RECHERCHES SUR LE CHAMANISME AU NEPAL
L’influence bouddhique a déjà été modifiée dans le sens du tantrisme lamaïque et est plus prégnante au nord qu’au sud à cause de l’immigration tibétaine au Népal. Les hindouistes ont apporté l’idée de Karma tandis que les tibétains ont amené le gso-ba-rig-pa, le système médical1.
Il y a eu coalition entre la médecine chinoise et hindouiste au 4ème ou 5ème siècle, orchestrée par le roi de l’époque. Il avait invité les ambassadeurs des deux pays et avait organisé de véritables joutes oratoires pour puiser dans les différentes prescriptions celles qui pouvaient le mieux convenir à son pays. En résumé, nous trouvons trois “ systèmes de représentations ou paradigmes au Népal: – Bön ou animiste – Tibétain ou lamaïque – tantrique – Hindou ou Ayurvédique Ces paradigmes sont différemment répartis sur les différentes ethnies. Il y a 14 ethnies au Népal :Au centre et au sud, dans la vallée de Katmandou (villes de Katmandou, Bodnath, Patan, Badgaon, Kirtipur) et les villages dans les collines environnantes, habitent les Indo-Népalais (7,5 millions), les Magar ou Kham (1.339.000) et les Newar (1 million). En outre, on y trouve les Gurung (450.000), les Tamang (1 million), les Tharu (1.500.000) et les Chepang (36.000)2.
Au Nord, dans les contreforts de l’Himalaya se trouvent les villages de Tibétains, de Bhotia et les célèbres Sherpa (15.000 au nord-est). Aux deux extrémités du pays, à l’ouest et à l’est se trouvent des peuples du groupe des Kirant : les Limbu (297.186 à l’est), les Rai (525.551 à l’est), les Sunuwar (40.993)à l’ouest, les Thami et les Jirel (quelques dizaines de milliers pour ces deux ethnies également à l’ouest). La population numériquement et politiquement dominante est donc représentée par les Indo-Népalais qui sont structurés en systèmes de castes : les Bahun (Brahmanes, 2,4 millions), les Chetri (Ksatreya ou guerriers, 3 millions), les Kami (forgerons, 1 million), les Damaï (tailleurs, 400.000), les Sarki (cordonniers, 30.000). Plus marginalement et d’après les régions, on trouve encore les Thakures (nobles), les Sannyasi (les “ renonçants ” de naissance), les Curaute (musulmans fabricants de bracelets), les Gaine (chanteurs) et les Bads (danseurs). Dans l’ensemble et malgré ces spécialisations professionnelles, les Indo-Népalais sont essentiellement agriculteurs. Leurs villages et plantations de riz en terrasses irriguées sont implantés dans les montagnes d’altitude moyenne (400-1900 mètres). Leur religion est un hindouisme shakta qui accorde une place privilégiée au culte de la déesse (Devi, Durga, Kali) qui exige des sacrifices d’animaux. La présence de la déesse est matérialisée par son incarnation dans la figure de la Kumari, “ déesse vivante ” choisi parmi les petites filles de quatre à cinq ans, appartenant au clan des orfèvres Shàkya, sur base de 32 signes distinctifs. Sa fonction prend fin lorsqu’elle perd du sang, que ce soit à la puberté ou accidentellement. Pour notre propos, les groupes ethniques intéressants sont ceux qui sont minoritaires et pratiquent le chamanisme : les Magar, les Chepang, les Tamang et le groupe des Kirant. Sur les 12 millions d’habitants du Népal, 60 % de la population est représentée par les indo-népalais. Il y a 1 million de Newari de tradition artisanale (orfèvres, potiers, tisserands, agriculteurs). Il y a enfin les tribus « ethniques » totalisant 3,5 millions d’individus dans les montagnes. Le paradigme tibétain est animiste. L’univers sensible est habité par des milliers d’entités invisibles différenciées selon les trois mondes qu’ils habitent : – celles des hauteurs (les Lha, dans les montagnes) – celles qui se mélangent aux humains (les Tsan) – celles des profondeurs (Les Klu, entités sous-terraines et aquatiques). Les humains sont obligés de demander une autorisation aux entités pour dresser un barrage, ériger un pont, labourer la terre, construire une maison…chaque fois qu’ils empiètent sur le territoire d’une entité, les villageois doivent se référer aux occupants invisibles des lieux pour savoir quel est le meilleur lieu, le meilleur moment et le dédommagement à payer. Il y a un nombre infini d’entités que l’on peut regrouper en des centaines de catégories. Chaque village possède ses dieux et ses entités. Il y en a dans les grottes, les maisons, … Ils ont un aspect paisible et courroucé. Voir les représentations sur les thanka, peinture sur soie, coton, lin ou une divinité principale est souvent entourée de divinités secondaires ou entités invisibles. Parmi les entités invisibles – dieux, divinités, esprit – on reconnaît : – les plus anciennes sans noms ni spécifications qui les singularisent. – les divinités hindoues clairement identifiables dans le panthéon – les divinités dérivées d’une interprétation tantrique du bouddhisme primitif. Le diagnostic est fait par un lama. Toutes ces entités – Lha, Tsan et Klu sont susceptibles de produire des maladies, malheurs, malaises. Le malade est sous l’influence de l’entité. Il va s’en débarrasser contre dédommagement. Si l’entité s’accroche, le malade sera déclaré possédé. Les entités possédantes empêchent de penser, perturbent la quiétude de l’individu. Elles causent des insomnies, hantent ses rêves. Dans notre vocabulaire le possédé est dit « obsédé ». Les démons ne sont pas clairement différenciés. Ils sont plus dérangeants. Toutes les divinités ont un aspect bénéfique et maléfique, ce qui entraîne de sérieuses difficultés d’identification de l’entité en cause. B. Origines du bön Il n’y a pas de textes écrits par les chamans tibétains. Par contre il y a une tradition orale très ancienne dont on connaît certains éléments par des textes sacrés tibétains. Cette tradition, cosmogonie ancienne est appelée le Bön, les adeptes étant les Bön-pa (homme de la religion de Bön). Le Bön est considéré comme une religion pré-bouddhique. Lors de l’introduction du bouddhisme au Tibet, au Népal et dans les pays avoisinant l’Himalaya, le bouddhisme a d’abord tenté de refouler le Bön. Mais celui-ci s’est montré particulièrement virulent, vivant, animé et le résultat de la confrontation entre bouddhisme et bön est devenu un syncrétisme. Les représentations bön sont très largement masquées par les cosmovisions bouddhistes et hindouistes. On retrouve dans la peinture du bouddhisme tibétain (ou lamaïque) un mélange de figures de tradition bouddhique et de tradition bön. Il est donc difficile de distinguer à l’heure actuelle le bön des grandes religions dominantes, que ce soit le bouddhisme ou l’hindouisme. Le Bön originaire est à ce point mélangé à des éléments hétérogènes dans la religion populaire que certains auteurs prétendent qu’il n’y a plus de Bön possible. Les chamans font appel aux entités, aux esprits, et aux forces décrits dans la tradition bön. Ce sont des entités qui habitent dans les montagnes, les « neiges », les sources, dans les rochers remarquables ou les gouffres, dans des bois ou dans des végétations, dans des animaux. Il s’agit donc d’un véritable animisme.Actuellement, le terme bön est ambigu . Il est utilisé pour désigner la religion animiste pré-bouddhique qu’on essaie de reconstruire de manière archéologique. Mais il désigne également des pratiques hétérogènes actuelles, mélange de bouddhisme et de tantrisme. Il vaut mieux réserver le terme de bön pour désigner la religion pré-bouddhique et employer le terme de « religion du peuple » pour désigner les pratiques syncrétiques actuelles3. Celle s’appelle Mi-chos (la religion du peuple) et coexiste avec le Lha-shos (la religion des dieux). Dans cette dernière religion, les divinités sont bien identifiées et spécifiées par le bouddhisme. Les divinités du Mi-shos sont mal déterminées. Elles ne sont généralement nommées que par les usagers locaux. Ce sont des divinités très localisées et mal définies. Leur statut oscille entre divinité, démon et esprit.
III. Les systèmes de représentations de la santé et de la maladie La transe ou la crise de possession se trouve théorisée et représentée dans la cosmologie des chamans. Plusieurs causes de désordre, de malheurs, de maladie sont possibles: A. Premier groupe: la causalité physique naturelle Les herboristes (bedayu), les médecins allopathes et les médecins formés aux médecines ayurvédiques se réfèrent à cette causalité. B. Deuxième explication: la santé est le résultat d’un juste équilibre entre les fluides humoraux dans le corps. Le système de santé tibétain propose une autre modalité d’explication des maladies. La normalité, la santé résulte d’un équilibre entre les trois fluides qui gèrent le fonctionnement corporel: l’air, ce qu’ils appellent le rlung, la lymphe et la bile. Cette théorie ressemble au système des tempéraments d’Hippocrate si ce n’est que le sang n’y est pas représenté ni la bile noire. Cette différence notable n’est pas tout à fait explicitée. Il semble évident que les Tibétains ne se réfèrent pas aux fluides physiques lorsqu’ils parlent d’air, de bile ou de lymphe. Ils ne désignent pas la combinaison d’oxygène et de CO2 ni le liquide sécrété par le foie, ni les cadavres de leucocytes qui circulent dans les voies et ganglions lymphatiques. Ils s’agit de fluides subtils qui traversent le corps et qui ont une certaine analogie avec les fluides somatiques. Les fluides dont ils parlent sont plutôt des champs de forces, plus ou moins concrétisés dans le corps. La maladie est l’effet d’une rupture d’équilibre entraînant la prévalence d’un fluide sur les deux autres (à développer: le chaud/le froid). Le traitement est effectué principalement par les Amchi. C. Le Karma et la maladie karmique Au Népal le système bön a été largement refoulé par le système bouddhique. Dans celui-ci, on ne parle plus d’esprits protecteurs et d’esprits dérangeants mais on parle plutôt de bons et de mauvais karmas. L’idéologie du Karma est une idéologie un peu abstraite pour le commun des mortels. Le Karma, généralement traduit par destin ou par chance (luck) se transmet de corps en corps, de manière transindividuelles dans un cycle ininterrompu de réincarnations. La théologie occidentale parlerait d’âme mais ce concept est inexistant dans la culture locale. Il s’agit d’un fluide vital qui circule dans les individus. Celui-ci n’est pas une quantité mais est qualifié, c’est à dire que la quantité de vitalité et d’excitation est mise au service d’actions bonnes ou mauvaises. Le karma est chargé d’une valeur au cours de la vie. Chacun possède une certaine quantité de karma au départ et il l’utilise soit en l’appauvrissant soit en l’enrichissant. Il y a donc également des maladies karmiques. La notion de karma, compliquée pour les occidentaux, l’est aussi pour les habitants du Népal. Ils préfèrent s’imaginer que la maladie est le résultat d’un déséquilibre des esprits. Dans le bouddhisme en effet la maladie est expliquée par l’idée qu’il y a une surcharge de mal de l’âme, une surcharge de négativité du karma et que donc on devient un malade karmique. Un fou peut être considéré comme quelqu’un qui est tellement chargé de mal qu’il en devient déraisonnable. D. L’envie, le mauvais œil et la sorcellerie: Comme dans toutes les sociétés, où la rupture de réciprocité liée à une accumulation de biens produit un déséquilibre dans les rapports de forces, les villageois partagent l’idée que l’exception attire le malheur. Ceux qui sont riches sont obligés, dans un tel système de faire profiter les autres de leur richesse. A défaut, ils seront frappés de malheur. Leurs croyances les incitent à utiliser des talismans et des techniques magiques apotropaïques afin d’éloigner le mauvais œil . Ils suspendront par exemple des images obscènes et notamment des phallus en bois ou en paille au-dessus de la porte d’entrée ou sur la façade. Dans le même contexte, là où le mauvais oeil produit un effet direct, la sorcellerie produit des effets qui sont la conséquence de la manipulation. Les empoisonnement affectifs, les règlements de compte dans les villages se retrouvent dans les sociétés himalayennes, supposées pacifiques parce que bouddhiques, autant que partout dans le monde. E. La possession par les esprits ou la perte d’âme: Soit les esprits protecteurs de l’individu, ce qu’ici nous appelons improprement âme et qui sont plus proches de nos anges gardiens, sont égarés, perdus, enlevés, arrachés ou ont été chassés et sont donc sortis du corps pour aller se promener ailleurs; dans ce cas on parlera de « vol de l’âme ». Soit, au contraire, il y a cohabitation dans le corps de l’esprit protecteur habituel et de l’esprit dérangeant, un démon, qui sont entrés dans le corps et qui entre en conflit avec l’esprit protecteur. Dans ce cas on parle de possession. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans un système de représentation qui visualise les esprits. Les possédés sont susceptibles de faire le parcours de tous les agents de la santé. Les sujets qui ont perdus leur âme ne sont pas directement diagnostiqués comme tels. Ils vont généralement consulter un on po, un amchi ou un lama avant d’aller voir un chaman. Au fur et à mesure, les praticiens en arriveront à déterminer que la maladie est causée non par une « maladie naturelle » mais est liée à un être spirituel et que les pratiques habituelles sont inopérantes. Il faudra donc recourir à un spécialiste pour guérir de la possession. Soit le possédé est exorcisé, soit le possédé devient chaman. Il n’est pas évident pour un malade possédé de devenir un médium possédé. Il subit toute une pression sociale. Etre un médium est très contraignant. C’est être arraché à sa quiétude familiale, à ses affaires personnelles. Le médium, tout en continuant à avoir une famille et à travailler aux champs, doit assumer ses tâches de consultation. Certains possédés sont issus de familles de tradition chamanique. Ceux-ci- ( voir informateur à Bodnath) ne deviennent pas chamans parce qu’ils sont possédés mais parce qu’ils sont initiés par leur père ou grand père. Ils font également une maladie mais celle ci n’est pas nécessairement interprétée comme une élection. Ils ne font pas de crise de possession, ne sont pas réellement élus mais se mettent cependant en transe Il y a une véritable rivalité entre les chamans possédés qui estiment qu’ils sont plus près des dieux et des chamans qui ont été initiés, formés, mis à l’école d’autres chamans. Les premiers sont plus proches du peuple. Les seconds sont plus élitistes. IV. Le chamanisme A. Introduction: Les chamans se réfèrent à la théorie des esprits Les chamans vont s’occuper principalement de la dernière cause, c’est à dire la possession par les esprits. Tout laisse croire que ceux qui consultent avec régularité les chamans croient d’avantage en l’explication de l’influence des esprits qu’en l’explication karmique qui leur est trop philosophique. L’explication par les fluides est, quant à elle, trop scientifique. B. Pourquoi s’intéresser au chamanisme ? Avant le voyage au Népal en 1997, il nous semblait que le chamanisme était tout à fait marginal et que les pratiques de guérison traditionnelles étaient surtout représentées par la médecine ayurvedique, issue du modèle indien, complétée par des techniques de yoga, également d’origine indienne ainsi que de la médecine traditionnelle tibétaine incarnée par les am-chi. Ceux-ci sont formés à Lhassa ou à Daramshala, ville du nord de l’Inde où se trouvent en grande partie les 150.000 réfugiés tibétains qui ont, à la suite du Dalai Lama, quittés le Tibet depuis l’invasion chinoise de 1950. Lors de ce voyage, nous nous sommes rendu compte que le chamanisme était encore florissant et que les chamans, loin d’être uniquement une curiosité, continuaient à fonctionner en nombre dans les villages et les montagnes. Non seulement ils sont très nombreux mais encore très actifs. J’ai eu l’occasion de rencontrer dans la vallée le chaman Banstola. Celui-ci est déjà très civilisé. Il parle très bien anglais et est en contact avec des anthropologues depuis très longtemps. Il s’intéresse au chamanisme et est devenu lui même une espèce d’anthropologue de sa propre pratique. Je le considère donc d’avantage comme un excellent informateur sur les chamans plutôt qu’un chaman en fonction. C. Qu’est-ce qu’un chaman ?Les spécialistes4 appellent chamans des personnes dont l’entité spirituelle (l’âme) quitte leur corps pour aller dans l’espace et entrer dans le domaine des esprits. Or ici, on peut plutôt parler de possédés.
Souvent cela se passe comme suit: Des personnes sont déclarées malades par leur famille ou leur village. Elles présentent des insomnies, de l’agitation, des convulsions, des nausées, des troubles digestifs que les herboristes essaieront de traiter. Si les malaises persistent, on consulte l’on-po qui fait office de devin-astrologue. L’amchi, s’il y en a un ou le médecin du dispensaire le plus proche seront consultés. Dans ce cas, la famille conduit le patient chez le chaman qui ira lui-même chez le lama. Le malade sera déclaré futur chaman. On peut parler de malades non guérissables. Leur appellation de chaman provient du fait qu’ils utilisent les mêmes rituels. Ce sont des médiums possédés qui utilisent le rituel chaman. Les chamans Jankris ou Dhami-jankris Ils voyagent et cherchent à identifier les esprits locaux qui sont la cause de la maladie. Ils n’entreprennent le rituel de guérison que s’il y a des chances de réussite de l’exorcisme du patient. Ils préparent un autel, très personnel et sur lequel ils placent les symboles de leurs divinités et entités tutélaires (ainsi que des offrandes). Après une brève rencontre avec les malades et leur famille, le chaman entre en transe en s’aidant de musique, d’incantations et de plantes hallucinogènes. Pendant la transe, il est habité par les esprits et les fait parler à travers lui. Il fait également des offrandes. Ces transes sont épuisantes et peuvent amener le chaman à perdre connaissance. Il lui faut de l’aide pour le ramener chez lui. Les patients paient généralement en nature ou quelques roupies népalaises. Un chaman est ne pratique pas un métier lucratif, faisant partie du conseil des sages, et dont la renommée peut s’étendre à plusieurs villages. Le chaman est aussi un notable local, il a un pouvoir consultatif politique et est hôte d’honneur dans les festivités du village. C’est un homme public. D. Le chaman et ses adeptesBien qu’il y ait une très grande tolérance religieuse, les bön-pa 5 sont déconsidérés par les citadins et sont presque exclusivement consultés, dans les villages, par les agriculteurs. Dans la vallée, il resterait seulement quelques böns-pa en fonction mais il faut entrer dans des circuits d’informations relativement fermés puisque les rites hindouistes et bouddhiques y sont tellement dominants que le bön a été marginalisé. Par contre dans les montagnes, certaines ethnies comme les « Magar », ou les « Tamang » et les « Kirant » pratiquent très ouvertement un mélange de religion hindouiste et bouddhiste avec des éléments bön dominants.
Les citadins, habitants la vallée, sont très conformes aux directives de modernisme. Le Ministère de la santé ainsi que les différents programmes de santé, préventifs et curatifs, imposent comme médecine officielle la médecine allopathique. Ses médecins sont principalement formés dans les universités anglaises ou dans des écoles de médecine indienne de tradition anglophone.Le Népal, comme tous les pays du tiers monde, tente de donner au monde extérieur l’image d’un pays moderne. Il essaie de ne pas faire trop état de la persistance de traditions ou de systèmes de référence supposés anciens, « archaïques ». La collaboration occidentale avec le Népal durant des années a renforcé ce mépris à l’égard des systèmes de représentations traditionnelles. Ce n’est que depuis quelques années que l’OMS a donné des directives plus précises aux organismes de santé occidentaux afin d’observer, de codifier, d’objectiver et de recueillir le maximum de renseignements possibles concernant le système de pensée, le système de diagnostic et de traitements traditionnels et cela notamment au Népal 6.
Il semble donc y avoir, depuis peu un regain d’intérêt pour ces pratiques de la part d’anthropologues principalement d’origine anglophone 7.
Ces recherches ont un intérêt pragmatique évident: le ministère de la santé du Népal comme celui d’autres pays se rendent compte que le modèle de la médecine occidentale présente de nombreux défauts. Elle est beaucoup trop coûteuse pour pouvoir lui donner une expansion suffisante mais est également mal adaptée à la mentalité. Malgré le développement de la technologie, la médecine occidentale est inaccessible à une majorité de la population qui ne peut se déplacer, n’y comprend rien et n’a pas les moyens financiers. De plus, la médecine occidentale a la fâcheuse habitude de séparer les malades de leur famille, ce qui est inconcevable pour ces sociétés. Il est impensable d’isoler les personnes dans des hôpitaux, surtout lorsque ceux-ci se trouvent à 6 jours de marche de chez eux.Hôpitaux où l’on ne peut pas se plaindre dans sa propre langue et dans lesquels, de surcroît, les traitements sont anonymes, standardisés, inhumains8.
Les occidentaux ont acquis l’habitude, depuis leurs études secondaires, de penser leur corps d’un point de vue physiologique et fonctionnel et vivent dans une société gérée par une idéologie individualiste. Par contre, pour un népalais, le corps est un assemblage d’humeurs qui est dirigé par des démons ou par des esprits. Il n’a pas une identité personnelle qui se conçoit en dehors du clan, du groupe, de la tribu, de la famille. Invalide, il se trouve, lors de son entrée à l’hôpital, propulsé dans un lieu dans lequel il ne retrouve aucun de ses points de repères, dans lequel il est traité comme un numéro. N’importe quel famille culpabilise massivement d’abandonner l’un des leurs entre les griffes des médecins d’hôpitaux. Lors d’une recherche-action de récente de l’UNFPA en 1978[[Ramesh M. Shrestha « Faith-healers: a force for change » Project UNFPA 1978, Publication UNICEF, Educational enterprises, Katmandou, 1980. ]], on s’est rendu compte que les chamans étaient extrêmement nombreux dans les collines entourant la vallée centrale, au Népal. Un médecin du gouvernement a en effet fait appel à eux dans le cadre de ses recherches. Il essayait de promouvoir dans les montagnes (autour de la vallée de Katmandou) une campagne de régulation des naissances combiné avec un programme d’amélioration de la nutrition des enfants en bas âge. Le but est de faire accepter la limitation des naissances parce qu’on augmente parallèlement la chance de survie des enfants. En cherchant des collaborateurs locaux, l’équipe médicale s’est associée 25 chamans qui ont participés à un programme de formation. Ils ont trouvé en eux des intermédiaires tout à fait efficaces auprès de la population, puisque ceux ci étaient sensibles aux problèmes de santé locale. Ils ont initié les chaman au programme de régulation des naissances et au programme de promotion nutritionnel. Les chamans ont suivis ces programmes avec énormément d’intérêt. Ils sont devenus des collaborateurs parce que cela ne portait d’aucune manière ombrage à leur technique ni à leur savoir faire. Ils ne se sont pas sentis mis de côté mais au contraire valorisés. D’autant plus qu’ils avaient ainsi l’occasion d’apprendre un savoir qui pouvait leur être utile. Dans ces régions, il y avait très peu d’infirmiers, de médecins et d’amchi. Par contre les auteurs de la recherche estiment le nombre de Dhami-Jankhri à plus de 400.000. E. Principes opérateurs des pratiques des guérisseurs chamans L’atmosphère De mon point de vue subjectif, le chaman est avant tout un créateur d’atmosphère. C’est quelqu’un qui est obligé de se créer une atmosphère personnelle pour entrer en transe et produire une atmosphère collective qui entraîne l’adhésion. Une atmosphère est un lieu où l’on respire, une ambiance. L’atmosphère est plus particulièrement la qualité subjective de l’air qui circule dans cette ambiance. Cette atmosphère peut être oppressante ou au contraire légère, elle peut être accablante ou enivrante.On entend par atmosphère la magie d’un lieu et d’une situation, c’est à dire la manière dont un contexte matériel, physique produit sur le corps de l’individu et sur son fonctionnement mental des effets concrets, au sens où il se sent ouvert ou fermé, supporté ou menacé. Je parle ici de l’atmosphère au sens où les allemands parlent de « Stimmung »9. Il s’agit ici de l’espace et du temps vécu, c’est à dire de la manière dont les individus vivent le contexte spatio-temporel dans leur corps et qui détermine leur manière de fonctionner. L’atmosphère n’est pas un produit de la raison, du calcul, résultant du mesurage objectivant de l’espace ou du temps.
C’est l’effet pragmatique de bien-être ou de mal être produit par un contexte spatio-temporel. La « Stimmung » n’est pas une constatation purement passagère mais fonctionne par accumulation. Chaque individu ne subit pas seulement passivement l’atmosphère d’un lieu mais il garde de cette expérience antérieure des traces qui feront que le lieu sera interprété en ce terme. L’atmosphère est donc le résultat d’une part de caractéristiques propres du contexte et d’autre part d’une disposition d’esprit de celui qui entre dans ce contexte. C’est d’ailleurs cet « accord » qui traduit le mieux le terme allemand de « Stimmung ». « Stimmen » veut dire mettre au même diapason, accorder les instruments de musique, ou s’accorder avec quelqu’un c’est à dire se mettre sur la même longueur d’ondes, en résonance ou en harmonie. La temporalité Un chaman agit donc avant tout sur l’ambiance. C’est la raison pour laquelle il travaille avec une logique des lieux et des espaces dans lesquels rien n’est laissé au hasard. Les moments les plus actifs pour le chamanisme sont les nuits, plus particulièrement celles définies comme propices par le calendrier et par les astrologues. Ce sera la nuit de la pleine lune et plus précisément celle qui correspond avec l’anniversaire de Bouddha ou qui coïncide avec une haute éphéméride sacrée reconnue. Le public sait que certaines nuits sont d’avantage propices à une activité chamanique intense. Les lieuxLe chamanisme, tout comme le bouddhisme et l’hindouisme choisissent des lieux sauvages ou culturels considérés comme extrêmement propices à des rencontres entre l’humain et le surnaturel. Ces lieux intéressent également les chercheurs, notamment russes qui ont, pendant des années, inventoriés en Himalaya les hauts lieux à charge magnétique importante. Ils se sont intéresses au magnétisme animal, à la radiologie et à la radiesthésie ainsi (à la suite de Pavlov) au rayonnement magnétique émis et reçu par le corps humain. Il est intéressant de constater que ces travaux ont été méprisés en occident, sauf par les militaires, ce qui explique leur caractère secret10.
Les lieux des chamans sont des lieux géographiques remarquables. Ce sont des lieux détectés par les lamas et sur lesquels ont été construit des sanctuaires ou des monastères. Ils sont reconnus depuis l’antiquité et sont soit le but de pèlerinages, soit des lieux inaccessibles où les ascètes se rendent pour entrer en transe[[Avec les capitaux reçus des américains et des européens, les moines bouddhistes achètent des terrains en France et en Suisse pour y construire leurs monastères. Ces terrains sont choisis en fonction de leurs qualités géodésiques. Ce sont généralement des lieux où il y a des sources, de l’activité volcanique, de l’activité magnétique (causé par un important entassement de fer magnétisé ou une masse de météorites) ou encore des lieux qui ont été très retravaillés par les forces tectoniques (c’est à dire dans lesquelles il y a des roches cristallines à cristallisations en sens inverse, inducteurs champs tensionnels; Ce sont généralement des champs de tension où s’originent des champs magnétiques. De nombreux lieux de ce genre, appelés « power places » ont obtenus l’intérêt de chercheurs russes et allemands avant la dernière guerre mondiale Les russes s’y sont intéresses de même que les allemands entre 39 et 45.]]. Qu’ils soient efficaces ou non, l’important est qu’il y ait une croyance populaire suffisante en leur efficacité, que ces lieux soient recherchés par des pèlerins et plus particulièrement par les chamans pour produire des effets de cure. Ces lieux sont souvent difficiles à atteindre et nécessitent plusieurs jours de marche et d’escalade. De plus, ils sont généralement occupés par des temples ou par des monastères et ne sont donc accessibles au public que moyennant la soumission à des conditions rituelles (dons, offrandes, attentes…). C’est pourquoi les chamans essaient, pour le commun des mortels, de recréer ces lieux magiques dans leur maison. Ils choisissent celle-ci dans un coin du village qui a une bonne réputation ou essaient de transformer par la transe un lieu banal en un lieu opérant. La transe La transe est le premier instrument du chaman. Le mot « transe » vient du latin « trans », passage, c’est à dire le fait de passer d’un endroit à un autre. La transe désigne l’effet de tremblement, de désarroi, de déstabilisation produit par une transformation (où l’on retrouve le radical trans). Une transe est la manifestation d’un état de déséquilibre provisoire entre deux moments d’équilibre: un moment d’équilibre que l’on perd et un moment d’équilibre vers lequel on va. Une autre manière de décrire la transe, c’est de la définir par le concept de crise, au sens grec du terme. La crise qui désigne le moment où une maladie évolue soit vers sa guérison soit vers la mort. C’est un seuil en-deçà duquel on peut encore parler de maladie et au-delà duquel le processus devient irréversible: ou on meurt ou l’on guérit. Par ailleurs, la crise désigne encore un moment dans l’évolution de l’individu ou d’une collectivité défini en fonction de lois qui font qu’au delà d’un certain seuil il n’y a plus moyen de revenir en arrière.Les chamans vont, au moment de la thérapie, se mettre eux-mêmes en situation de transe ou de crise. Ils vont, plus exactement reproduire des crises antérieures et plus particulièrement la première crise, celle du début de leur carrière. En effet un Jankri a commencé sa trajectoire parce qu’il a traversé une crise grave. Au plus il a failli perdre la santé mentale ou la vie, au plus il est à même de revivre cette crise, de l’actualiser. Dans son acte de crise, il y a une double transformation, une sorte de crise en deux mouvements. Au moment où il est consulté, le chaman est dans un état d’ordre. Puis premier mouvement, il provoque, en son sein, un désordre et entraîne ainsi celui du malade: il provoque une identification du malade à son désordre. Ensuite, deuxième mouvement, rétablissant chez lui-même l’ordre, il amène son malade à le vie, à la guérison. Il va littéralement chercher ce qu’il y a de malade chez son patient pour, ensuite, dans une induction mutuelle d’ordre rétablir la santé chez son malade11.
Le chaman appelle les esprits possédants par la prière, les offrandes, la fumigation. Le chaman utilise le rythme sonore. Il frappe un tambourin à l’aide d’une baguette incurvée pendant qu’il énonce des mélopées. Il se met lui-même en transe en chantant, en invoquant les esprits. Il danse ou plutôt se secoue sur place, en rythme. A un moment donné il se met à trembler très fort. A ce moment l’entourage le qualifie de « possédé », l’expression exacte étant « il est chevauché par le dieu ». Sous cette influence, il se met à parler très rapidement, d’une manière quasiment incompréhensible. D’après les informateurs, il tombe parfois également en syncope. Quand il se réveille, il peut parler des visions qu’il a eues et dispose de la réponse des dieux. Le public est réparti tout autour de lui, fasciné, captivé par le spectacle. Il se trouve en cercle dans une atmosphère enfumée, où l’on brûle des herbes odorantes. Il y a contact psychique et non physique entre les membres de l’assistance. En principe, le chaman est seul à battre le rythme. Il peut y avoir au maximum un ou deux acolytes qui dansent également. Le public reste plutôt passif. Le malade étant considéré comme un partenaire social, il est entouré de ceux qui lui sont chers. Les membres de la famille du « patient », les membres du clan, quelques voyageurs occasionnels ou des gens du village, de simples curieux viennent assister à la cérémonie. Selon la capacité de la pièce, il peut y avoir une vingtaine de participants. En général les transes se passent à l’intérieur de la maison du chaman ou dans la maison des patients, mais elles peuvent également se dérouler à l’extérieur, notamment certaines nuits. Le chaman reçoit chez lui, mais il se déplace aussi de village en village pour aller exorciser. En général la cérémonie se passe dans la pièce de séjour, plus particulièrement près du pilier central qui supporte le plafond. Dans l’architecture tibétaine traditionnelle, celui-ci représente l’axe par lequel les esprits circulent du monde supérieur vers le monde inférieur. C’est donc là que les esprits et démons sont susceptibles de capter un chaman qui se met sur leur trajectoire. V. Questions du point de vue de l’observateur extérieur A. Chaman ou médium possédé ? D’après Mircea Eliade, un chaman est quelqu’un qui perd son âme, ce qui entraîne qu’il perd connaissance et tombe en syncope. Mais, d’après mes informateurs, ils ne tombent que rarement évanouis mais s’écroulent d’épuisement, suite aux tremblements. Les chamans de tradition sibérienne perdent conscience: leur âme les quitte pour rejoindre, par l’axe, le monde des dieux. S’ils sont possédés, il n’y a plus de raison pour qu’ils perdent connaissance. Dans ce cas ils vont parler de manière ininterrompue. A un moment donné, leurs paroles deviendront curieuses et bizarres. Concernant les chamans népalais, il serait plus exact de parler de médiums possédés. Cependant la tradition anthropologique a consacré l’usage du terme de « shaman » (en anglais) et de « chaman » pour désigner cette catégorie de guérisseurs. B. Guérir ? Le terme de guérison doit être pris ici au sens large du terme. Il ne s’agit pas seulement du traitement d’une maladie individuelle mais de la solution d’un problème collectif. La maladie est due à une perturbation de l’équilibre entre les dieux, les entités spirituelles et les humains. Ce déséquilibre se traduit par des maladies individuelles et par un malaise familial ou social, par des mauvaises récoltes, par le pourrissement de l’eau ou le fait que la nourriture se gâte… Le chaman n’est généralement appelé que parce que le mal perdure et touche la collectivité. On ne soigne jamais une maladie comme se passant uniquement dans le corps. Le déséquilibre des forces surnaturelles est perçu comme se jouant dans le corps social plutôt que dans le corps singulier. Quelqu’un qui est malade est considéré comme porteur de la perturbation de l’ordre familial. Si on veut absolument utiliser une terminologie occidentale, on pourra dire que le malade est un « patient désigné », porteur de la maladie du système familial ou social dont il est solidaire. Dans cette perspective systémique, la guérison produite par le chaman est comparable à une sociothérapie produisant une guérison situationnelle et non une guérison au sens médical du terme. On pourrait dire, pour paraphraser ce qui se passe en psychanalyse, que l’on produit une réorganisation du système de représentation du monde dans le chef de la personne et que la guérison vient éventuellement de surcroît. C. Anamnèse préalable ? Il faudra vérifier si le chaman a une connaissance singulière de ses patients avant d’entrer en transe. D’après l’expérience des Lha-bo dans les villages du Ladakh, il semblerait qu’il soit difficile qu’il connaisse tous ses consultants. En effet, il est souvent consulté par des étrangers venant parfois de loin. En plus, il n’y a pas d’anamnèse systématique comme le pratiquent les médecins occidentaux ou les médecins tibétains. Les chamans posent quelques rares questions. Il semblerait que leur diagnostic soit d’avantage basé sur ce qu’ils sentent de l’ambiance dans laquelle ils entrent. Ils font donc d’avantage un diagnostic de situation, d’ambiance, d’atmosphère ou encore de « Stimmung » plutôt qu’un diagnostique différentiel à partir des plaintes significatives d’un patient. Le chaman fait un diagnostique holistique plutôt qu’un diagnostique individualiste, ce qui est logique puisque l’on est dans une société holiste. Il n’est donc pas indispensable qu’ils connaissent l’origine géographique du patient ou les antécédents de la maladie. D. Postcure ? Au Ladakh, les patients du chaman n’entrent pas eux-mêmes en transe. Ils ne sont d’ailleurs pas guéris d’emblée. La transe les met en état de guérison possible. Mais celle-ci suppose des pratiques que le patient va accomplir en quittant la séance. La plupart du temps il s’agit d’offrandes à faire à des divinités pour provoquer le rétablissement de l’ordre, ou des actes sociaux à accomplir tels que s’associer à une tâche collective, adhérer à la solidarité familiale, se réconcilier avec un rival, un conjoint ou un familier. Certaines informations laissent penser que le patient peut revenir quelquefois, voire recevoir un début d’enseignement lui permettant de mieux gérer ses crises de maladie, surtout si celles-ci sont l’effet d’une possession épisodique. Dans le cas où l’entité possédante résiste à l’exorcisme, il s’agirait de transformer une possession chaotique en possession reconnue, acceptée et organisée, c’est-à-dire soumise à des rites d’apparition et de disparition. E. Individualisme / Holisme D’après ce que j’ai vu au Ladakh et d’après les renseignements recueillis auprès de mes informateurs, le chaman ne voit pas ses patients un à un. Les consultations se font devant tout le monde. Les personnes s’approchent et lui parlent individuellement mais les autres restent présents. Lorsque j’ai moi-même consulté alors que j’étais malade, je l’ai fait devant tout le monde. Cela se fait à voix basse. Il n’y a pas ce conciliabule discret et individuel qui apparaît tout à fait logique et normal dans notre culture. Il n’y a pas à proprement parler de secrets. Il n’y a même pas de discrétion puisque le mal et sa représentation sont connus de tous. L’individu n’est pas vu comme seul dans son mal. Il peut y avoir dans la pièce de consultation 5 ou 6 entités de trois personnes, patient-père-mère ou frère et sœur énonçant 5-6 plaintes qui ne sont pas extrêmement diversifiées. Elles concernent toujours plus ou moins les mêmes problèmes: affaiblissement physique, agitations, insomnies, angoisses, douleurs dans le corps…Les plaintes sont assez courantes et tout le monde sait que la plainte que quelqu’un vient apporter est semblable à celle que lui-même ou un membre de sa famille a déjà apporté. Il y a un savoir populaire des différents types de plaintes possibles. Généralement, quand les villageois ont des problèmes relationnels, ils ne font pas appel au chaman mais plutôt au sage, c’est à dire au vieux de la famille. Si celui-ci ne peut leur répondre ils iront devant les autorités du village. Les maires de villages font office de juges locaux qui interviennent pour régler les conflits conjugaux, les disputes entre ascendants et descendants, les problèmes de lignages et de transmission coutumière. En guise de conclusion… Les questions posées n’ont reçues que des réponses provisoires. A suivre…Post-scriptum : Le chamanisme himalayen et les principales différences entre Lhamo et Jankri12
Il est plus facile d’appréhender la fonction de Lhamo (Ladakh) que celles de Jankri (Népal). Au Ladakh, la fonction de Chaman est bien intégrée dans la culture locale par le bouddhisme, la religion officielle. En effet, le Lhamo utilise les instruments et les prières du bouddhisme. Il officie devant un autel sur lequel on retrouve des divinités tantriques bouddhistes. Les chamans portent les emblèmes avec les 5 bouddha (le bouddha historique et ses 4 avatars). Ils portent également des vêtements inspirés du lamaïsme (bouddhisme tibétain ou bouddhisme tantrique). Ils utilisent différents instruments du lamaïsme: – le Damaru, tambourin composé de deux crânes accolés, tendus de peaux battues alternativement par un battant de cuir fixé au manche par une cordelette. Dans le culte de Shiva, le Damaru est associé au Trisula, le trident (qui symbolise la triade: création, protection et destruction) – Le Gantha, ou la clochette surmontée d’une tête humaine couronnée d’un hémi-Vajra symbolise le principe femelle et représente la sagesse (Prajna). Il est tenu dans la main gauche. La combinaison du Vajra et du Gantha, manipulés conjointement de manière à produire des mouvements dans l’espace cause l’illumination du manipulateur. De ce fait les deux instruments forment un couple rituel constant. – Le Vajra ou double éclair représente la foudre ou le diamant destructeur de l’ignorance tout en étant eux-mêmes indestructibles. Dans l’hindouisme le Vajra symbolise le dieu Indra (roi du ciel et dieu de la pluie). Dans les rites tantriques, le Vajra symbolise le principe même et représente la méthode (upaya). Il est tenu dans la main droite et forme couple avec le Ganta. Dans la tradition tibétaine, le Vajra est appelé Dorje . Le 4ème instrument, le Phur-bu, semble plus ancien que le lamaïsme et ressort de la magie noire du bön. Il s’agit d’un poignard rituel sculpté en bois ou coulé en bronze. Une pointe acérée symbolisant la sagesse destructrice de l’ignorance sort d’une gueule de monstre (Makara). Le manche est surmonté d’un pommeau à trois visages, représentant le dieu Vajrakilla (ou Vajrakumar) ou encore le dieu Hayagriva (dont les trois visages sont surmonté d’une tête de cheval). Contrairement au Lhamo, le Jankri utilise des instruments plus primitifs, héritiers de l’ancien Bön , notamment les couronnes de plumes de paon en guise de coiffe. Le Damaru est remplacé par un tambour plat de type sibérien (le Dhyangro) au manche en forme de Phur-bu. Au lieu du Gantha, le chaman porte un ou deux baudriers de cuir croisés sur la poitrine et garnis d’une dizaine de clochettes de bronze. Les prières s’adressent aux divinités régionales et les autels sont rares.