DE LA PSYCHIATRIE A L’ANTHROPOLOGIE EN PASSANT PAR LA PSYCHANALYSE
DE LA PSYCHIATRIE A L’ANTHROPOLOGIE
EN PASSANT PAR LA PSYCHANALYSE.
Robert STEICHEN
Séminaire « Paroles d’anthropologues »du jeudi 18 novembre ,
séminaires ARAC des 24 et 25 novembre et du 2 décembre 1999
Présents: R.Steichen, M.Singleton, P.J.Laurent, C.Madiya Faïk-Nzuji,
Bastenier, M. Legrand, J. Kinable, R. Léon, G. Mirguet, M.Braconnier,
etc.
Présentation par M. Singleton:
Semblable au « blanc » détesté dans les institutions africaines « noires », mais reconnu indispensable pour la bonne marche de la politique, le « psychanalyste » critiqué par tout le monde est incontournable pour comprendre son fonctionnement. Steichen est un « monstre sacré » à cet égard puisqu’il culmine des compétences différentes toutes aussi dérangeantes les unes que les autres.
Exposé de R. Steichen:
Questce qu’un monstre et à quoi sert-il? Un monstre est un objet de démonstration, un exemple impressionnant, exhibé pour faire peur, montrer ce qui arrive à défaut de précautions: transformation en démon ou ravissement par un démon. Si Steichen est un monstre, « sacré » ou non, c’est sans doute par contamination par Singleton, autre « monstre sacré » tout aussi dérangeant pour les habitudes institutionelles. Pour preuve, à chaque fois que je l’ai invité à conclure les colloques que j’organisais pour l’IEFS, il tirait un feu d’artifice final qui réduisait en cendre les quelques pauvres certitudes péniblement acquises au termes des concertations pluridisciplinaires. Déconstructiviste acharné, il a déboussolé plus d’un scientifique sûr de son savoir.
J’ai une dette à l’égard de P.J.Laurent, qui m’a amené sur son terrain. Une dette de parole qui m’amène à la prendre ici. Auteur du « Don comme ruse », P.J. sait ce qu’il fait quand il donne. Il sait qu’il construit par la dette un lien social, à condition que l’endetté accepte de jouer le jeu africain: de ne pas s’acquitter de suite de la dette. Ici, on dit que « celui qui paye sa dette s’enrichit ». Le dicton occidental néglige l’enrichissement en lien social sur base des obligations de réciprocité entretenues par les dettes. Je ne payerai donc pas entièrement ma dette de parole ici pour garder mes amis dans un lien de réciprocité.
P.J. m’a invité dans un lieu qui s’appelle « paroles d’anthropologues ». Cela implique que je renonce à tenir un discours institutionnel et que je m’implique dans un témoignage personnel.
Parole et discours.
Contrairement au discours collectif, qui est un ensemble d’énoncés qui véhiculent un savoir autorisé conforme à des normes communes, la parole singulière, elle, propose des énonciations d’un désir particulier.
Notons qu’il ne s’agit pas ici de se contenter d’une simple opposition entre « parole » et « discours ». Ce n’est pas ainsi que ça se passe. En effet, même s’il existe une exclusion entre ces deux modalités du langage, elles sont toutes deux indispensables car elles contribuent toutes deux à la construction de la communication humaine, chacune selon ses compétences propres. Par ailleurs, ainsi que le rappelle Jean Kinable, outre le « parler » et le « discourir » il faut donner une place au « dire », le fait fondamental de l’énonciation sans passion de convaincre ni ambition d’instruire. Sans la modalité modérée du « dire », la « parole » singulière risque de basculer dans le monologue schizophrène et le « discours » collectif risque de dériver vers la harangue paranoiaque. (Référence à « Discours et désirs » : les deux extrêmes du spectre.)
Je ne tiendrai pas ici un discours d’anthropologue, d’autant plus que je ne suis pas un anthropologue et que l’anthropologie n’existe pas autrement que comme production discursive. Ce qui existe ce sont des énoncés fixés comme textes et des personnes qui s’y réfèrent pour faire lien social. Je ne suis pas un anthropologue, mais un clinicien, un psychanalyste avec des antécédents de psychiatre, qui tente de contribuer à des recherches en anthropologie clinique. J’entends par la l’étude comparative des systèmes de représentations en matière de santé et de maladie, de bien (bonheur) et de mal (malheur), d’ordre et de désordre, etc. et donc aussi l’étude comparative des pratiques de guérison qui y correspondent.
Terrains clinique et anthropologique.
Mon terrain est constitué essentiellement d’une pratique clinique diversifiée qui est passée en 35 ans de la médecine à la psychanalyse en passant par les étapes de la psychosomatique, la clinique neurologique des affections paralysantes telles la sclérose médullaire, la clinique psychiatrique phénoménologique des psychoses, l’analyse du destin appliqué à la clinique des violences et traumatismes, la clinique psychothérapique systématique des familles et des couples, les thérapies comportementales sexologiques, enfin les cliniques freudiennes et lacaniennes des névroses et perversions.
Ce terrain occidental est complété par des recherches éthnographiques portant sur les représentations et pratiques de la santé dans quatre aires culturelles différentes, l’Afrique subsaharienne (Congo, Rwanda, Sénégal et Burkina Faso), le Maghreb (sud Maroc et Tunisie), l’Amérique latine (Mexique, Guatemala, Equateur, Pérou, Bolivie et Chili) et, enfin l’Asie du Sud-est (Ladakh, Népal, Indonésie).
Recherche clinique.
Dans la pratique psychanalytique, que je pratique de manière régulière et discontinue à raison de deux jours par semaine depuis 1975,
la recherche est indissolublement liée à la clinique. Les chercheurs sont les analysants engagés dans une recherche intense et à long terme de leur causalité, de ce qui détermine radicalement leur vie et leurs symptômes. Les analysants y déconstruisent et reconstruisent systématiquement, par erreurs et essais, et avec la vérification par l’évolution des symptômes, le système de représentations qui constitue leur réalité concrète, quotidienne et pragmatique. Ils travaillent sur les composantes de leur réalité, c’est à dire ce qui fait pour eux office de réel, d’imaginaire et de symbolique. Mais surtout, ils travaillent sur la modalité particulière du nouage de ces régistres entr’eux. Et en faisant cela, ils identifient peu à peu, le prototype de leur réalité, leur premier essai, leur modèle initial qui se répète à travers les avatars ultérieurs. C’est ce qu’en jargon on appelle la »traversée du fantasme », étant entendu que par « fantasme » on entend la représentation (donc la réalité subjective singulière) de « la » rencontre pour le sujet, élaborée à partir de l’expérience interpretée des premières rencontres avec la réalité ambiante et ses agents et figures.
Le psychanalyste devient chercheur dans la cure pour autant qu’il se fait le témoin, le sécrétaire du chercheur-analysant. Acceptant de quitter le statut de gardien et défenseur de la « normalité » officielle et seule admise dans son groupe sovcio-culturel, le psychanalyste accède au statut d’accompagnateur et témoin, de garant de la parole singulière de l’analysant (et non pas défenseur ni du discours social dominant, ni du discours de l’école psychanalytique auquel il adhère éventuellement).
Dans ce cadre particulier, dans cette relation transférentielle singulière, la parole du patient, aussi délirante soit-elle, est la seule réalité « normale » dans laquelle il puisse exister en tant que sujet. Le délire est ainsi une normalité marginale sans doute au sens social du terme, mais normal pour le sujet dans la mesure où elle lui offre un lieu habitable, un espace d’existence. Ce lieu de parole n’existe que du fait du dire et du fait du transfert. S’il est délirant, il est à déconstruire dans la mesure ou ce démontage libère des matériaux pour un remontage supportable, vivable, et il est à protéger, ou à « encapsuler » pour une coexistence avec la normalité sociale ambiante. Il ne s’agit pas d’adapter, d’assimiler ou d’intégrer le sujet délirant dans l’ensemble de la normalité collective en lui retirant sa spécificité, au prix du silence et de l’automatisation (opérée par les neuroleptiques). Il s’agit de l’introduire peu à peu aux subtilités de la coexistence de la parole et du discours comme modalités contrastées du dire qui s’engage vis à vis du tiers.
J’incline à penser qu’il existe une analogie entre la réalité des psychotiques et celle des individus marginalisés pour des questions identitaires, tels des migrants d’une ethnie minoritaire dans une culture autre qui serait numériquement dominante. Le débat des psychotiques avec cet Autre interne qui leur impose contraintes , hallucinations et angoisses, est du même ordre que le débat des minoritaires avec l’administration kafkaienne et la collectivité anonyme et indifférente des autes collectivisés dans la figure de l’Autre externe.
Recherche anthropologique.
Je suis d’avis que le mécanisme de construction et de défense des représentations des individus minorisés est universelle, et est d’ordre identitaire. C’est dans ce sens que vont mon enseignement et mes publications, autour du thème de la rencontre avec l’Autre et les autres, telles qu’elles s’imposent dans les recherches cliniques et ethnographiques sur les terrains.
En disant celà , je pense plus particulièrement au rapport de force inégal qui existe dans des pays en voie de développement entre la réalité sociale imposée par les gouvernements des nations qui se présentent comme modernes parcequ’elles suivent le modèle économique des sociétés de consommation occidentales, d’une part, et la réalité vécue par la majorité de la population trop pauvre pour suivre ce modèle imposé. En matière de santé, cette population défavorisée ne dispose ni des moyens langagiers, ni des moyens financiers pour faire ce qui leur est imposé. Il n’ont d’autre alternatives que de fonctionner comme des parias assistés dans la socité « moderne » citadine, ou de vivre selon les normes de la société traditionnelle rurale qui leur permet de survivre et de soigner à bon compte. Mais le rapport de force est inégal. Je pense ici au dialogue de sourds instauré au Burkina Faso entre le Ministère de la Santé publique d’Ouagadougou et les tradipraticiens. Le fonctionnaire délégué au contrôle des tradipraticiens a reçu l’instruction ferme d’imposer à ceux ci une standardisation des remèdes basée sur un catalogue (une pharmacopée ) à usage général composé à partir des savoirs individuels. Or les tradipraticiens, forcés d’entrer dans l’association des tradipraticiens controlée par l’état, tirent leur efficacité d’un savoir exclusivement transmis de père en fils par initiation . Ce savoir est un secrèt de famille qui ne peut à aucun prix être divulgé sous peine de perte d’efficacité, plus précisément sous peine de perte de l’efficacité symbolique fondée sur les relations analogiques entre nominations et non pas sur la composition chimique. Cette efficacité est plus proche de l’effet placebo basé sur la relation transférentielle entre le praticien et son patient que de l’effet biologique basé sur la configuration moléculaire. Le résultat de l’exigeance administrative aboutira soit à la disparition des pratiques de guérison traditionnelles soit à leur entrée dans le maquis. Il y a toutes les raisons de penser que ce sera ce dernier mécanisme qui prévaudra, élargissant le fossé entre l’administration et la population. La volontée de gestion inconsidérée renforce la marginalisation des conduites visées. Ainsi les représentation et les pratiques traditionnelles sont « refoulées » au nom du développement social sur le modèle du pragmatisme post-moderne.
Enseignement institutionnel.
L’enseignement découlant de ces recherches cliniques et anthropologiques s’inscrit dans le cadre du programme d’enseignement pluridisciplinaire et interdisciplinaire de l’Institut d’Etudes de la Famille et de la Sexualité de la Faculté de Psychologie.
Rencontre avec la clinique et l’anthropologie.
Pierre Jo m’a demandé de témoigner de ma rencontre avec l’anthropologie. Si l’anthropologie n’a pas d’existence substantielle ni factuelle, comment la rencontrer? Nous pouvons cependant créditer l’anthropologie d’un minimum d’existence imaginaire et symbolique en la définissant comme « l’ensemble des discours qui traitent scientifiquement du fonctionnement social et culturel des humains » . De la sorte nous attribuons à l’anthropologie la substantialité des discours matérialisés en textes et la factualité des pratiques discursives qui les produisent. Je puis alors parler d’une rencontre avec l’anthropologie en termes de rencontre avec un texte et d’entrée dans une pratique de pensée. Le texte est « Tristes tropiques » de Claude Levi-Strauss. La pratique, elle, bien antérieure, est celle d’une anthropologie de la survie.
Comment cela a t’il commencé ?
Mon intérêt pour l’anthropologie découle d’un nécessité vitale plutôt que d’un choix intellectuel. Mes premières années se sont passées dans un pays annexé par l’allemagne et dans une famille déchirée entre usagers d’une langue interdite et ceux d’une langue imposée. Au lendemain de la guerre, ma famille a déménagé en Belgique. Là j’ai fait l’apprentissage du statut d’ immigré germanophone dans la région néerlandophone d’abord, et dans la région francophone ensuite. J’ai appris à me taire pour ne pas être trahi par ma langue ou par mon accent germanique en empruntant la langue locale. J’ai surtout appris à observer et écouter pour comprendre la logique de fonctionnement des milieux dans lesquels je me trouvais successivement plongé à mon corps défendant. Ce sont là les premiers pas dans une anthropologie de survie, indispensable pour éviter de basculer dans un système paranoïaque permanente. Il s’agissait impérieusement de comprendre la réalité des autres pour ne pas filer dans le délire interprétatif persécutif. Ou plus exactement, devant l’impossibilité de comprendre l’entièreté de la loigique des autres, d’en construire au moins un modèle plausible et supportable me permettant d’adopter des attitudes de coexistence plus ou moins adéquats. La chose n’était pas facile, car il n’y a pas de relations interpersonnelles plus cruelles et basées sur les rapports de force que celles entre enfants de six à dix ans. Il faut se durcir et constamment se défendre dans un contexte où tout le monde se connait, où règne la xénophobie la plus impitoyable doublée de l’intolérance des catholiques à l’égard de ceux qui vivent autrement, et où sévit massivement l’envie des autochtones à l’égard de ceux qui semblent disposer d’un statut d’exception.
Avec une telle expérience, il n’est pas étonnant que j’aie massivement adhéré au modèle de rapports de force des « relations concrètes à autrui » caractéristique de l’anthropologie existentielle de J.P.Sarte. « L’Etre et le Néant » tout comme « La Nausée » faisaient figure de manuels de coexistence pratique, tellements justes.
Avec de telles lectures, il était tout aussi logique que je m’embarque dans une anthropologie politique fondée sur une conception des rapports sociaux en termes de lutte des classes et de lutte idéologique manichéisée dans l’antagonisme entre la gauche et la droite. A l’époque des guerres de Corée et d’Algérie, l’idéologie démocratique était impérialiste et colonialiste, contrebalancée par l’idéologie communiste d’action révolutionnaire. Après avoir lu « La Question » d’Henri Aleg, j’étais comme tant d’autres adolescents blessés à vif prêt à dénoncer tous les impérialismes du monde en les qualifiant de fascismes. Mon engagement a pris très logiquement trois orientations associées. Sur le plan de l’action professionnelle, ma volonté d’efficacité m’orientait vers les études de médecine. Sur le plan de l’action politique, je me sentais utile dans la collaboration avec la propagande anti-franquiste en Espagne. Sur le plan de l’action culturelle, je me suis lancé avec passion dans le dessin et la peinture expressionniste déconstructiviste.
Une antropologie médicale.
A l’ époque du début de mes études universitaires, en 1958, les études de médecine étaient encore toutes auréolées du prestige des sciences humaines. Le vocable d' »humanisme médical » désignait une conception anthropologique du malade en tant que personne globale, c.a.d en tant que sujet singulier qui avait son mot à dire dans l’anamnèse. L’anamnèse était avant tout un questionnement « respectueux, détaillé , méthodique et patient » de la personne, portant sur ses symptômes,ses antécédents personnels et familiaux, ses habitudes de vie, ses conditions de travail, vie familiale et sociale, son hygiène alimentaire et organisationelle, etc. Par l’anamnèse, le sujet persistait parallèlement au patient. Mais cette anthropologie a été très vite dégradée par les développements de la technologie médicale. De science humaine exemplaire la médecine est passée au statut de science exacte. Tout le monde sait par expérience qu’elle a perdu en humanité ce qu’elle a gagné en technicité. L’orientation d’abord vers la médecine psychosomatique et ensuite vers la neuropsychiatrie me paraissaient des voies susceptibles de maintenir la rencontre intersubjectiv dans le contexte général de déshumanisation de la médecine.
Je dispose d’un repère anecdotique frappant marquant ce passage. Lors d’un cours de médecine interne, le professeur introduit un cas clinique en couvrant le tableau des données chiffrées du laboratoire. D’après celles-ci le patient devait être bien mal en point. Le professeur demande à l’appariteur de faire entrer le patient dans l’auditoire. Un petit homme alerte entre discrètement et s’assied au premier rang. Le professeur répète à l’appariteur : »Mais faites donc entrer le patient ». Tout le monde s’attendait en effet à voir entrer une civière avec un patient grabadaire. L’appariteur répond : « Mais, il est là ! »… Le patient était le petit monsieur tout alerte qui s’était glissé discrètement au premier rang. L’auditoire, tout comme le professeur était médusé: il y avait un hiatus entre les deux réalités: celle du « tableau clinique » et celle du patient concrèt. Après quelques instants de perpexité silencieuse, le professeur demande de faire sortir le patient, et continue à commenter le « cas clinique » chiffré!… Exit le sujet!…
Dès lors, je n’avais plus qu’une préoccupation: faire revenir le sujet exilé, comme acteur actif dans le processus qui le qualifie par le diagnostic et oriente son destin par le traitement.
La question anthropologique en médecine.
J’ai sans doute de l’anthroplogie médicale une conception particulière. L’objectif principal de cette antropologie est de comprendre la logique du sujet aux prises avec la maladie et avec le traitement médical.
La question qui s’imposait comme essentielle était la suivante:  » A contexte, à pathologie et à traitement médical identiques, qu’est ce qui fait la différence entre sujets qui luttent contre leur maladie et s’en sortent et ceux qui y succombent et se laissent emporter ? »
A l’époque la réponse était double: trois facteurs entraient en jeu qui sont le contexte (le milieu, les conditions de vie, l’alimentation, l’épidémiologie, l’hygiène, les moyens sanitaires), la constitution (le terrain, l’hérédité, la disposition) et la psychologie (le moral, le courage, la volonté de guérir). Le premier facteur était améliorable par les politiques de prévention hygiénique. Le deuxième facteur était peu influencable, sauf en intervenant sur les défenses immunitaires (vaccinations). Le troisième facteur, présenté comme énigmatique échappait à l’objectivation médicale.
Il s’agissait là de cette dimension spécifique qui confère au malade le statut d’un sujet singulier, responsable et actif. Le sujet est irréductible au patient comptabilisé dans une catégorie nosologique standardisée, sensé subir passivement et patiemment les processus nosologiques et les processus thérapeutiques, abandonné aux manipulations des experts qui décident de son sort. Il s’agit de la liberté du sujet qui veut savoir ce qui lui arrive et qui impose sa collaboration éclairée aux soignants, manifestant s’il le faut son désaccord avec des interprétations dites « objectives » sans corresponce avec son expérience vécue « subjective ».Il s’agit, en d’autres mots de la valeur des symptômes dits « subjectifs », trop fréquement disqualifiés par rapport aux symptômes et signes qualifiés d’ « objectifs ».
Qu’est-ce que la « force de vivre » qui anime les sujets qui résistent aux violences qu’ils subissent de l’intérieur (les douleurs provenant de leur corps, de leurs affects ou de leurs pensées) et de l’extérieur (les douleurs infligées par le contexte physique et humain)?
Cette question s’impose à des cliniciens côtoyant quotidiennement les sujets confrontés à la douleur d’origine interne et externe. Elle s’impose aussi du moment qu’on ouvre les yeux sur les témoignages circulants. Pour ma part, cette question s’est imposée à la lecture des témoignages des survivants des camps de la mort et des reseaux de résistance en 1939-45 et textes apparentés:
H. Liebrecht « Histoire de la guerre des Nations Unies », Ed. Le Sphynx, Bruxelles 1947: chap IV « Forces de destruction et forces de vie »,chap VIII « La vie des peuples sous l’occupation », chap XII « Les camps de concentration ».
Difficile d’adhérer à l’idée que la force de vivre soit une grace divine quand on a renoncé de croire en un dieu qui a le souci de l’humanité. Ou dieu est sadique, ou alors il n’existe pas. Pour moi, il était évident que le ciel était vide et que les humains étaient seuls à faire leur histoire. D’ou vient alors la force de vivre? D’autres lectures ont orienté ce questionnement, telles que « L’être et le Néant » de Sartre, « Le suicide » de Durkheim et l' »Au-delà du principe de plaisir » de Freud. Mais aussi les « études de cas » proposées par « La Nausée » de Sartre, « L’étranger » de Camus, « Le dernier des Justes » d’André Scwarzbart, « La question » d’Henri Aleg.
La question a été relancée par mes rencontres avec des sujets concrets dans la clinique médicale des jeunes toxicomanes, alcooliques, dépressifs et suicidaires à l’Hopital St Pierre à Leuven et à l’Hopital La Timone à Marseille.
Ma conception de l’existence était militante de part en part, la vie était un combat permanent contre toutes les haines, envies, racismes et intolérances. L’anthropologie était toute entière centrée sur la question du sens de l’existence. Comme la vie n’avait pas de sens en soi, il fallait le construire soi-même, être anthropologue pour soi et pour les autres. L’anthropologie, prenant la place laissée par la théologie, devait répondre au nom des humains à l’absence de dieu.
L »épisode africain.
Un moment clé dans ce parcours est mon stage de médecine en Afrique noire, dans les Cliniques universitaires de Lovanium à Kinshasa. Je passais enfin d’un activité morcelée à une activité orientée efficacement. Je concevais ma pratique médicale sur le modèle de l’anthropologie médicale en sursis et la conséquence immédiate en était d’identifier les spécificités des « malades » africains par rapport aux pratiques cliniques introduites et imposées par le colonisateur. Là encore, un évènement a provoqué une prise de conscience anthropologique, c.à .d. la rencontre avec une autre logique de fonctionnement humain,cette fois ci au sens d’une anthropologie culturelle.
L’activité courante du stagiaire en chirurgie était de suivre les réactions post-opératoires des patients. Le symptôme le pus redouté était l’apparition d’une fièvre persistante signant une infection compliquante. Etant donné l’apparition systématique de fièvres l’habitude était prise de perfuser systématiquement les patients avec des antibiotiques puissants, non exempts d’effets secondaires indésirables.Comme la plupart des patients ignoraient le français et que les stagiaires connaissaient à peine quelques bribes de lingala la communication entre patients et médecins était quasi nulle. Je m’étais lié de sympathie avec des infirmiers noirs de mon service, qui acceptaient de servir d’interprète. Prenant l’habitude africaine de longs et répétitifs échanges de paroles avec les patients en papotant sur toutes sortes de détails, j’ai découvert leur énorme pudeur dans l’expression des sentiments et des sensations. Il n’était pas question de manifester la douleur ni la peur. Cela donnait l’impression d’une rémarquable résistance physique et indifférence émotionnelle. Ce « stoïcisme » n’était qu’une illusion qui contribuait à entretenir le stéréotype racial d’une hyposensibilité des autochtones, interpretée par les blancs comme une des manifestations d’infériorité qu’ils se plaisaient à relever. Or, ce que j’ai appris était tout autrechose. La fébrilité de la plupart des patients postopératoires n’avait rien à voir avec des infections systématiques. Certes, il y avait des cas d’infection postopératoire, notament par le staphylocoque des hopitaux, mais c’était loin d’être la généralité invoquée pour justifier l’antibiothérapie systématique.
La fébrilité de ces patients, leurs sueurs chaudes et froides, leur agitation était liée à la réalité qu’ils expérimentaient et dont les européens ignoraient tout. Cette réalité était qu’à leur réveil les opérés constataient qu’ils avaient été dépouillés purement et simplement de leur n’doki protecteurs. Il s’agit des colliers, bracelets et, surtout, ceinture, généralement constitués de minces cordonnets porteurs de renflements, bourses de tissu cousues sur le cordonnet contenant des charges, objets discrets,intimes, destinés à ne jamais être enlevés, et donc scellés sans fermoirs à même la peau. Aux yeux des chirurgiens ces « amulettes sans valeur, sans intérêt, gris à force d’être portés étaient des véritables « nids à microbes » qui devaient donc être systématiquements éliminés. Les infirmiers avaient reçus l’instruction formelle de les enlever lors de la toilette préopératoire, donc de les sectionner et de les jetter dans les poubelles . Et celà sans autre forme de procès, sans même en avertir le patient, qui était d’ailleurs tout à fait impuissant à réagir sous prémédication et début d’anesthésie ou narcose. Les patients se trouvaient à leur réveil devant le fait accompli: ils avaient été désarmés de leur armure magique, qu’ils étaient habitués à porter tous les jours pour parer aux multiples petits et grands dangers de la vie quotidienne. Ils se découvrent nus, sans défense, affaiblis au moment même où ils affrontent les pires dangers qu’ils puissent imaginer. Pour aller en clinique, il faut déjà être gravement malade, atteint d’une maladie si grave qu’elle dépasse les compétences du mu’ganga, le guérisseur traditionnel. Qui plus est, l’hopital est un lieu où ils perdent tous leurs points de repères et, en premier lieu, le soutien de leur reseau familial, qui campe misérablement aux portes de l’hopital universitaire mais n’est pas admis à rester près du malade. Enfin ils sont passés par un traumatisme grave, un irruption à l’intérieur de leur corps, effectuée par un étranger parfaitement inconnu, et cela dans un état de baisse de l’éveil , un état de sommeil qui évoque la mort. Sans compter que le personnel soignant trouve un malin plaisir, disons un plaisir sadique, à leur faire comprendre qu’ils risquent en effet d’y laisser leur vie. Voilà donc réunies les conditions du pire danger que l’homme puisse imaginer, mourrir dans un état de totale impuissance sans même comprendre ce qui arrive, et privé des soutiens humains élémentaires. Il y a en effet de quoi devenir fébrile, de s’agiter et de frisonner d’angoisse, et de manifester les symptômes d’une fievre infectieuse. La preuve de ce mécanisme a été faite.
La récupération des n’doki après enlèvement et leur remise en place moyennant quelques nouages réparateurs, avant le réveil des patients, a très nettement amélioré les réactions postopératoires dans le service où cette mesure a été prise. Ce n’est pas tellement l’économie d’antibiotiques qui est en jeu. C’est surtout l’économie d’angoisse et de soufrance psychique qui compte, avec un gain considérable en humanité. On pourrait croire que l’expérience était suffisament probante pour entrainer un changement général des habitudes. Il n’en était rien. Le stagiaire a été invité à ne pas se mêler des décisions supérieures, a été semoncé pour avoir accordé de l’importance à des « superstitions de primitifs » et d’avoir transgressé les règles d’asepsie qui doivent être respectées après l’opération. Inutile de plaider bien sur pour la présence d’ « amulettes » stérilisées, ou pour la présence d’un « fétiche » protecteur apporté par la famille pouvant être placé à proximité. Non, l’image sérieuse de l’hopital pourrait en patir. Pas question d’admettre ces « fadaises » dans la sacrosainte enceinte de la science technologique de haut niveau. On comprend dès lors l’empressement des patients à quitter ce lieu inhospitalier et dangeureux, dès qu’ils en ont la force, quitte à interrompre brusquement un traitement postopératoire salutaire.
Les étapes ultérieures de cette histoire sont: neurologie, psychiatrie, Analyse du Destin, etc. et finalement psychanalyse freudienne et lacanienne. En d’autres termes une excursion à travers diverses pratiques qui se rapprochent de plus en plus du sujet « parlant et désirant »dans ses relations concrètes aux autres et à l’Autre.
Une anthropologie clinique.
L’épisode Zaïrois a ouvert l’apétit des voyages et séjours d’études dans des sociétés loiintaines. Eloignées dans l’espace mais surtout éloignées par la réalité de la vie quotidienne. Si l’organisation de la vie sociale et individuelle s’appelle une culture, il faudrait préciser qu’il s’agissait avant tout d’apprendre à découvrir des cultures différentes. C’est la différence , en tant que spécificité irréductible au connu, en tant qu’ inclassifiable, en tant que rebelle à l’annexion, en tant que résistante à l’assimilation qui constitue l’essence de l’exotisme. Certes l’exotisme a subi des déteriorisations. Il a été réduit à l’indigène par le colonialisme, au pittoresque par le romantisme, à la curiosité par le modernisme et au folklore par le tourisme. Mais malgré ces défigurations qui tentent de réduire l’exotisme à une forme d’économie, de savoir et d’esthétique, elle est avant tout l’expérience émotionelle, le choc produit par la rencontre avec l’Autre. La rencontre avec l’altérité radicale détruit brusquement les certitudes, pulvérise les références habituelles, libère du carcan des mesquineries du connu, élargit les perspectives, ouvre largement largement les fenêtres sur le monde, fait entrer un air neuf dans les poumons.
Dès que les contraintes de la vie quotidienne le permettaient et que les moyens financiers étaient disponibles, l’appel de l’exotique devenait irrésistible. Partir! Partir le plus loin possible! Ce n’était pas toujours possible, aussi fallait-il s’armer de patience, et d’abord découvrir l’Autre à travers les textes, les récits des voyages des autres, explorateurs, découvreurs, ethnologues, mais aussi romanciers de tout bord et rêveurs de mondes étrangers, inventeurs d’exotismes. Le délire comme voyage, comme fuite, comme recherche d’autres lieux pour vivre, pour échapper aux angoisses ,contraintes, malheurs…
D’abord se sont succédé les voyages exploratoires dans le but de satisfaire la curiosité: Egypte (1968), Rwanda (1968),Tunisie (1969, 1972).
Ensuite ce furent des voyages d’études centré sur une thématique particulière d’anthropologie médicale: Indonésie(1974), Nepal(1978), Etats Unis et Canada (1979).
Enfin, depuis une quinzaine d’années, ce succèdent des voyages d’études visant à constituer méthodiquement du matériel de recherche sur le terrain dans la visée de l’anthroplogie clinique: Maroc (1986,1991,1992), Perou (1989), Guatemala et Yucatan (1993), Bolivie (1994), Ladakh (1996), Maroc (1996,1997,1998,1999),Burkina Faso &1997), Nepal (1997,1999).
Au fur et à mesure de la multiplication des séjours la méthode s’est étoffée et le matériel s’est homogénisé. Le but est d’observer et de décrire les représentations de la santé, de l’ordre, de l’harmonie et de la maladie, du désordre, du mal dans les cultures considérées, ainsi que les pratiques de curation, de guérison, de restauration de l’ordre correspondant à ces représentations.
Le traitement scientifique des données.
Le matériel de terrain s’accumule, s’enrichit, se densifie à chaque voyage. Il est constitué de notes écrites, de photographies et d’échantillons ethnologiques. Se pose alors la question du traitement de ce matériel constitutif de ce qui s’appelle « des données terrain ». En fait, ce matériel n’est pas donné mais construit de toutes pièces, avec la collaboration déterminante des acteurs locaux, de mes informateurs-traducteurs et médiateurs-introducteurs. Je découvre avec une grande satisfaction des analogies entre le travail anthropologique et la recherche psychanalytique. Dans les deux cas, le chercheur est engagé dans une relation intersubjective irréductible au statut d’objet scientifique. La seule manière de satisfaire la condition d’objectivité scientifique est de reconnaitre, d’affirmer objectivement cette caractéristique de subjectivité et de l’assumer pleinement comme composante incontournable, nécessaire, fondamentale de cette recherche en sciences humaines qui n’est humaine et anthropologique que dans la mesure ou elle prend en considération le logos de l’anthropos, c.à .d. le sujet en tant qu’il parle à un autre sujet, dans le cadre d’une rencontre orientée par le désir, amplement exploré et mis à l’oeuvre dans la clinique psychanalytique et théorisé par le discours psychanalytique freudien et lacanien.
Il m’est dès lors facile d’adhérer aux considérations actuelles des anthropologues qui décrivent l’anthropologie en termes de construction discursive et de rencontre transférentielle. Je pense ici aux textes de Mondher Kilani et de Clifford Geertz.
Je suis tout autant porté à sympathiser avec mes collègues Pierre Jo et Mike Singleton dans une méfiance à l’égard des prétentions des discours scientifiques qui prétendent découvrir la vérité ou la substance de leur objet par la maitrise technique de l’objectivation, de l’interprétation et de la modélisation. C’est la raison pour laquelle je privilégie la parole des témoignages par rapport aux discours autoritaires qui réduisent ces témoignages vivants à des modèles abstraits généraux, morts.
Séminaire ARAC du mercredi 24 novembre 1999.
Présents : R.Steichen, Maria Gladys Busse, Céline Dumortier (2e lic PSP, recherche en CLAP « personnes,destins, cultures »), Marichela Vargas, Marina Braconnier, René Leon, Yves Pierard, Virginie Poncelet, Colette Hambye.
Séminaire ARAC du jeudi 25 novembre 1999.
Présents : R. Steichen, Céline Dumortier, Michel Legrand, Yves Pierard, Marichela Vargas, Marina Braconnier,Christiane Van Vaerenberg, Leandre Simbananye,Olivier Servais, René Leon, Michka Pipyn d’Aignes,Maud Jeulin,Pie Tshibanda, Gaetane Mirguet, Kathleen Delid, Anne Cécile De Smedt,Colette Hambye.
Cet exposé constitue le troisième volet de ces exposés qui proposent une réflexion sur ma démarche de recherches clinico-anthropologiques.
Le premier volet est constitué de mon « témoignage » au séminaire « Paroles d’anthropologues ». Il s’agissait là de répérer ce que l’anthropologie (en tant qu’attitude, regard, point de vue et méthode) pouvait apporter à la recherche clinique (en tant que pratique curative ezt en tant que recherche transmissible).J’avais pris le parti d’organiser ma réflexion dans le champ de contrastes entre parole et discours. A cet effet j’avais opposé ces deux dimensions du dire, en privilégiant la parole (en tant qu’elle représente le sujet du désir) par rapport au discours (en tant qu’il étiquette le sujet en tant qu’individu dans une catégorie) .A la fin de mon exposé j’ai répondu à une question de Clémentine Madiya Faik-Nguzi en disant que je ne publiais pas mes recherches en anthropologie clinique ,non seulement suite à l’absence d’un modèle d’interprétation valable, mais surtout en fonction d’une prise de position personnelle qui consiste à éviter a contribuer à la construction de discours du Maitre qui maltraitent les paroles singulières.
J’ai été (vivement ) interpellé par Albert Bastenier , qui s’est insurgé contre mon attitude de critique à l’égard des discours universitaire, contre l’attitude des anthropologues d’ANSO qui refusaient d’interpréter leurs données, contre l’absence de présentation du ou des modèles de référence. Il m’a qualifié de schizophrène, et m’a suggéré de quitter l’université si je m’y sentais persécuté. Enfin il m’a invité , ou plutot sommé, de préciser mes modèles de références.
Je lui ai répondu le plus aimablement du monde que je n’avais nullement l’intention de quitter une université ou il était possible de trouver des contradicteurs tels que lui ainsi que des lieux de parole tels que celui qui servait de cadre aux débats actuels. Je lui ai donné raison concernant l’idée qu’il n’était pas possible de se dispenser de modèle. En effet, j’utilise des modèles d’action clinique dans un souci d’efficacite curative et aussi dans le but de communiquer avec mes collègues cliniciens. Ces modèles associent les modèles psychanalytiques freudien et lacanien , mais aussi des modèles cliniques utilisés conjointement , tels que le modèle psychiatrique phénoménologique et le modèle systémique . Ces modèles, leurs concepts et applications ont donné lieu à des publications en tant que clinicien, adressées à des collègues d’autres disciplines et à des étudiants de 2e cycle dans un contexte interdisciplinaire, en l’occrrence l’IEFS.
Je n’en ai pas parlé ici parceque ce n’était pas le but de la réunion. Le but était de témoigner et de parler, et non pas de théoriser et discourir. Par ailleurs, je ne souhaite pas appliquer mes modèles cliniques dans mes recherches de terrain anthropologiques, ce qui entrainerait de fonctionner sur le mode ethnocentrique colonialiste. A fortiori je n’effectue pas de publications de ces recherches en cours. Par contre, je les présente aux séminaires de l’ARAC et je les fais travailler dans mon enseignement.
Cependant, je suis tout prêt, dans un autre cadre convenu pour y discourir, de rendre compte de mes modèles. C’est ce que je me propose de faire ici et maintenant.
Le deuxième volet de cette réflexion est représenté par mon séminaire d’hier sur la question du transfert et de l’interprétation.
Lors de cette réunion j’ai rappelé les buts du séminaire lors de sa création il y a plus de deux ans. Il s’agissait de donner à des doctorants un lieu de paroles pour y formuler, à l’égard d’autres chercheurs sur des terrains comparables, leurs recherches, doutes, hésitations, erreurs et essais. Ce lieu acceuille des brouillons, des réflexions inachevées, des esquisses, des questions d’épistémologie et d’heuristique. Lors des premiers séminaires s’est posée avec acuité la question de la gestion de l’écart entre le terrain (les observations, le receuil des données, le transfart aux informateurs) et la thèse (le texte qui formalise la théorisation, les modèles, l’interprétation des données et la démonstration de l’hypothèse).
Cet écart existe et se manifeste sous la forme des difficultés qu’entraine la réduction de la richesse des données de l’observation lors du traitement en fonction de la grille d’interprétation modelisée par référence à la théorie choisie.Une démonstration brillante en est la thèse de doctorat de Leandre Nshimirimana. Dans cette thèse, le terrain des représentations et des pratiques de curation au Burundi , d’une part, et la théorie combinant les apports de la psychanalyse, de l’anthropologie structurale et de la méthode de la médiation, d’autre part, n’ont pas pu se rejoindre. De cet écart, Leandre a proposé une interprétation qui est devenue le fer de lance de sa thèse, et lui a conféré une dimension véritablement anthropologique, en démontrant une incompataibilité logique entre systèmes de représentations du monde. Il faut ajouter que Léandre a aussi démontré les dangers réels d’une volonté d’interprétation des réalités du terrain par des modèles occidentaux étrangers au terrain. La politique des administrateurs belges de l’époque coloniale a en effet pris des arguments dans les recherches anthropologiques pour privilégier des groupes ethniques par rapports à d’autres et renforcer de la sorte les haines raciales interethniques déjà existantes. Le génocide de ces dernières années au Burundi serait une des conséquences de cette discrimination « scientifiquement » fondée.
Lors du séminaire d’hier, je suis revenu sur la question de l’opposition entre parole et discours.
A force de radicaliser cet écart, une thèse de doctorat en matière de clinique deviendrait impossible. En effet, une telle thèse se donne comme tache de produire un discours universitaire à partir d’un matériel clinique constitué d’une collection d’enoncés singuliers ayant statut de parole auto-présentative.
Il s’agit de nuancer cette affirmation. Elle est tout à fait valable dans le contexte particulier qui est le mien : celui d’une clinique de la violence, telle que la clinique des psychoses (en début de carrière dans les années 1965 à 1975, lorsque la collocation était omniprésente) et telle que la clinique des abuseurs sexuels (qui donne lieu actuellement à la multiplication des commissions d’experts médico-juridico-sociales)? La, en effet, on peut visualiser une incompatibilité entre la parole singulière et le discours institutionnel qui s’impose à elle. En tant que clinicien psychanaliste offrant un lieu de parole à ces personnes, je ne puis en même temps collaborer à un discours institutionnel à leur sujet qui consisterait à utiliser une caricature réductrice de ces paroles pour fonder des actions sociales à leur égard;
Mais il faut tenir compte des remarques de Bertrand Geerts, qui rappelle que toute parole est construite par référence à un discours préalablement inscrit, et que par ailleurs, tout discours s’initie d’une prise de parole.
Par ailleurs, Virginie Poncelet et Yves Pierard proposent de nuancer cet écart et de prendre en considération des alternatives tierces par rapport à des positions crispées sur la défense de la parole singulière ou l’affirmation de l’autorité du discours institutionnel.
Il me faut également tenir compte du rappel par Jean Kinable concernant l’existence d’un régistre langagier tiers par rapport à la parole et le discours. Le régistre du dire est original par rapport à l’implication dans la parole singulière et à la conformité au discours collectif. Ni parole engagée qui cherche à se faire reconnaitre, ni discours qui déploie des effets de manches pour séduire, le dire propose « simplement  » des énoncés relatifs à l’observable sans prendre position. Michel Legrand rappelle à l’instant que Jacques Schotte avait évoqué le discours comme l’art rhétorique de se faire valoir narcissiquement.
La présente réflexion me semble valable pour l’écriture, qui elle aussi a la possibilité d’être engagée dans chacun des trois usages ou régistres du langage.
A cet égard, je puis en témoigner à partir du travail d’écriture en cours qui consiste à mettre en texte transmissible mes notes de terrain. Je cherche à trouver des solutions à mes problèmes d’écriture en recourrant à des auteurs qui théorisent le discours anthropologique.
En particulier, Clifford Geertz ,fondateur d’une anthropologie interprétative, énonce dans « Ici et la-bas.L’anthropologue comme auteur » que la crédibilité d’un texte scientifique repose moins sur l’étayage des faits que sur le style. « Le style, c’est l’homme, »a dit Buffon lors de son discours d’entrée à l’Académie. Lacan ajoute: « l’homme à qui on s’adresse » dans l’introduction aux « Ecrits ». Pour qui est ce que j’écris? A cette question je ne puis répondre qu’en identifiant ceux auxquels s’adresse mon transfert.J’en ai traité hier.
Les chercheurs de l’ecole d’anthropologie de Lausanne, J-M. Adam, M-J Borel, C. Calame et M. Kilani, ont dans leur ouvrage commun « Le discours anthropologique.Description, narration, savoir » fort habilement déconstruit la méthode de l’écriture ethographique en y introduisant des paramètres subjectifs et peu controlables. Dans la mesure ou j’en tiens compte, il me devient de plus en plus difficile d’écrire spontanément.
Voila les leçons que j’ai pu tirer de ces deux séminaires précédents.
Hier, après le séminaire, j’avais plutot l’impression de nager dans le chaos de la déconstruction méthodique. Cette impression n’était pas tout à fait erronnée puisque Gregory Escande avait au sortir du séminaire cette même impression de « battre le beurre ». Il a trouvé auprès de Leandre et de Virginie une réassurance suffisante., ce qui confirme les vertus de la collégialité amicale.
Devant cette désorientation il me restait à invoquer mon Autre pour qu’il me mette des ordres dans les idées. Tout compte fait, si l’Aute, sous la figure du Surmoi me fait travailler, il est logique que je le fasse a mon tour travailler dans sa fonction de fabrique des rêves. Docile à mes injonctions, il m’a gratifié d’un rêve « textuel » que je n’avais plus qu’à recueillir tot le matin et à enregistrer dans mes tablettes. Ce sont ces notes que j’ai sous les yeux. Le rêve projette sur l’écran du rêve un texte, comme inscrit sur un tableau, que j’ai recopié tel quel.
Le tableau se présente en cinq points, qui correspondent aux cinq couches superposées constituant le gateau de mon « système de modèles d’interprétation ». Les voici.
1. Modèle d’interprétation médico-psychanalytique appliqué à la clinique neuro-psychiatrique des patients atteints de sclérose en plaques et affections handicapantes associées.
2. Modèle d’interprétation patho-analytique (ou phénoméno-structural) appliqué à la clinique psychiatrique des psychoses.
3. Modèle systemico-communicationnel et cognitivo-comporte-mental appliqué à la clinique psychothérapeutique des conflits familiaux et des troubles sexuels.
4. Modèle psychanalytique freudo-lacanien appliqué à la clinique des névroses, psychoses et perversions et troubles de l’identité sexuelle.
5. Modèle d’anthropologie clinique appliqué à la clinique des violences intra psychique, interpersonnelles et interethniques. eprenons cela point par point.
Le premier modèle d’interprétation, dit médicopsychanalytique, est appliqué dans la construction des cas cliniques, dans le souci de guider le programme de traitement des patients en phase aigue (qualifiée de « poussée inflammatoire »), et leur programme de revalidation fonctionnelle en phase de stabilisation (qualifiée de « rémission »). Cette construction comporte l’évaluation parallèle de l’handicap fonctionnel (ce que le patient sait faire et dit savoir faire) et de l’handicap lésionnel (objectivé par les tests neurologiques). L’écart entre les deux donne la mesure du « facteur psychologique » qui diminue ou aggrave l’handicap lésionnel et produit l’handicap effectif ou fonctionnel. Dans ces situations, le facteur psychologique réclame une interprétation, car il est tout à fait déterminant dans l’application du traitement (par perfusions de cortisone et d’immuran en cas de poussée et de kinésithérapie et reapprentissage professionnel en phase de rémission) et dans l’évolution de la maladie (espacement entre les phases de poussée). Mon rôle était de soutenir le désir de vivre des patients. Mais qu’est-ce que le désir? A cette question répond le modèle psychanalytique du désir inconscient. Ce modèle freudien propose une articulation entre la pulsion et le désir. Pulsions de vie et pulsions de mort ne sont que les orientations que prend la pulsion indéterminée en répondant à l’orientation du désir inconscient, cad, à sa liaison qualitative aux représentations inconscientes de vie et de mort. C’est sur ces représentations que le clinicien peut agir. J’y agissais par tous les moyens disponibles, y compris l’hypnose clandestine.
Le deuxième modèle d’interprétation rassemble sous l’appelation de pathoanalyse l’association entre modèles interprétatifs cliniques enseignée par l’Ecole de Louvain entre la psychanalyse freudienne et lacanienne, la Daseinanalyse (Binswanger, Kuhn, Merleau Ponty, Maldiney) et la Schicksalanalyse de Szondi.
Ce modèle, hétérogène mais logique, était enseigné par le trio Jacques Schotte, Alphonse De Waelhens et Antoine Vergote, chacun avec sa note personnelle.Ce modèle était d’autant plus facilement accepté par le psychiatre que j’étais que j’avais été sensible aux idées anti-institutionnelles de l’antipsychiatrie renforcées par la critique du système social caractéristique de l’idéologie de mai 1968.
Dans cette perspective: constrution de cas cliniques en fonction des catégorie psychiatriques disponibles (schizophrénie, paranoia, psychose maniacodépressice, mélancolie), sans se perdre dans les dédales des multiples formes de délires de la nosographie traditionnelle (délire de Sérieux et Capgras, délire de relation des sensitifs de Von Pauleikov, délire de Ségal, etc).
Le délire est interpreté comme processus de guérison, de construction d’un système de représentation habitable pour le sujet, en compensation de la perte du monde commun. Ledélire est considéré comme manifestation à ciel ouvert des processus de construction de la réalité humaine dont dispose tout humain, et auquel il recourt lorsque les répères de la réalité commune chancelent. Le délire est dès lors révélateur des processus communs de construction de la réalté singulière, et des fonctions langagièreshorsl’ordredulangage; e traitement consiste à prendre le contrepied de la répression du délire par les camisoles de force physiques et chimiques (le Largactyl, à l’époque). Tout au contraire, l’entreprise thérapeutique vise à préserver le délire, lui donner des moyens d’expression (écriture, dessin, modelage mais surtout le langage). C’est dans cette optique que je témoigne de mon mode de fonctionnement lors de « l’enlèvement » du patient par décision de collocation. Je me suis porté volontaire pour visiter les patients dans leur « antre », réorganisé selon la logique de leur délire. Il s’agissaite de les rassurer, effectuer avec un une lecture de leur organisation spatiotemporelle délirante, prélever les ingrédients essentiels de leur monde pour les emporter avec eux dans une valise,comme des fétiches indispensables.
Débat.
René Leon fait remarquer l’évidence de l’écart entre les réalités concrètes sur le terrain et la réalité virtuelle de leur énonciation dans une thèse. Les innombrables démarches administratives que nécessite l’acceptation académique d’une méthode de thèse conforme aux réalités du terrain en sont la preuve. Il stigmatise l’absence d’intéret réel de l’UCL pour l’Asie du Sud-Est, dont la prise en Angleterre et aux USA.
Colette Hambye demande quelles sont les relations entre le tableau des causalités du mal dans les sociétés traditionelles et le tableau comparatif des psychothérapies en occident.
Olivier Servais signale que sur son terrain, celui des sociétés Ojibwa du Canada, le tableau des causalités se limite à trois régions. La région « causalité humain » n’apparait pas séparée de la région « causalité par les esprits ». Sans doute que cette « causalité humaine », qui inclut le recours à la sorcellerie et au mauvais oeil, ne se distingue comme telle que dans les sociétés en voie de transformation sous l’effet de l’introduction de la conscience du « je » à coté de la permanence du « nous », dans le contexte du développement de l’idéologie sociale dite « individualiste ».
Kathleen Delid pose la question de la possibilité de poser un diagnostic clinique en psychopathologie en début de traitement, alors qu’il faut nécessairement beaucoup de temps pour qu’un tel diagnostic soit possible.
La répose distingue le diagnostic phénoménologique, le diagnostic structural et le diagnostic fantasmatique. Concernant le diagnostic structural cfr Christiane Van Vaerenbergh.
Michel Legrand se dit frustré du manque de temps pour un débat. Dès lors il se fait un consensus sur la poursuite du débat jeudi prochain.
Yves Pierard annonce qu’il aimerait poser des questions sur l’interprétation.
Séminaire ARAC du jeudi 2 décembre 1999.
Présents :
Pour rappel: trois débats ont précédé cette nouvelle rencontre.
Le premier débat a suivi l’exposé du séminaire « Paroles d’anthropologues « du 18 novembre dernier.
Le deuxième débat a suivi l’exposé du séminaire de l’ARAC du 24 novembre.
Le troisième débat a porté sur l’exposé du 25 novembre.
Il concerne les modèles scientifiques disponibles pour la construction des interprétations en clinique ainsi qu’en ethnographie des conceptions et pratiques cliniques.
J’ai souligné l’intérêt évident d’utiliser des modèles admis sur base de consensus pour se faire comprendre par les collègues et étudiants. Dans ces contextes, le recours aux modèles répérables, discutés et critiqués s’avère nécessaire pour éviter des inutiles dialogues de sourds. Surtout dans un contexte pluridisciplinaire qui tend vers l’interdisciplinaire. La, les modèles consensuels limitent les égarements et délires individuels et collectifs. Par contre, pour etre efficace dans la pratique clinique et pour innover dans les recherches cliniques, il faut de l’audace et sortir des rails habituels.
En pratique et recherche clinique, un modèle devrait servir aux deux opérations qui y sont en jeu: la synthèse active (intellectuelle, explicative, expérimentale et nomothétique) et la synthèse passive (intuitive,compréhensive, expériencielle et idiopathique). Ces deux opérations sont conditionnées par le transfert, entre les collègues dans la synthèse active et entre le clinicien et le patient dans la synthèse passive. Comme le moteur du transfert est le fantasme, il serait logique d’en savoir un bout pour gérer les deux opérations.
De mon point de vue, un modèle n’a de la valeur que s’il est utile au progrès de la thérapie, au bénéfice des patients, et utile aux avancées de la connaissance, au bénéfice de tout le monde.
En pratique, j’y utilise un système de modèles constitué de la sédimentation des cinq modèles que j’ai détaillé la fois passée.
Je dois préciser que dans ce système, les cinq modèles constitutifs ne se retrouvent pas en entièreté. Au contraire, je n’en garde que des morceaux choisis. Je me réfère surtout aux modèles du système , de l’histoire et de la structure.
Le modèle du système m’est utile pour théoriser la réalité psychique comme système de représentations mais aussi pour théoriser la réalité socio-culturelle comme système d’individus (acteurs) en interrelation.
Le modèle de l’histoire me sert à théoriser les changements dans la personne en tant qu’effet de l’inscription d’évènements, mais ausi pour théoriser les transformations socio-culturelles en tant qu’actions personnelles.
Le modèle de la structure m’est indispensable pour théoriser les fantasmes qui ordonnent le désir subjectif et pour théoriser les mythes et idéologies qui
orientent les mouvements collectifs.
En anthropologie clinique , j’utilise pour le moment deux modèles:
Les modèles sont construits à partir de tableau à deux entrées organisés sur le mode bipolaire pour les études comparatives entres thérapies modernes et post-modernes, et pratiques de guérison traditionnelles.
Un modèle de l’efficacité thérapeutique qui prend en considération les trois régistres constitutifs de la réalité humaine et donc trois modes d’efficacité:
1. l’efficacité « réelle » c.à .d. l’effet sur le réel du corps et des pulsions d’agents physiques (telles les stimuli sensoriels) et chimiques (tels les molécules des médicaments),
2. l’efficacité « imaginaire » c.à .d. l’effet sur le réel du corps et des pulsions de processus qui se produisent dans le régistre des représentations en images (tels les transferts et contretransferts, les identifications, les projections, les interprétations,
les introjections, les suggestions, les injonctions, les idéalisations, etc),
3.l' »efficacité « symbolique  » c.à .d. les effets du langage (paroles trompeuses, et fondatrices, dires, discours,… ) de l’élaboration symbolique (métaphore et métonymie, travail du rêve et nouages par le synthome,…).
Précisons à ce sujet que je suis en désaccord avec l’idée de Levi-Strauss, et a fortiori avec celle de T. Nathan qui assimilent la psychanalyse au chamanisme, l’un par le biais de l’efficacité symbolique, l’autre par le biais de l’autorité supposée le garant universel de l’efficacité thérapeutique.
Un modèle de la culture cosidérée comme ce qui sépare l’humain de la nature. La culture est prise comme l’ensemble des systèmes de représentations, de discours et de pratiques en vigueur dans une société donnée, en vue de cerner le réel. C’est ce qui fait office de réalité , séparant les participants de cette société du réel. Le réel désigne tout ce qui dissout le social, le menace. C’est le réel des pulsions (la pulsion de mort), du corps (l’organique et ses détraquages), de la chose (le méconnaissable des autres et la jouissance de l’Autre). La réalité c’est le lieu commun, humainement habitable, connaissable, transformable, aménageable pour la vie domestique. La culture, en d’autres termes, c’est l’invention collective des moyens qui imposent des détours à la pulsion dans son parcours vers la jouissance (l’excès) et vers la mort.
Référence à Freud « Malaise dans la civilisation. »
Problème: l’anthropologie ne s’occupe que de culture et pas de ce qui dans la société est de l’ordre de la pulsion de mort , d’après Gillian GILLISON, « L’anthropologie psychanalytique » in Revue L’Homme, janvier 1999. Comment comprendre la culture sans réference à la pulsion de mort, puisque le sens de la culture est d’y mettre des limites? Ce qui m’amène à défendre l’idée d’une anthropologie clinique qui s’occupe de « çà  », de ce qui est laissé pour compte, le « reste » de l’anthropologie sociale et culturelle. D’où mon affirmation qu’il faut s’occuper des logiques de l’Autre qui interferent avec les relations à autrui. C’est pourquoi je mets ici au tableau ce schéma (le schéma lacanien de la relation intersubjective de « La lettre volée ») et cette formule (la formule lacanienne du fantasme).
J’y ajoute une remarque sur l’idéologie contemporaine occidentale dite « individualiste ». Je sais bien que dans les faits, cette idéologie est insoutenable mais dans les discours, tant politique qu’économique, elle est affirmée comme valeur à défendre. Notre devoir « normal » est de devenir des individus responsables, autonomes, productifs, etc. L’holisme est considéré comme désuète, bon pour les autres, sociétés des pays « en voie de développement ».
Cette idéologie impose un paradoxe. D’une part, elle incite à l’autonomie du désir, et donc à suivre la voie du progrès qui est celle du Père. D’autre part, elle invite à la production – consommation en raplatissant le désir sur le besoin, et donc à s’engager dans la voie de la régression qui est celle de la Mère.
A ces deux modèles, j’en ajoute un troisième: celui du tableau des causalités. Ce tableau comporte cinq hypothèses étiologiques du malheur.
malheur. Ce chiffre n’a rien d’absolu. On peut tout aussi bien en décrire davantage. Pour ma part, je décris les causalités cosmique, divine, la causalité spirituelle, la causalité humaine et la causalité naturelle.
1.La causalité cosmique à laquelle tout est subordonné, même les dieux. Elle se lit dans les mouvements des astres et la succession des désastres et opère dans le destin. Les cultures avancées ont tenté d’en faire la science, en calculant la périodicité des évènements cosmiques perceptibles sur terre (astrologie).
2.La causalité divine désigne les dieux personnalisés de l’autre monde, appelés « divinités supérieures » identifiables, regroupés en panthéons et abordables par des rites spécifiques.
3.La causalité spirituelle est représentée par les esprits, divinités impersonnelles et démons, mânes des ancêtres, djinns et autres entités cohabitant avec les humains dans le monde d’ici.
4.La causalité humaine rassemble l’envie, le mauvais oeil, la sorcellerie, les empoisonnements et toutes les formes d’action agressive et violente.
5.La causalité naturelle recouvre les agents physiques et chimiques qui entrainent blessures, mutilations, intoxications, infections, brulures, fractures, noyade, etc.
Olivier Servais me fait remarquer que dans la société Ojibwa qu’il étudie il retrouve ces étiologies sauf la humaine. Celle-ci se trouve sans doute introduite par le contact avec des modèles individualistes importés par les blancs.
FIN DE TEXTE
