de la mauvaise pensée, appelée « ombre du dos » (Gyobi-trimak), dépend de celle du démon titulaire (Dre) du sorcier ou de la sorcière. Cet exorcisme est de la compétence des Lha-po et Lha-mo, et aussi des Lama exorcistes.

4.4.2. Système de représentation des états d’âme et maladies au Ladakh.

Je dresse ici un inventaire élémentaire des représentations de la maladie recueillies auprès de mes informateurs. Ici, ces données de terrain compliquées et contradictoires ont été ordonnées en fonction de diverses informations et lectures ethnologiques. Parmi celles-ci les plus pertinentes sont proposées par Kaplanian P. et Raad G. « Quelques catégories psychologiques » in « Ladakh: de la transe à l’extase », Domaine Tibétain, éd. Peuples du Monde, Paris 19.., pp. 77- 83.

Dans la conception de l’Hindouisme le terme Karma désigne l’enchainement des causes et effets dans le destin individuel. Il est l’agent du Samsara le cycle des réincarnations successives qui traduisent dans la réalité les effets du Karma. Mes informateurs Ladakhi le traduisent par « destin » et par « chance », la loi logique de la transmission transindividuelle de la responsabilité des actes. Le Karma est supposé responsable des « maladies karmiques », c.à.d. causées par les actes mauvais posés dans une vie antérieure ou la vie actuelle.

Le terme le plus courant correspondant à la notion de maladie et de malheurs (associés en un seul concept) est Snot-pa. Ce terme désigne (d’après Kaplanian) « toute forme de dommage du aux entités surnaturelles telles que sécheresse, pauvreté, mort d’animaux, maladie physique ou mentale ». Mes informateurs nomment comme synonymes : les catastrophes, les cataclysmes, les désastres, c.à.d. les malheurs soudains et massifs touchant la vie. C’est donc une catégorie extrêmement étendue des formes du malheur, de ces causes et de ses remèdes.
Les désordres physiques et les fluctuations de la santé humaine ressortent de deux catégories: les maladies de cause surnaturelle, les Snotpa, et les maladies de cause naturelle. D’après la médecine tibétaine, les Snotpa constituent le quart des maladies humaines.
Elle distingue en effet 404 formes de maladies: 101 guérissent d’elles mêmes, 101 sont curables par le traitement médical, 101 sont incurables et 101 sont les Snot-pa. Les curables sont du ressort des Am-chi (ou Sman-pa). Les Snot-pa sont traitées par les astrologues-devins(On-po), les medium-oracles (Lha-bo et Lha-mo) et Lama compétents pour le rituel pratique du rituel adéquat (Skurim ou Rimdro).
Dans la plupart des maladies il y aurait une association entre les causes naturelles et surnaturelles.

Les Mirdeches sont les malaises annonciateurs d’une possession: anxiété, trouble et confusion dans les idées, insomnies et cauchemars, agitation nocturne, sont les signes d’une crise imminente et réclament l’attention. Ils sont sans doute les manifestations d’un désordre (Parchat) causé par une mauvaise rencontre.

Le Nam-stok est la disposition d’esprit qui confère la réalité et vérité au système des représentations sociales, en l’occurrence, les système du monde des entités invisibles. Il s’agit de la foi, de la croyance (appelée péjorativement « superstition »), de la position subjective d’adhésion aux conceptions proposées, de la conviction intime, de l’acte d’engagement suite à l’initiation, l’apprentissage, l’éducation, l’identification, les études ou toute autre forme d’élection. Le Nam-stok est la condition sine qua non de l’efficacité des causes surnaturelles, il est la condition d’apparition des Snot-pa. Il est possible, mais exceptionnel, d’après mes informateurs, qu’un Snot-pa puisse atteindre un individu dépourvu de Nam-stok.

Le Spar-kha désigne « le front », et, par métaphore, le pouvoir de la volonté, le pouvoir spirituel, la spiritualité, le moral, la force morale, le courage. Il quantifie la force morale: le Spar-kha est dit haut ou élevé (fort) ou, au contraire bas (faible). Le mat de prières (Dar-chok) sert de métonymie pour le Spar-kha. Ce mat porte une bannière verticale composée de drapeaux à prières de cinq couleurs. Ces drapeaux sont ornés du Lung-ta, le cheval du vent porteur des joyaux spécieux, et de Sngaks-mantra, formules de prières. Le fait de planter ce mat sur une hauteur, sur un sommet dominant la maison, sur le toit de la maison, sur un arbre, sur un col ou sommet voisin, tout comme le fait d’y construire des Lha-to et Lha-kang augmente, élève la quantité du Sparkha. La qualité du Spar-kha d’un dévot résulte de la hauteur quantitative de l’implantation de ses drapeaux à prière.

Le Parchat est le désordre, le dérangement subit qui vient interrompre le cours normal des évènements, ce qui vient déranger une action mentale ou une méditation. C’est l’incident qui trouble une cérémonie en cours. C’est ce qui « tombe dessus », la « mauvaise rencontre.
Le Parchat est le désordre causé par l’irruption d’un démon (Dre) dans l’ordre des choses, et il est à son tour la cause du malaise individuel (Mirdeche).

La Mikha, l’envie sous la forme de la « parole envieuse qui s’envole tel un oiseau noir », évoquée plus haut, et le Mik pokhes , la « frappe de l’œil », l’effet du regard envieux, émanant d’un(e) sorcier(e) Gong-po ou Gong-mo constitue le vecteur le plus dangereux de l’intrusion d’un démon Dre dans l’ordre des choses.

Pour compléter le système de représentation des maladies et des malheurs, il faut encore ajouter la notion du Sems . Il s’agit de la pensée, de l’esprit ou de l’âme (ces trois termes reviennent en même temps dans les dires des informateurs, sans distinction claire).Plus précisément, il s’agit de la pensée en tant qu’elle se matérialise et produit des effets. C’est la pensée qui sort substantifiée de la tête du penseur pour entrer, portée par la « frappe du regard » ou par « le vol de l’oiseau noir », dans la tête de la personne que regarde ou laquelle pense intensément l’émetteur. Le Sems serait ainsi le vecteur de la possession par le Dre, logé dans « l’ombre du dos » du (de la) Gong-po (mo).

Ceci permet de dresser le schéma d’une vue d’ensemble, une « pathographie », de la maladie-malheur surnaturelle.

Le démon (Dre) du sorcier(e) Gong-po(mo) envieux serait transporté par sa pensée (Sems). Par l’intermédiaire du regard envieux(Mikha) ou de la parole envieuse (Mikh-pokhes) qui frapperait la victime, le Dre pénétrerait dans celle-ci. Cette intrusion se produirait à l’occasion d’un désordre événementiel (Parchat) et elle causerait le trouble ou la crise (Mirdeches) chez la personne. A ce moment sont sort dépendrait de sa croyance (Nam-stok) et de sa force morale (Sparkha) . Un Nam-stok élevé le fragiliserait, mais un Sparkha élevé le protègerait.

4.4.3 Le système de représentation des causalités et remèdes (interprétation globale).

Le Karma, le déséquilibre humoral, la possession démoniaque, les agressions d’une divinité courroucée sont, d’après Dollfus, p.73, les principales causes de maladies. Il faut cependant élargir la panoplie en tenant compte des données du terrain.

1. Les astres: almanach, astrologie, On-po
2. Dieux du Lha-chos: prières, offrandes
3. Divinités du Mi-chos et esprits, démons, etc: prières, offrandes, injonctions, exorcismes, amulettes, techniques apotropaïques
4. Mauvais oeil, envie : techniques magiques, nouage, coupures, amulettes, etc.
5. Karma: prescriptions du Dharma
6. Poisons: aspiration du mal (via chalumeau et damaru), émétiques et laxatifs
7. Déséquilibre des humeurs: médicaments Amchi
8. Maladies du corps: médicaments Amchi ou allopathiques.

4.5. Le rituel du Lha-Bo (mo)

Rites et techniques hérités du rituel des Bön-po ( héritage partagé avec les Sgnags-pa ou moines bouddhistes tantriques) directement déterminés par les phases du cadre temporel et par la cause du mal révélée par la divination.

1.Rites d’induction de la transe: fumigations, incantations, invocations, musique, chant, mantra-tantra-mudra, cris d’ouverture du vertex, etc.
2.Rite d’investissement de l’entité possédante: le costume, la parure, la transformation physique
3.Rites divinatoires: lecture de la disposition des grains de riz sur le damaru ou s’écoulant entre les doigts.
4.Rites thérapeutiques:
-Rites à visée symptomatiques: apaisement, renforcement de l’état général par citation de mantras et pratique des mudras, scandées avec l’accompagnement du tambourin (damaru)
-Rites à visée causale: Extraction du mal par aspiration par chalumeau, par le damaru ou par application directe de la bouche. Exorcisme du démon par conjuration magique (nouage, dénouage et coupure des liens de dépendance), par séduction et transfert dans les effigies substituts de rançon (glud) ou dans les gateaux sacrificiels (cônes de beurre et pate de tsampa appelées gtorma en tibétain)
-Rites à visée préventive: propitiation, apotropaïsme, amulettes, construction de structures de fils colorés destinés à capter les démons (mdos, nam-mkha, ou nép. indreni « arc en ciel »).

4.6. La compétence: comment devient-on lha-mo?

Les trois Lha-mo interrogées ont une histoire de vie semblable.
Toutes ont été éduquées dans des familles dans laquelle il y avait une tradition de transmission transgénérationnelle de l’art de la médiation avec le monde des invisibles. A chaque génération il y avait un ou une élue. L’élection ne semble pas induite par le praticien en activité mais être l’effet d’une intervention surnaturelle.
C’est relativement jeune, entre 12 et 22 ans que sont apparus les premiers signes d’une élection. Il s’agit de maladies atypiques, de nervosité ou instabilité caractérielle, d’angoisses, d’insomnies récalcitrantes, de rêves récurrents ou de cauchemars impressionnants, de crises épileptiformes, de tremblements, de visions ou d’hallucinations auditives ou visuelles, etc.
Après avoir consulté les Am-chi, les On-pos et éventuellement des Lha-bo,, les familles des jeunes « dérangées » ont soumis leur cas au lama de la gompa locale.
La seule existence de ces symptômes, nullement rares au Ladakh semble-t-il, ne suffisent pas par eux mêmes pour spécifier la vocation.
(A développer)

5. L’art des am-chi:

Les données relatives aux conceptions et pratiques des am-chis sont constituées à partir de lectures et de rencontres sur le terrain. La littérature est constituée de textes écrits par des occidentaux et par des achi. C’est une littérature de lettrés et d’intellectuels. Comme toute littérature de cet ordre, elle aboutit à la constitution d’un savoir théorique davantage au service des théoriciens que des praticiens. L’écriture fournit des effets sui generis qui sont hétérogènes à l’efficacité clinique. Contrairement à ce qui se passe pour les pratiques des guérisons par les médiums, les conceptions des amchis ne sont pas populaires mais savantes. Le savoir des amchis n’est pas partagé par leurs consultants. Il y a une coupure entre les représentations des uns et des autres. Cependant, la coupure entre les savoirs savants et les savoirs communs n’est pas totale. La rencontre entre l’amchi et ses clients opère sur le terrain d’un certain savoir commun, représenté par l’enseignement bouddhique commun, le dharma.
Tout le monde dans les sociétés bouddhiques connait au moins les formules élémentaires de base qui font du dharma une soterologie de l’âme (en agissant sur le destin karmique et en promouvant le retour de l’atman au brahman)) et une thérapeutique des corps et des esprits (en agissant sur l’harmonie entre les énergies internes et externes ainsi que sur l’équilibre entre les humeurs internes.(cf. le tableau in Alexandra DAVID-NEEL « Le Bouddhisme »).
En ce qui concerne notre approche de ce terrain, je privilégie ce savoir commun local par rapport au savoir savant des privilégiés dans la mesure où c’est sur le terrain des représentations du savoir partagé par les amchi et leurs clients que se joue l’efficacité thérapeutique. Cependant, je dois évidement également tenir compte du savoir du praticien sur sa pratique, en sachant bien que ce savoir pragmatique lui est propre, s’écarte du savoir officiel de l’enseignement, et constitue un amalgame de croyances, de convictions, d’expérience et de théorie.
Je dois être extrêmement attentif lors de mes entretiens à saisir le point de vue qu’occupe mon interlocuteur amchi: est-ce qu’il se considère comme le représentant du savoir officiel, a-t-il une image de lui-même à défendre, est-il adhérant à une idéologie ilétiste ou populiste, fait-il valoir son expérience, ma fait -il la morale ou cherche-t-il à me séduire, à me persuader, pour quelle cause fait-il son plaidoyer, etc.
En règle générale, on ne risque pas fort de se tromper en considérant que toute rencontre avec un lettré, n’importe où dans le vaste monde, constitue une épreuve narcissique et fournit l’occasion d’un étalage des savoirs. C’est plus que humain : dans mon jargon, cela s’appelle, entrer en compétition phallique. « Le phallus est bavard » veut dire que celui qui sait adore faire l’étalage de son savoir. C’est en quoi réside la différence entre le savant et le sage. Le savant étale le savoir dont il se vante, et le sage la boucle, car il sait bien que ce savoir c’est du vent.

5.1. Les données de terrain

Ces données concernant l’art des amchis sont constituées comme suit:

Nepal 1977: observation de la consultation et du rituel d’un Sman-po (cette appellation qui est plus ancienne que celle d’Amchi vient de la racine Sman= médicament; pour rappel le terme Sman-bla désigne le maitre spirituel de la médecine, le boudda de la médecine) tibétain, formé à Lhassa, pratiquant la lecture démonologique des urines, la moxibustion, la cautérisation, l’exorcisme mineur par prières accompagnées du damaru, le transfert du démon dans les effigies (glud) et offrande de gâteaux sacrificiels (gtorma) (Dorje Lhakpo à Bodnath).

Ladakh 1996: entretiens et consultations avec deux amchis: un amchi de ville formé à Dharamsala et dans le collège des amchi locaux(Amchi Tsering Puntsog à Leh) et une femme amchi de village formée dans la tradition familiale (Amchi Dolma Sedup à Sabu).

Népal 1997: entretiens et consultations avec un amchi indépendant formé à Lhassa (Amchi Jampa à Bodnath), et un amchi institutionel (Amchi Kunzang Dorje du Kunphen Traditional Medicine Center à Kathmandu). Tous deux sont tibétains exilés.

Népal 1999: entretiens et consultations avec un amchi institutionel formé à Dharamsala (Amchi Shedup Tsering du Kailash Tibetan Medicine Center à Kathmandu) et un amchi indépendant (qui, d’après le libellé de sa carte de visite se présente comme un « docteur » au sens occidental du terme: Dr. Tenzin Wangpo Lama) formé à Lhassa et Dharamsala (à vérifier) voyageant entre le Népal et la Russie (Kunphen TMC à Kathmandu et le Russian Government Academy of Physical Culture à Moscou).

Amsterdam 1999: consultation chez un Amchi formé à Dharamsala, délégué par le Men-Tsee-Kang (institution de promotion de la médecine thibétaine à Dharamsala sous l’autorité du Dalaî Lama): Amchi Tensing Dakpa Rishing, du « The Netherlands Stichting ter Bevordering van de Tibetaanse Geneeskunde » N.S.T.G., Prinsengracht 200, Amsterdam.

5.2. Situation des Am-chi au Ladakh.

Actuellement, pour veiller aux bons soins de la santé mentale et physique des quelques 150.000 Ladakhi, on compte environ 120 Amchi (soit en moyenne deux amchi par village), de 60 à 80 On-po (soit un astrologue- devin par village) et encore de 22 à 30 médecins allopathes (soit un « Doctor » pour deux à trois villages). En plus, il y a une dizaine de dispensaires de soins allopathiques dispersé dans le pays. Les relations entre les Amchi et les Doctors sont considérées comme bonnes et complémentaires par les deux parties. Les Amchi s’occupent des soins courants et les Doctors sont consultés pour les pathologies infectieuses et chirurgicales. Les pathologies cancéreuses qui résistent aux deux formes de médecine, sont prises en charge par les deux, chacun se vantant d’obtenir de meilleurs résultats que ses collègues de l’autre bord. Néanmoins, quand les informateurs des deux pratiques se laissent aller aux confidences, ils ne se privent pas de critiquer leurs collègues. Les traditionnels reprochent aux scientifiques la brutalité de leurs méthodes, leur méconnaissance de l’approche holiste ou psycho-somatique , l’ampleur des effets secondaires des traitements chimiques, et surtout, le prix exorbitant des consultations et des soins. Les allopathes de leur côté, ne manquent pas de critiquer l’archaïsme des méthodes traditionnelles, la lenteur des processus de guérison, la croyance dans les démons populaires.
Cependant, la principale différence réside dans le traitement. Les Amchis connaissent parfaitement les ingrédients des médicaments qu’ils composent eux mêmes. Ils effectuent eux-mêmes la cueillette des herbes médicinales, les dosent, les préparent de manière à éviter soigneusement les effets indésirables. Les Doctors par contre ne contrôlent pas bien les effets des spécialités pharmaceutiques mises sur le marché par les usines indiennes et étrangères.
Mais l’avenir des deux pratiques s’annonce inégal. Dans l’ensemble les Amchis estiment que les Doctors bénéficient de la reconnaissance officielle du gouvernement indien et par conséquent de subsides pour les dispensaires et hôpitaux. De leur coté, les Amchis sont très mal rémunérés par leurs patients aux revenus plus que modestes et continuent à vivre de la solidarité familiale et villageoise. Cette réalité contraignante ne leur permet pas de concurrencer leurs collègues allopathes sur le plan économique. Ils font de nécessité vertu et soutiennent leur résignation en se répétant les principes de détachement des biens matériels prônés par le Dharma.
(Voir note de Desideri, 1716, citée in Meyer, introduction)

5.3. Une consultation d’Amchi à Bodnath en 1975.

Dans une rue latérale de la circulaire du stupa de Bodnath. Il a 75 ans, a fui avec sa famille à Dharamsala en 1950, et est actuellement en voie de préparer un retour dans son pays d’origine. Il occupe provisoirement l’officine d’un collègue amchi. Il reçoit une dizaine de consultations par jour. Il s’appelle Dorje Lakh-po (fictif).
Pratique la consultation habituelle, avec, en plus, la lecture démonologique des urines, la moxibustion, la cautérisation au fer rouge, les prières (mantra) accompagnées du vajra-gantha alternant avec le damaru. En outre il pratique les rituel d’exorcisme avec les gâteaux sacrificiels (gtor-ma) et le transfert dedans les effigies (glud). Comparable à l’On-po de Nimmu.
(A développer)

5.4. La rencontre avec Amchi Tsering Puntsog à Sabu en 1996.

La rencontre a lieu au domicile de Nawang Tsering Shakspo, à Sabu. Tsering Puntsog est dans la quarantaine, longiligne, réservé, aimable, patient. Le visage est ouvert, les jeux pétillants, le sourire doux. Il s’exprime dans un anglais classique, parfaitement compréhensible, ce qui est une aubaine pour un francophone fatigué de se forcer à parler la langue des britanniques avec des informateurs qui la maitrisent aussi mal que lui.
Il est Chief Amchi du groupe de Leh localisé au Medical Center C.M.O., 194101, à Leh, Jammu and Kashmir, India.
Ce poste de responsabilité est pour lui le couronnement d’une longue carrière difficile et ardue. La tradition au Ladakh veut que les agents de la santé, qu’ils soient amchi, on-po, ou lha-bo(mo), soient issus de familles transmettant l’art de père (ou mère) en fils (ou fille). Ce n’est pas son cas. Son père était simple agriculteur . Notre amchi est un self made man qui a été initié par la fréquentation d’amchis tibétains réfugiés. Il a ensuite suivi l’enseignement de l’école de Médecine tibétaine à Dharamsala. Normalement les études y durent quatre ans dont un an de formation pratique. Etant donné la modestie de ses moyens financiers il s’est limité à deux ans d’études et a complété ses connaissances en se formant auprès des amchis de son pays d’origine.

5.5 . Les principes théoriques de la médecine thibétaine.

Contrairement à l’art des Lha-bo(mo) qui donne beaucoup à voir et peu à lire ou à entendre, l’art de l’amchi est peu spectaculaire et riche en élaborations théoriques. Notons l’opposition entre le medium-guérisseur illettré et l’herboriste -médecin lettré.

Les études au Tibetan Medical Centre à Dharamsala comportent deux filières : la formation en arts et littérature, et la formation scientifique qui introduisent toutes deux à la médecine. Il a suivi la première filière. Quant au contenu de l’enseignement, il s’agit principalement de lectures dirigées, comportant d’abord la mémorisation et ensuite les commentaires.
Les textes de base sont des livres polycopiés qui reproduisent les textes de base rédigés en tibétain. Actuellement la standardisation est en cours, mais il manque encore une terminologie qui fasse l’unanimité. Seuls quelques rares extraits ont été traduits en anglais.
Le Gyu-zhi (Rgyud-bzhi) ou « quadruple traité » est l’ensemble des quatre tantras de la médecine attribuée à Cakyamuni. Le fait que le fondateur du Dharma est aussi celui du Gso-ba Rig-pa entraine l’identité entre l’idéologie de la médecine thibétaine (Gso-ba Rig-pa) et celle de l’enseignement du bouddhisme local (Vajra-yana)

L’ensemble des quatre tantras comporte cent cinquante six chapitres. Les quatre traités (tantras) sont:
1. Le traité des pathologies, des diagnostics et des traitements.

2. Le traité d’anatomie, de physiologie et de pathologie botanique (phytologie).

3. Le traité des maladies (préciser ici les différences entre disease, illness, sickness ).
Ce troisième traité comporte huit sections ou classes nosologiques:
1- Maladies générales (lus)
2- Maladies des enfants (byis-pa).
3- Maladies des femmes (mo-nad.
4- Attaques par les démons (gdon)
5- Plaies et blessures (mtshon)
6- Poisons -toxicologie (dug).
7- Maladies des vieillards et procédés de longévité ou de réjuvenation (rgas).
8- Médecine des aphrodisiaques.

Dans chacune de ces classes, on distingue : l’étiologie, la symptomatologie, le diagnostic et les traitements.
Ces trois textes fondent la pratique.

4. Le traité des textes complémentaires :
Diagnostic du pouls ou pulsologie et diagnostic par l’examen des urines ou urologie.
Ensuite viennent les dix-huit catégories de traitements :
1-Décoctions (soupes, infusions, …)
2-Poudres
3-Comprimés
4-Gruaux, brouets
5-Beurre
6-Hydrothérapie
7-Massages
8-Emétiques
9-Moxibustion (du japonais mogusa c.à.d. armoise) : technique qui consiste à brûler des petits cônes d’armoise séchée sur les articulations et points douloureux du corps.
10-Incisions superficielles. Les amchis sont soumis à l’interdiction de pratiquer la chirurgie suite au décret du roi du Tibet.
11-Saignées (bloodletting)
12-Lavements

5.5. Les catégories de traitements :.

Les trois médecines fonctionnent de manière intégrée.

1- Médecine régulière cfr. Les dix-huit techniques qui sont appliquées dans une optique intégrée (holiste).

2- Médecine du Dharma . Le terme de « dharma » signifie “tenir ” (hold), « ce qui tient » en d’autres mots, « l’enseignement ». Le terme tibétain pour dire l’enseignement est Chos, qui signifie « protéger ou tenir son esprit »
Protéger l’esprit contre les dérangements, c’est à dire les passions, ou encore les techniques de concentration de l’esprit (cf. Métaphore de bouddha) ;
“ L’esprit est comme un singe qui crée des confusions à chaque niveau parce que le singe ne reste pas en place… ”
Comprendre le dharma est favoriser une concentration de l’esprit de manière à dompter le désir et ceci dans le but d’atteindre l’illumination.
La médecine dharmique n’a pas seulement comme but la guérison du corps, mais aussi de favoriser l’illumination spirituelle. Elle promeut donc la méditation et les règles morales. A ces conditions l’esprit est maître et le corps devient serviteur.
Ce type de médecine implique un comportement moral de soumission des passions.

3- La médecine tantrique comporte les techniques qui concernent le niveau intermédiaire entre la croissance et l’assise du corps.
Elle se base sur la lecture des “cakras ” ou niveaux de l’organisation verticale du système vivant.
Les pilules et tablettes tantriques sont préparées par les lamas et les amchis expérimentés et sont utilisées pour le traitement des psychoses. Les psychoses = perturbations mentales (mental disturbances).
.

5.6. Les maladies mentales.

Les maladies mentales (evil diseases) sont supposées causées par de mauvais esprits, des forces invisibles, des agents invisibles. Elles sont donc traitées par des objets invisibles.
Dans le bouddhisme, la psychologie est considérée comme l’étude de la nature de l’esprit (différent de la psychologie occidentale). Comme déjà énoncé, il n’y a pas de différence entre le bouddhisme et le système de pensée amchi. La douleur et la maladie sont considérées causées par le désir, la passion, l’ignorance. Il faut donc acquérir les connaissances nécessaires pour réduire ces causes.

Les « mauvaises idées », les défauts de concentration et les oublis sont considérées comme les causes des déséquilibres de la fonction mentale.
(Il utilise ce terme de “ psychose ” emprunté à la tradition psychiatrique importée par les anglais).
Il existe cinq catégories de perturbations mentales (mental disturbances) :
1- les maladies karmiques
2- l’extrême souci
3- le dérèglement des humeurs
4- les poisons (organiques) qui viennent de l’intérieur
5- les démons (evil spirits)

Le traitement dépend bien sur de la cause.
Les maladies karmiques sont du ressort de l’enseignement dharmique et le traitement consiste dans l’application de ses préceptes.
L’extrême souci est traité en démontrant le caractère illusoire de la cause.
Le dérèglement des humeurs nécessite le traitement par les associations d’herbes médicinales, principalement celles qui agissent sur le Rlung .
Les poisons internes produits par les disfonctionnements du corps, sont éliminés par phytothérapie, ainsi que par le traitement médicamenteux, les émétiques, les laxatifs les sudatifs et les saignées.
En ce qui concerne la folie causée par un démon , puisque la maladie est causée par l’ intrusion dans l’esprit d’un objet invisible qui entraine le changement dans le comportement, le traitement devra également recourir à des remèdes invisibles, cad à des mantras et formules magiques.
Si un fou est possédé par un esprit, on invite le lama à effectuer une cérémonie d’exorcisme (puja).
La folie peut aussi être provoquée par un désir très fort non exaucé, càd par la frustration. Dans ce cas le traitement préconisé est la méditation sur la vanité du désir.

5.7. La théorie des trois humeurs subtiles et des cinq éléments.

La cause la plus générale des maladies est la perturbation du rapport réciproque entre les trois « humeurs » ou « fluides vitaux » qui sont le vent (Rlung), la bile (Tispa) et le flegme (Patkonia ) . Cette conception des fluides subtils, qui ne correspondent pas aux liquides physiologiques désignés par les termes de la traduction, est empruntée à la médecine Ayuryedique.
La santé résulte de l’équilibre entre les trois humeurs, entre les humeurs et le corps, et entre le corps et l’univers.
Le déséquilibre est causé par les erreurs de diététique et par les écarts de conduite(les excès de toutes sortes :les soucis exagérés, les désirs exacerbés, les excès de la pensée, de nourriture, de travail ou d’inactivité, les débordements sexuels, émotionnels, passionnels)

Notre corps est le modèle de l’univers car les composants du corps sont les éléments qui entrent dans la constitution de toutes les choses. Les cinq éléments fondamentaux universels sont la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace (ou la vacuité).
Dans cette conception, les différences entre les matières sont considérées comme dues à la prévalence d’un élément par rapport aux autres dans les diverses combinations. Dans cette vision du monde, les conceptions de la matière est très différente, et quelquefois aux antipodes, des conceptions occidentales de la réalité matérielle et empirique. C’est ainsi que, par exemple, le bois qui bouge est considéré comme une composition élémentaire dans laquelle il y a une prévalence de l’air. Le métal, par contre, étant immuable, est considéré comme composé d’un excédent d’espace (ou de vacuité).

A l’instar de tous les objets du monde, les trois humeurs subtiles sont aussi constituées par les cinq éléments. Le Rlung (le vent) est considéré comme constitué essentiellement de la vapeur d’eau qui parcourt le corps. La Tispa (bile) est surtout composée du feu qui réchauffe le corps. Le Patkonia (flegme) est considéré comme une combinaison à prévalence d’eau.

Rlung (sanskrit: vayu, trad: vent, souffle, pneuma)
Cette humeur est une force, une pression correspondant à la force vitale qui anime toutes les cellules du corps: elle assure sa fonction kinétique et motrice.
Elle est connectée avec l’esprit. Rlung est sous le contrôle de l’esprit. La métaphore la plus communément utilisée pour illustrer les rapports entre le Rlung et la pensée décrit le Rlung comme un cheval aveugle et l’esprit comme “un cavalier sans jambes ”qui le chevauche. L’esprit et le Rlung sont les deux composantes indissociables d’une même force. Le Rlung intervient dans toutes les fonctions qui nécessitent une augmentation de pression (comme celle de la vapeur d’eau) dans le corps: telles que: cracher, uriner, déféquer, se moucher, et aussi les battements du cœur et les mouvements respiratoires.

Tispa (Mkhris-pa, sanskrit: pitta, trad: bile)
Cette humeur, assimilée à la bile, est de nature ignée et active. C’est le feu qui réchauffe le corps, qui brule la nourriture et opère dans le métabolisme des dépenses physiologiques. Elle est associée au sang. Comme elle règle la digestion, cette humeur est en relation au foie. Elle est l’agent de la « consomption » selon la terminologie de l’ancienne médecine occidentale.

Patkonia. (Bad-kan, sanskrit: katha, trad. phlegme)
Cette humeur, assimilée au Phlegme, constitue tout ce qui est fluide dans le corps. Le terme est composé de Bad (terre ) et de Kan (eau). L’association des deux, combinant terre et humidité, fait que le terme Patkonia désigne les fluides biologiques, qui sont lourdes et visqueuses, comme le sang, les sérosités, les crachats, le liquide péritonéal et pleural, et les sécrétions génitales telles les menstrues, le liquide prostatique, le sperme.
Il en va de même pour les abcès, phlegmons et autres « fluctuations » diffuses ou localisées du corps. Elle est de nature passive et a une fonction de soutien. Actuellement, les amchi modernes y ajoutent le protoplasme tissulaire et les liquides qui règlent la fonction digestive tels le suc gastrique, la bile physiologique et les sécrétions intestinales. (Voir aussi Meyer 134: les fonctions et qualités des humeurs et pathologies).

6. Représentations de l’invisible: mise en garde contre les croyances.

Depuis les temps les plus reculés les sages et saints hindouistes et bouddhistes mettent les adeptes en garde contre les croyances.
« Puisses tu ne pas craindre les divinités terribles, les reconnaitre comme des émanations de ta propre nature et t’identifier à elles, alors tu atteindras l’éveil définitif ». Extrait du Bardo Thödöl, cité in C. Deweirdt « Le Tibet », Ed. Peuples du Monde, Hachette, Paris 1911, p.182.
Voir aussi la légende de Milarepa et la citation de Ma-Chig-La, yogini du 12me siècle, in Clifford p. 149: « Ce que nous appelons un démon est très impressionnant et tout noir. Celui qui en rencontre un est terrifié et tremble de la tête aux pieds. Mais les démons n’existent pas vraiment. La vérité est celle-ci: tout ce qui fait obstacle au détachement est un démon. Même l’amour et l’affection pour les familiers peuvent devenir des démons s’ils empêchent votre progrès spirituel. Mais le plus grand des démons est la croyance dans un Moi conçu comme principe indépendant et permanent. Si vous ne détruisez pas cet attachement à vous-même, les démons vous soulèvent et vous projettent au loin. (In « Démons et exploration des forces de l’obstruction  » , Gesar, III Darma Publ. 1975,6).

6.1. Les représentations de l’âme et de la vie.

Voir in Meyer, p.74 .
En tant que principe immortel individuel, l’âme (Bla) est niée par le Bouddhisme, qui n’admet que l’existence d’un principe vital transindividuel (Srog), une pensée transitoire (Sems) et une individualité psychique (Rnam-shes, équivalent en sanskrit: Vijnana). Ce dernier principe rend compte de la transindividualité de la causalité (Karma) et est engagé dans le cycle des renaissances (Samsara). Cependant, dans la pratique quotidienne, l’âme (Bla) est imaginarisée et confondue avec un dieu protecteur personnel. La proximité phonétique entre Bla et Lha soutient cette assimilation
courante. L’entification de l’âme permet de la considérer comme errante (Bla’kyams-pa) et pouvant être raptée par un démon ou un (e) sorcier(e), si les rites des mourants et des morts ne sont pas respectés.
Indépendamment de l’âme, les principes vitaux (Khams) sont représentés comme circulant dans des canaux subtils (Rtsa) dans lesquels ils génèrent les trois humeurs. Les Rtsa (littéralement « racines ») recouvrent tant les artères et les veines que les nerfs, les circuits lymphatiques décrits par la médecine allopathique et les méridiens identifiés par la médecine chinoise et appliquées dans l’acupuncture.

6.2 Représentations des démons, des esprits et des forces.

(A développer)
Les démons (Rde)
Les poisons : ignorance figurée par le coq, le désir (la soif, avidité et aversion, attachement et rejet) figuré par le serpent, et la passion (colère, haine) figurée par le sanglier ou cochon sauvage (à vérifier). Le Dukha est l’insatisfaction, la désillusion, le désir passionné, l’avidité, la perte, la douleur , la « sensation de manque »(Blofeld, p.56)
Voir Blofeld, p 65 : maitrise, sensation, perception, formations mentales (volonté karma) et conscience.
Interprétations proposées:
Sems comme pensée, intention, envie.
Rnam-shes comme le Moi représentant évanescent, illusion.
Khams comme fluides vitaux, vitalité qui parcourt le corps, à l’origine des trois humeurs.
Rde comme les émotions excessives, débordantes, les représentations-affects des pulsions, allant vars la jouissance.
Le Dhuka comme volonté de jouissance, comme concupiscence, soif, etc…plutot que comme désir.

7. Interprétations et modélisation.

7.1. Tableau et croisement des données.

7.2. Diversité et mobilité contre standardisation et fixation.

7.3. L’interprétation globale et locale.

Construction d’un tableau de synthèse à double entrée:
Verticalement, en ordonnée, les paramètres d’identification et de spécification des pratiques : appellations de fonctions, ethnies, lieux, etc. et les paramètres de fonctions (contexte, cadre, relation, mythe, rite, compétence).
Horizontalement, en abscisse, le champ ouvert par la bipolarité « bouddhisme et
Polythéisme », ou plus précisément, « déconstruction symbolique et inflation imaginaire ».

Il existe une tension entre le Dharma bouddhiste théorique et la pratique du Bouddhisme mahayana.
Le premier nie la réalité des objets évoqués dans les représentations mentales, et restitue aux humains l’entière responsabilité de leurs actes, de leurs pensées et des malheurs qui leur arrivent. Nous trouvons là une illustration à l’échelle sociale du processus de déconstruction des représentations sociales.
Il est évident que cette déconstruction entraîne un désenchantement du monde et une accentuation de la responsabilité individuelle laquelle attribuant les malheurs actuels à des fautes anciennes se développe volontiers en culpabilité.
Par contre dans le bouddhisme mahayana infiltré de croyances populaires (mi-chos) le processus d’attribution du mal a des entités extérieures au sujet est encouragé par la foi en des démons, esprits ou dieux courroucés.
Nous avons à faire là à un processus de construction, de représentations mentales entifiées, substantifiées par les mécanismes psychologiques de projection et interprétation.

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