Une vision de l’anthropologie clinique…
A l’heure où la philosophie [[R. Atlan ( 2004) Les étincelles du hasard t. II. Paris. Seuil]] autant que les neurosciences1 nous invitent à considérer l’évidente intrication corps/psychisme, rejoignant en un pont des visions modernes scientifiques et des traditions orientalistes qualifiées jadis de mystiques, il nous apparaît qu’à n’avoir enfin aucun parti-pris sur la primauté du corps ou du psychisme comme élément causal du « mal », – douleur ou maladie – on pourrait franchir un pas supplémentaire.
A première vue, les techniques du corps sont aptes à soigner le corps, et celles du psychisme, le psychisme. On soigne mieux des douleurs par ostéopathie que par psychothérapie, et mieux les états anxieux par des techniques psychothérapeutiques que corporelles. Pourtant la clinique du traumatisme pousse à l’ouverture d’esprit : elle fourmille de contre-exemples qui défient le bon sens. Sans cesse, pour le psychisme traumatisé, il faut replonger dans le corps car il est le lieu de la source du souvenir. Ce sont les cinq sens qui vont venir chatouiller les neurones paralysés par l’effroi traumatique et incapables de se remémorer les images et encore moins les mots du traumatisme. Or le souvenir est justement ce qui manque au psy pour travailler le traumatisme par le psy. De plus c’est la sensation d’être, de bien-être corporel qui restaure une certaine sécurité intérieure précieuse pour l’abandon du trauma. Pour le corps, il faut souvent passer par le psychisme parce que le corps ne lâche ses tensions myo-fasciales que lorsque le psychisme n’a plus peur ou qu’il n’a plus besoin de cette douleur pour dire sa souffrance, lorsque les processus d’évitement sont enfin abandonnés. Discerner les moments où, dans le tout corps, il conviendrait de passer au psy – et où dans le tout psy, il faudrait rajouter du corps – pourrait s’appuyer sur des signes et ne pas dépendre des préférences des thérapeutes. Une anthropologie clinique pourrait utilement se donner comme dessein d’éclairer les signes d’appel pour qu’un verrou, un Å“il au milieu de l’autre part, soit ouvert, donnant au système jusque-là bloqué une chance de reprendre son naturel mouvement. L’anthropologie sans doute a échappé par l’étude des pratiques traditionnelles à cette dichotomie moderne de corps et du psy. Habituée à penser au tout, elle a sans doute plus facile de démêler les composantes. Habituée à observer en tenant la subjectivité non comme obstacle mais comme outil méthodologique, elle a sans doute plus facile de déjouer les pièges des préférences inconscientes. Et enfin, habituée à démêler le magique du rationnel, elle aurait aussi une meilleure capacité à observer les pistes pour que le recours aux soins du corps ou du psychisme ne relève plus d’un art divinatoire ou du hasard des compétences des praticiens…- Antonio Damasio (2003) Spinoza avait raison. Odile Jacob ↩︎
