AUTRE CULTURE, AUTRE TEXTE, AUTRE SAVOIR

RENCONTRES AVEC L’ALTERITE:
AUTRE CULTURE, AUTRE TEXTE, AUTRE SAVOIR

Robert Steichen

Quelques questions.

Notre réflexion porte sur la psychanalyse en tant que discours universitaire. La psychanalyse est bien plus et autre chose que cela, elle est un ensemble de pratiques de terrain, une diversité de discours d’écoles, une constellation de discours sociaux qui s’y réfèrent. Mais elle est aussi dans certaines (rares) universités un discours universitaire parmi d’autres.
Tant que les universités sont considérées comme ayant à maintenir une ouverture sur l’univers y compris l’univers humain la psychanalyse y tient une place logique et incontournable. En effet, la connaissance de l’humain nécessite tant l’étude des logiques irrationnelles que rationnelles et des processus tant inconscients que conscients. Ce n’est qu’à cette condition qu’il est possible de construire une connaissance scientifique des désordres humains. Or il est évident que l’organisation rationnelle de l’ordre social nécessite plus que jamais la compréhension des facteurs de désordre tant à l’échelle collective qu’individuelle. Les dérapages de la raison, les ratés de la volonté, les débordements de la passion et les excès dans les actes constituent l’objet spécifique de la psychanalyse. Elle a donc logiquement sa place à l’université parmi les sciences humaines. Mais cette place est discutée car sa scientificité est discutable. Est-elle, oui ou non une science? Nous n’entrons pas dans un débat déjà centenaire. Mais nous avons une opinion sur la question. Notre idée est qu’elle ressemble fort à une science par ses méthodes et théorisations, qu’elle en est une au sens moderne du terme en tant que savoir consensuel, empirique et modelisé mais qu’elle n’en est pas une conformément aux critères post-modernes en tant que falsifiable, quantifiable et rentable. Ce dernier critère est actuellement de plus en plus déterminant pour la politique scientifique nationale, c.à.d., pour le financement des institutions universitaires. Soyons réalistes: les attitudes des institutions et des scientifiques vis-à-vis de la psychanalyse suivent les fluctuations historiques de l’idéologie scientifique. Et si cette histoire va dans le sens du progrès technologique et économique, elle ne va pas pour autant dans la direction d’un progrès humain et humaniste.
Partant de l’idée que la psychanalyse n’est pas exactement une science post-moderne, comment fonctionne-t-elle à l’université, fief des sciences? Quels rapports peut-elle entretenir avec les sciences en place ? Nous répondrions volontiers qu’étant donné le renforcement de l’idéologie de la performance dans le champ scientifique, la recherche psychanalytique devient de plus en plus nécessaire à l’université. Et les évènements socio-politiques qui défrayent la chronique ne font que confirmer cette nécessité. En effet, si on veut bien admettre que le slogan « rien ne nous arrête! » qui commande tant le progrès scientifique que les tendances économiques et politique est un impératif de jouissance, c’est à dire un commandement d’aller au-delà du plaisir vers la performance et jusqu’au bout du possible quitte à déplacer sans cesse les limites de l’impossible, alors les psychanalystes ont du pain sur la planche. Leur métier consiste justement à cerner et modérer les excès de l’instance psychique qui commande, qui ordonne, qui impose l’obligation de dépasser les limites raisonnables. La psychanalyse fait travailler les analysants et ceux qui réfléchissent à la question: qui est ce maitre qui vous pousse à jouir, jusqu’au bout, au mépris de vous-même et des autres?
Mais surtout, la psychanalyse comporte une éthique concernant la réponse des sujets singuliers à l’impératif de jouissance. Etant donné l’évolution actuelle des sciences et de leurs effets dans le social, la psychanalyse et ses usagers n’ont rien à gagner et beaucoup à perdre à ce que la psychanalyse soit embrigadée dans la cohorte des sciences qui marchent au pas derrière la bannière du « progrès ». Il est clair que l’idéologie des sciences contemporaines assujettie aux idéaux du rendement et à l’impératif de la performance entraîne la pulvérisation des limites du savoir et du savoir-faire. En d’autres mots, le progrès scientifique est résolument engagé dans une logique transgressive, une logique de jouissance effrénée. Qui plus est l’universalisation des applications scientifiques entraîne l’incitation massive à la jouissance collective tout en creusant le fossé entre les jouisseurs performants qui capitalisent les technologies coûteuses et les jouisseurs démunis qui se contentent de moyens artisanaux. Dans les deux cas l’aboutissement logique de la poussée à la jouissance est la concurrence discriminante (entre winners et loosers) et l’explosion de haine et de violence liée à une rivalité sans merci.
Aux antipodes de cette logique de l’exaltation technologiquement assistée des pulsions, l’éthique de la psychanalyse est et reste résolument engagée du coté de la promotion artisanale du désir subjectif, de l’acceptation des limites de l’impossible (du réel) et de la pondération individuelle et collective de la jouissance par les dispositifs symboliques (conventions, pactes et lois). La grande différence entre l’idéologie de la politique scientifique d’une part et l’éthique de la psychanalyse d’autre part est que la première assimile désir (raplati sur le besoin) et jouissance et que la seconde les oppose radicalement. Tandis que la première produit des individus consommateurs-jouisseurs la seconde promeut des sujets désirants, modérateurs de jouissance.
Nonobstant cette divergence idéologique, des scientifiques “ performants ” et des psychanalystes parviennent encore à coexister sinon à dialoguer dans quelques universités. Est-ce caricatural de dire que l’action des premiers contribue à produire l’objet des seconds ? Cet objet, qui est la composante irrationnelle des humains, n’est elle pas précisément sollicitée jusqu’à l’excès par la promotion commerciale des applications des sciences performantes? Il est évident que la coexistence est difficile voire conflictuelle entre les thuriféraires de l’excellence et de la performance d’un côté et ceux de la modération et du désir (en tant que tel c.à.d. en tant que mouvement qui ne s’épuise pas dans un objet) de l’autre. Ils n’ont pas la même conception du bien : pour les uns l’excellence c’est ce qu’il y a de mieux, pour les autres, le mieux est l’ennemi du bien et prépare le pire. Ils ne partagent pas non plus la même vision de la réalité. La performance des uns va jusqu’à faire sauter allègrement les frontières entre la réalité humaine et le réel inhumain. Les autres en constatent les effets cliniques désastreux et tentent d’en rattraper les dégâts en restaurant l’écart entre la réalité et le réel.
Ce tableau manichéen ne correspond bien entendu pas tout à fait à la réalité. Entre les deux pôles existe un large éventail de positions intermédiaires et de compromis. Par ailleurs, les sciences humaines sont hétérogènes et les individus qui les incarnent apportent leur diversité subjective. Entre les pôles opposés il y a place pour un champ de controverses. Dans ce champ il y a place aussi pour une réflexion scientifique sur « la » psychanalyse en tant qu’ensemble des représentations que s’en font les représentants des diverses disciplines.
En tant qu’objet d’une réflexion pluridisciplinaire dans un contexte académique comme celui de ce colloque, il est logique de traiter le discours psychanalytique sous ses deux aspects à la fois: celui de la pratique clinique et celui de la modélisation théorique. Ressort-elle davantage de l’une que de l’autre? Si elle était scientifique de quel type de science s’agirait-il? Puisque la psychanalyse n’est certainement pas un discours de l’ordre des sciences appliquées, serait elle du domaine des sciences fondamentales? La réponse est également négative car le discours psychanalytique n’a d’autre fondement que des pratiques concrètes de parole dans un cadre transférentiel organisé par l’imaginaire. Le discours théorique de la psychanalyse découle de la pratique clinique et y trouve ses tenants et aboutissants. Même si on veut la faire passer pour une science, il est difficile de lui donner une place tenable dans ce champ.
Est-ce parce qu’un discours n’entre pas dans le champ des sciences orthodoxes qu’il doit pour autant être rejeté du sacro-saint cénacle des savoirs qui font autorité, en l’occurrence des savoirs dits académiques? La psychanalyse pose problème à l’université et il est dès lors logique que les psychanalystes qui y fonctionnent au titre d’enseignants et de chercheurs dans leur domaine recherchent le dialogue constructif avec leurs collègues des sciences humaines appelées « connexes ». Parmi celles-ci elle entretient des relations de bon voisinage avec l’anthropologie, l’exégèse et la pédagogie. Celles-ci ont par rapport à la psychanalyse le privilège de ne pas (trop) prêter le flanc à des reproches répétés de non scientificité.
Qu’est-ce que ces pratiques comportent de commun entre elles et avec la psychanalyse? Parmi les traits communs pointons celui-ci: ce sont des pratiques de rencontres avec l’Autre. En l’occurence l’anthropologie étudie les autres sociétés et cultures. L’exégèse s’intéresse au textes d’autres époques et d’autres lieux. La pédagogie porte sur l’initiation à d’autres savoirs. Ces trois pratiques activent à travers les rencontres avec l’autre particulier le rapport de chaque chercheur à sa représentation de l’altérité fondamentale. Ces rencontres avec l’Autre ont été étudiées par des chercheurs de diverses disciplines . Il en ressort que rencontrer les autres ( les semblables plus ou moins différents) c’est se confronter à l’altérité radicale ( à l’Autre ) qui en est la référence intime. La rencontre avec l’autre active les fantasmes qui fondent les projections, les identifications et les interprétations le concernant. Ces processus imaginaires conditionnent les attitudes transférentielles. Transférer c’est transporter du signifiant, transmettre et aussi enseigner, donner à lire. Lire un texte tout comme déchiffrer des énoncés c’est interpréter. L’interprétation est de l’ordre de l’exégèse, du commentaire, de la pratique textuelle qui aboutit occasionnellement à l’enseignement. Enseigner, par exemple à l’université, c’est bien sur rencontrer ces autres que sont les étudiants, et les collègues des « autres bords », sous la férule de la figure de l’ Autre institutionnel. Cet Autre est le système régulateur des relations de savoirs et d’efficience, mais aussi la machinerie kafkaïenne précipitant les rapports de forces et de pouvoirs, et la structure des tensions entre principes d’ordre et de désordre.
Dans les lignes qui suivent, des représentants de l’anthropologie, de l’exégèse et de la pédagogie en tant que pratiques théorisées de la rencontre avec les autres et l’Autre apportent des éclairages sur les mécanismes en jeu dans les rencontres entre la psychanalyse, les sciences humaines et l’institution universitaire.

Une rencontre pluridisciplinaire.

Le présent texte est une réflexion basée sur une rencontre institutionnelle entre collègues. Il n’est pas question ici de tenter une restitution plus ou moins fidèle d’une discussion collégiale. Le lecteur trouvera ailleurs dans le recueil dont fait partie notre article les textes sur lesquels se sont basés les intervenants. Nous tenterons de rendre compte de l’essentiel de ce que nous avons entendu et des réflexions que cette écoute nous a inspirées. Nous n’avons pas entendu tout et ce que nous en avons retenu est reformulé à notre manière. Ce texte est donc l’expression d’une perception très subjective partielle et partiale, sélectivement orientée par notre intérêt professionnel pour la question de la rencontre avec l’altérité et engage notre responsabilité.
Dans cette discussion collégiale nous relevons que la question de la place pour la psychanalyse à l’université devient celle de l’utilité de la méthode de la psychanalyse pour les trois disciplines des sciences humaines impliquées. Plus précisément cette question s’énonce comme suit: l’interprétation psychanalytique peut-elle inspirer l’interprétation dans d’autres sciences, étant entendu que l’objet de l’interprétation est la rencontre avec l’Autre? De l’échange collégial se dégage que la préoccupation dominante est celle de la rencontre avec l’altérité en tant qu’expérience déroutante et de remise en question de soi pour le chercheur. Les intervenants attendent de la part des psychanalystes un coup de pouce pour modéliser cette rencontre dans ses composantes de transfert et d’interprétation.

Les intervenants ne se confinent pas dans les limites de leurs textes. Les exposés ne correspondent pas exactement aux textes publiés dans ces actes. En fait, les diverses interventions constituent plutôt des témoignages comportant une implication personnelle des auteurs. Une remarque s’impose : les trois conférenciers se présentent comme intéressés par la méthode psychanalytique mais ils sont loin d’être des convertis à la psychanalyse. Ils témoignent d’une sympathie prudente et raisonnée pour celle-ci. Ils sont plutôt des utilisateurs objectifs occasionnels de la théorie et de l’interprétation psychanalytique. Ils ont rencontré la psychanalyse par des lectures ou par des contacts personnels et dans leurs dires il y a autant d’éloge que de critique.

Rencontres avec l’Autre culture.

L’anthropologue prend comme point de départ la question centrale du colloque : « Pourquoi consacrer un colloque à la place de la psychanalyse à l’université ? (…) Faut-il en déduire que la discipline douterait d’elle-même? ou que son paradigme se sentirait menacé? ». De son point de vue d’utilisateur des sciences humaines pour « bricoler » son anthropologie culturelle il constate que la psychanalyse occupe une place de fait dans le matériel intellectuel disponible. Elle inspire diverses sciences humaines et il y a des échanges historiques entre la psychanalyse et l’anthropologie. Par conséquent il lui paraît évident qu’il y a une place pour la psychanalyse dans une université supposée introduire les étudiants à l’ensemble du champ de l’intellectualité contemporaine.
Par ailleurs, étant donné la présence massive de l’irrationnel et de la déraison tant individuelle que collective dans le champ de la réalité humaine il lui semble tout aussi évident qu’il doit y avoir à l’université un discours sur l’irrationnel et sur la déraison. La psychanalyse y trouve sa place à côté de la psychiatrie et de la sociologie des désordres sociaux. Plus précisément la psychanalyse aurait à théoriser l’émergence de la déraison dans le champ de la raison à partir de l’étude des causes du désordre.
Il rappelle que sur son terrain, le Burkina Faso, il vit, en fait, en pleine déraison et irrationnel. Pour un Occidental, l’Afrique représente le monde de l’irrationnel. Pour lui le chaos africain représente la figure exemplaire de la déraison. A la question « qu’est-ce qui vous attire en Afrique? » posée dans un autre lieu, l’anthropologue a répondu: « le chaos ». L’intérêt pour une compréhension du chaos semble un trait commun aux anthropologues du développement et aux cliniciens.
Confronté à des situations dans lesquelles la raison chavire de toutes parts l’anthropologue cherche des outils conceptuels. Observateur des mouvements extrêmes de la folie meurtrière et des sursauts de vitalité il interpelle la psychanalyse et la psychiatrie. Il observe que dans les situations extrêmes et face à la mort les êtres humains retrouvent des ressources étonnantes. Plus particulièrement les habitants des villages délaissés par la politique nationale et oubliés par les grands projets internationaux réinventent une réalité qui leur permet de supporter la proximité d’un réel catastrophique. L’anthropologue constate la résurgence des mythes et de la magie dans ces sociétés. Il étudie au plus près l’essor des Eglises de Dieu, dérivés locaux du protestantisme pentecôtiste. Celles-ci se caractérisent par un projet thérapeutique spectaculaire. Des pasteurs et des croyants élus se disent inspirés (ou possédés) par le Saint-Esprit et obtiennent de ce fait la capacité de diagnostiquer le mal et de le guérir par des exorcismes publics à grand renfort de foi collective. Il étudie de très près la manière dont ces pratiques nouvelles, tout en s’opposant ouvertement à l’ancienne magie animiste (car le protestantisme s’érige en parangon de modernité contre l’archaïsme) en récupèrent les techniques d’exorcisme et de magie.
Il est important de constater que dans nos cultures, nous avons aussi notre part de folie et de mort. Mais nous avons l’impression qu’il ne s’agit pas de courants de forces prédominants parce que les scientifiques prennent la part de Dieu là où, dans les sociétés étudiées par l’anthropologue les dieux sont à leur place d’agents du chaos et de l’ordre. Dans nos cultures, nous avons l’illusion que nous sommes les maîtres du destin et à entendre les scientifiques, nous pourrions faire rationnellement barrage à la mort et à la déraison en déployant un éventail de solutions techniques. Ce qui entraîne la question: cette prétention ne prépare-t-elle pas le retour de la déraison (du refoulé collectif) sous ses formes les moins contrôlées ?
L’anthropologue lance aux psychanalystes la question: « Pourquoi ne définissez vous pas clairement votre méthode? » Il le formule comme suit: « Demeure la question de la méthode d’investigation, soit de la production des données et leur interprétation. Ces aspects méthodologiques constituent, me semble-t-il de l’extérieur, un corpus d’activités parfois incomplètement assumé par la seule psychanalyse clinique ». De manière conciliante il pense que les analystes et les anthropologues sont peut-être à cet égard là logés à la même enseigne. « Nous – psychanalystes et anthropologues – allons sur le terrain et y rencontrons beaucoup de matériau. Si nous désirons le théoriser et le transmettre, il nous faut concentrer et réduire les données. Ce faisant nous devons interpréter et nous ne pouvons pas faire autre chose que de travestir dans nos textes la réalité du terrain. A l’université, nous ne pouvons échapper à l’obligation de promouvoir notre capacité de rendre compte des phénomènes inhérents à l’expérience ».

Dans la discussion trois questions ont été posées par un philosophe-psychanalyste.
La première concerne les rapports entre la psychanalyse et l’anthropologie. Il est évident qu’il y a un rapport de dettes réciproques entre les deux disciplines. On retrouve des deux côtés des concepts apparament équivalents. Mais cette équivalence est problématique: « Trop souvent je lis dans les travaux de mes collègues versés en anthropologie un passage allègre de l’un à l’autre comme s’il s’agissait de la même chose. Certes des processus sont répérables qui ont une similarité, de l’intrapsychique au macro-social. Mais est-ce qu’au nom de cette similarité des processus (…) on peut dire qu’il y a équivalence entre le complexe d’Oedipe et la prescription de l’échange généralisé tel que Levi-Strauss a pu la mettre en forme? »
L’autre question concerne la mathésis ou la transmission: « Dans quelle mesure la singularité clinique se prête-t-elle à une transmission, c’est à dire à un passage, à un discours de l’université, c’est à dire, de l’universel? On connait l’adage d’Aristote « Individuum est ineffabile », l’individu n’est pas dicible. C’est le défi même des sciences cliniques que de produire des sciences à partir de la singularité. »
Enfin, une troisième question est soulevée par l’expression de l’anthropologue: « on préfère une ethnologie des inconscients » qui réflète le versant clinique de l’ethnologie. Cette formulation est problématique. « Comme si les inconscients se laissaient lire dans l’évidence de leur phénoménalité. En d’autres termes, est-ce que le mot inconscient (tel qu’employé par l’anthropologue) a encore le sens de l’Andere Schauplatz, l’Autre scène qui est vraiment Autre par rapport à la scène sociale? Ou alors, est-ce que cet inconscient est totalement dilué dans les figures d’une phénoménalité accessible à un lecteur sensible »?

Nous avons entendu sous jacent à ces questions l’idée qu’un dialogue interdisciplinaire doit éviter le leurre de la transparence, de la relation au même, du rapport spéculaire au double. Anthropologie et psychanalyse fraternisent sans doute (avec toute l’ambivalence de l’amour et de la rivalité fraternelle) mais ils ne sont point jumeaux. Il s’agit d’être attentif à la reconnaissance de la différence, plus exactement de l’altérité en jeu dans le rapport interdisciplinaire, de cette altérité qui est précisément l’objet commun aux deux disciplines.

En réponse à ces trois questions l’anthropologue évoque d’abord la compréhension des problèmes du passage de l’entre-deux disciplines par le modèle maussien des échanges, des dons et des dettes. Ce qui l’a amené à relier psychanalyse et ethnologie à travers une psychanalyse des inconscients, c’est la conclusion de Michel Foucault dans « Les Mots et les Choses ». Il s’agit de relations d’échanges entre deux discours situés socio-historiquement. C’est à partir d’un tel repérage (l’inconscient et les inconscients en tant que produits de discours repérables dans le temps de l’histoire des sciences et l’espace spécifique des cultures qui les ont produit) qu’il semble possible de tenter quelques généralisations qui restent bien sur liées à ces conditions d’espace et de temps particulières et limitées. Ce constat de la limitation des généralisations impose de la modestie aux théoriciens-transmetteurs. Les généralisations pêchent toujours par leur simplicité et leur évidence relativement à la complexité et incompréhensibilité de globalité de la réalité humaine. Concernant la transmission ce qu’on peut faire de mieux est sans doute de narrer simplement la réalité en respectant scrupuleusement des règles de construction de la narration.

La suite des échanges remet ces questions sur le métier. On constate qu’il faut faire la part entre la fonction clinique du psychanalyste d’une part, et la fonction de recherche du psychanalyste en tant qu’enseignant universitaire d’autre part. Il fonctionne évidemment autrement dans le transfert clinique avec ses patients et dans les rapports collégiaux. Et encore différemment dans ses rapports aux étudiants dans les universités d’une part, et aux candidats à la formation à l’analyse dans les écoles et autres lieux extra-universitaires de transmission du savoir d’autre part.
Dans les rapports de collégialité et de transmission, les cliniciens ne sont pas censés donner le détail de ce qui se passe en clinique mais de construire et de communiquer des théories, des concepts et des modèles, ou plus généralement des représentations qui peuvent valablement représenter la clinique. En pratique, ceci est possible par ce qu’on appelle la construction empirique des cas cliniques. Ceux-ci sont des fictions nécessaires. Encore faut-il respecter scrupuleusement les règles de construction et de transmission de ces fictions didactiques. Cette construction possède son épistémologie, son heuristique, son herméneutique et son axiologie. Elle se doit critique, consensuelle et si possible falsifiable. De plus la transmission interdisciplinaire réclame la traduction du vocabulaire technique en langage explicite. Toutes ces opérations représentent un effort certain. Mais la collégialité est à ce prix. Ne nous leurrons pas cependant. Il y aura toujours du non modélisable, du non représentable et de l’indicible. Et l’abord de cette part du réel, irréductible à la réalité transmissible, nécessite l’expérience initiatique personnelle. Pour savoir quelque chose de ce qui ne peut se transmettre, il faut y aller voir, et s’y mettre à l’épreuve si le désir de savoir y pousse. C’est là l’irréductible de l’Altérité. Il faut s’y heurter pour savoir de quoi c’est fait, en la rencontrant dans sa propre intimité.

La rencontre avec l’Autre texte.

Le deuxième exposé est celui de l’exégète qui consacre ses recherches à la lecture biblique, notamment les Livres de la Genèse. Sa rencontre avec la psychanalyse coïncide avec sa découverte d’un autre type de lecture, celle de Marie Balmary . Ce qu’il retient de la lecture de cet ouvrage, c’est que là où lui exégète est un lecteur de textes, la psychanalyste Marie Balmary fonctionne comme une « auditrice » du texte. Elle écoute le texte biblique pour y entendre des blancs, des répétitions, des élisions, des trébuchements. Il s’agit d’une écoute psychanalytique.
L’exégète se demande s’il y a quelque chose à prendre dans l’écoute d’un texte qui pourrait servir à la lecture selon les règles de sa discipline. Il lui semble que la grande différence entre lire un texte et l’écouter tient au fait que lire un texte, c’est sans doute voir ce qu’il y a dedans sous la forme d’une information, mais qu’écouter le texte, c’est aller à la rencontre de ce qui n’y est pas explicitement mais de ce qui apparaît entre les mots et entre les lignes, ce qu’on appelle le sens.
Notre compréhension de ce que l’exégète énonce est la différence entre la signification (ou sens explicite commun) et la signifiance (ou sens implicite singulier). Il avance l’idée que, pour percevoir quelque chose du sens dans un texte, il faudrait l’écouter. Mais l’exégète se rend aussi compte du fait qu’écouter un texte plutôt que de le lire est une opération à risques, car écouter un texte, ce n’est pas être passif, c’est être tout à fait actif. Ecouter un texte, (comme d’ailleurs écouter un analysant), c’est être traversé par l’action du transfert et d’une interprétation. On n’écoute pas n’importe quoi, on écoute justement des vides, des lapsus, des erreurs, et c’est dans ces coupures dans la continuité logique du texte qu’apparaissent les éléments d’une interprétation. Mais c’est un risque ! En effet, on sort de l’attitude purement scientifique qui consiste à ne relever que ce qui est là comme donnée brute… C’est donc une complication de l’opération de l’exégèse qui fait de la lecture un travail d’interprétation. L’écoute entraîne que le lecteur lit dans le texte de l’autre ce qu’il entend résonner en lui-même. C’est-à-dire, en fin de compte, qu’un exégète qui se laisse contaminer par l’écoute de l’analyste finit par se compromettre en tant que scientifique. En d’autres mots il entre en transfert à l’égard de son texte et y découvre son propre savoir insu (ou savoir qui lui vient de l’Autre en lui) présent dans l’autre texte. Ce qui fait comprendre que le même texte peut être lu de mille et une manières par mille et un lecteurs différents. Le travail de l’exégète rejoint alors celui de la traditionnelle exégèse juive qui a inspiré le fondateur de la psychanalyse. C’est un travail qui consiste constamment à relire le texte pour entendre la diversité des sens et interprétations possibles, y entendre la présence de l’Autre.
L’exégète a donné quelques illustrations de ce processus. Par exemple: que signifie l’interdit imposé par Dieu à Adam et Eve de consommer le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal? Par associations interprétatives il est possible de penser des alternatives diverses. Nous pouvons penser que nous trouvons là une théorie biblique de la genèse du désir humain. La transgression de l’interdit, c.à.d. la consommation du savoir entraîne la perte de l’innocence et l’éjection du paradis, c’est-à-dire la perte d’une totalité « une » où tout est parfaitement ordonné tant qu’on n’y touche pas. Le fait de croquer « la pomme de la connaissance du bien et du mal » correspondrait métaphoriquement à la volonté de tout savoir, d’accéder au savoir total et à la maîtrise divine. L’effet immédiat de la consommation est le sentiment de culpabilité issu de la connaissance de la différence entre l’obéissance et la transgression, le désir spirituel et la jouissance matérielle. Un effet corrélé est l’accès à la connaissance des catégories sexuelles et du désir charnel. Celui qui sait cela perd la quiétude paradisiaque (la Nature) soumis à l’ordre divin et entre dans le souci corrélé au désordre humain (la Culture).

A la suite de cette réflexion de l’exégète, le psychologue du développement moral est d’avis que celle-ci démontre l’utilité de la psychanalyse mais aussi son insuffisance pour une lecture riche des textes bibliques. Reprenant la question de la place de la psychanalyse à l’université, le psychologue dit se trouver assez souvent face à deux types de discours ou deux types de pensée psychanalytique. Un discours qui est fermé, qui prétend pouvoir tout interpréter, et un autre qui est ouvert, jusqu’au relativisme historique de sa propre pensée.
Le discours fermé tourne à vide, en vase clos. C’est une pensée dont les représentants donnent parfois l’impression de se prendre pour les maîtres de conscience des autres. Ils se tiennent au-dessus de tout autre système de pensée et énoncent des critiques à l’égard des concepts, des argumentations, des méthodes de travail ou des approches cliniques des autres. Ils prétendent interpréter leurs motivations et réduire leurs critiques à l’égard de la psychanalyse à de la résistance, ou pire, à de la psychopathologie. Un tel discours est écrasant et il n’est pas illogique que les citoyens de la cité scientifique se demandent : où est la place à l’université pour un tel discours ?
Et puis, il y a un autre discours psychanalytique qui interpelle, attire, motive même : c’est ce discours psychanalytique qui est humble et qui nous invite à une solidarité dans l’incertitude. Cette psychanalyse là prend l’incertitude comme assise et démontre comment nos conclusions, nos méthodes et nos présupposés sont fragiles et se construisent sur base de nos blessures, nos angoisses, nos désirs et nos espoirs de trouver ou de construire du sens face à la mutation perpétuelle des choses. A ce titre, selon les termes de cet intervenant, “ le Freud qui interpelle, c’est le maître de suspicion, un peu comme Nietzsche, Weber ou d’autres qui mettent les présupposés en question, qui démasquent les certitudes des autres et qui se posent des questions. Et cela en respectant l’incertitude et la vulnérabilité, la leur et celle des autres, non pas comme faiblesse ou manque de compétence, mais plutôt comme source de guérison et de créativité. C’est cette psychanalyse là qui m’attire et que je trouve, en tant que psychologue de la religion, constituer un apport impossible à ignorer, impossible à mettre à la périphérie de l’université, impossible à exclure comme complément, par exemple, par rapport aux questions relatives au comportement religieux et sa place dans la recherche de sens de la continuité et de l’intégrité de la personne et plus particulièrement dans la résolution ou la difficulté de résoudre des dilemmes moraux qui sont des objets de recherche ”.
Un autre intervenant, également psychologue de la religion, souligne le courage d’une approche exégétique qui est ouvert aux sciences humaines, dont la psychanalyse.
Il rappelle d’abord en quoi la psychanalyse a été d’un apport capital pour la psychologie de la religion comme discipline. Le dialogue entre la psychanalyse et la foi s’est notamment montré utile et audacieux pour creuser l’authenticité de la vocation.
Il évoque ensuite les recherches d’Antoine Vergote qui insiste sur les analogies structurales entre le discours théologique et le discours psychanalytique notamment autour des grands thèmes du désir, de la loi, de la paternité, de l’illusion et de la croyance. C’est vraiment la tâche d’une théologie vivante de s’engager
dans la tentative d’ interpréter les contenus de la foi, des dogmes et de la bible, sur base de cette analogie de structures. Il faut faire travailler les couples conceptuels tels que narcissisme – égoïsme, espoir – espérance, culpabilité – péché,… tout en tenant compte des différences, voire les oppositions entre psychanalyse et théologie, tels que celle entre l’homme banalement content de lui-même et l’homme héroïque ou sacrificiel. Il y a là place pour un débat autour de la notion d’idéal et de valeur.
Il réfléchit enfin en tant que psychologue de la religion travaillant de manière empirique : en quoi la psychanalyse est-elle encore utile et quelles sont ses limites ? Il évoque deux possibilités. Soit la psychanalyse va devenir une sorte de discipline non strictement scientifique mais en dialogue préférentiel avec des disciplines comme la topologie, l’histoire des mentalités ou de la culture. Il s’agit d’une réflexion générale sur le sens de la vie. Cette première évolution serait à son sens dommageable. Soit la psychanalyse reste en dialogue actif avec la psychologie et ce serait selon lui souhaitable. La continuation d’un tel dialogue nécessite des conditions, telles que la possibilité de mettre des hypothèses psychanalytiques à l’épreuve de la recherche empirique. Il en existe des exemples en psychologie religieuse : les recherches sur la réputation de Dieu et de la figure paternelle, les recherches qui visent à comprendre la plus grande religiosité des femmes, qui travaillent sur l’expérience mystique ou qui étudient la personnalité religieuse.

La rencontre avec l’Autre savoir.

Le spécialiste de l’apprentissage et de l’étude des motivations apporte des réflexions à partir de son expérience de la formation des adultes. Il découvre dans la psychanalyse une interprétation de ce qui est inquiétant dans la formation, conçue comme le passage d’un savoir familier vers un savoir nouveau. Aller vers un nouveau savoir c’est abandonner une position connue et rassurante pour aller vers l’inconnu. Il faut reconnaître qu’une véritable transformation par le savoir est incompatible avec le calcul prévisionnel qui consiste à savoir exactement vers où on va. Au contraire, apprendre un savoir nouveau c’est aller vers un risque, c’est savoir ce qu’on lâche sans savoir vers où on va.
Cette tension dans le passage d’un savoir connu vers un savoir inconnu a été décrit par Piaget en terme de « conflit cognitif ». L’idée a été reprise par les néo-piagétiens de l’Ecole de Genève dans la théorie du conflit socio-cognitif. En fin de compte c’est dans ce lâcher prise par rapport à un savoir que se fait le véritable apprentissage. Celui-ci est une transformation qui implique l’expérience de l’inquiétude liée à la rencontre avec l’altérité. Il ne s’agit pas tant de l’étrangeté propre au savoir vers lequel on va, comme s’il s’agissait d’un objet extérieur, mais plutôt de la rencontre de l’apprennant avec son étrangeté interne. L’apprennant se découvre en déséquilibre entre deux savoirs, suspendu au dessus d’un vide comme un funambule sans filet. Cette expérience est vertigineuse et angoissante. C’est une expérience d’initiation. Dans la découverte d’un savoir on découvre l’altérité en soi. Bien sûr, c’est inquiétant et il faut prévoir un cadre des procédures d’apprentissage, un « espace protégé » pour cette rencontre singulière, le transfert entre deux moments porté par le transfert entre l’apprennant et celui qui est en position de pédagogue ou d’accompagnateur.

La discussion est introduite par le psychologue du développement moral. Il fait l’éloge du risque inhérent à la parole en tant qu’occasion de changement. « En parlant, on se transforme. Parler n’est jamais que représenter quelque chose ou reconstruire quelque chose. Parler, c’est oser quelque chose, c’est imaginer quelque chose, c’est tenter quelque chose, c’est explorer quelque chose, et, assez souvent, c’est découvrir quelque chose. C’est se mettre à la frontière de ce qui était le schéma du passé et de ce qui est l’inconnu de l’avenir. C’est se vulnérabiliser. (…) C’est entrer dans une tension, immense parfois. Ce que la psychanalyse (…) peut nous apporter c’est de nous rappeler que cette tension est un outil des plus précieux. (…) Il ne faut pas trop vite éliminer cette tension, solutionner le dilemme, résoudre le conflit, (…) Et voir dans ce conflit, non pas une faille, mais un trésor. Il est quelque chose à la fois de merveilleux, de stupéfiant et de dangereux. Il s’agit de ne pas le réduire au seul danger mais encore d’y voir l’occasion d’un changement »

De son côté le philosophe-psychanalyste interroge la fonction de la rencontre comme telle. Il fait l’éloge du chercheur qui ne se contente pas de suivre la logique rassurante de sa discipline, qui accepte le questionnement et le risque de la remise en question. « Le questionnement le rend disponible à ce qui l’amène au questionnement (la cause), c’est à dire à un réel qui n’est pas réductible à la chaîne (de la logique) disciplinaire. (Il y a) un ailleurs de la discipline qui est le ferment même de son chemin. (…) C’est par cette part de réel qui échappe à la chaîne du savoir disciplinaire qu’une rencontre peut s’opérer. (…) Dans le langage d’Aristote, il s’agit de la tuchè, moment de la rencontre qui introduit la rupture dans l’ automaton de la répétition, de la chaîne signifiante. La rencontre est comme la survenue d’un Autre, d’un ailleurs, d’un inédit. »
L’intervenant termine en mettant au point la question du transfert dans la relation au maître dans la relation d’apprentissage. « Il faut être attentif à la dimension du transfert, en tant que cette dimension peut être obscurantiste au sens où la fascination pour le maître ou la séduction de celui-ci par l’apprennant peuvent faire réticence à la triangulation par le savoir. Et c’est là que la psychanalyse peut nous enseigner. » Ce qui suit est une référence au séminaire sur le transfert dans lequel J. Lacan commente la réponse de Socrate à Alcibiade, telle qu’elle est proposée par Platon dans le Banquet: « Toi, Alcibiade, tu dis que tu m’aimes, mais ce n’est pas moi que tu aimes ». Celui qui est aimé s’efface pour renvoyer à autre chose, qu’on peut appeler le réel, qui n’est pas le maître mais que celui-ci est supposé contenir. » C’est en tant qu’il se divise en se barrant que le maître rend des nouveaux acquis disponibles pour l’apprenant.

Ce qui nous amène à continuer : le savoir nouveau n’est ni un dépôt dans un lieu extérieur (l’institution, l’enseignement, les livres, l’informatique), ni dans le maître (son savoir, sa sagesse, son expérience). C’est parce qu’il n’y est pas qu’il y est supposé. C’est pourquoi les livres et les maîtres ont du succès auprès de ceux qui se mettent en quête du savoir. Cette quête a toutes les caractéristiques d’une recherche de trésor. Et c’est bien pour cela que la métaphore du trésor est utilisé dans le monde entier pour symboliser cette quête. Et les récits qui développent cette métaphore aboutissent à la même leçon: « pourquoi cherches-tu ailleurs ce qui se trouve en toi? » C’est du côté de l’étranger en soi, du côté de l’Autre en soi que se trouve le trésor du savoir, l’ agalma qui est le désirable, le précieux. La psychanalyse ne propose pas un savoir structuré, livresque, facilement transmissible mais un cheminement initiatique, une épreuve qui est la rencontre avec l’altérité en soi. En cela, il y a un apprentissage dans la psychanalyse, qui est un apprentissage par la cure, dans le transfert à une supposition de savoir. Ce processus d’apprentissage est complètement hétérogène à un apprentissage de la psychanalyse par un enseignement universitaire, dans le transfert général des étudiants au savoir cumulé dans le programme des cours.

Quelques considérations pour conclure.

La question de départ est celle de la raison d’être de la psychanalyse à l’université. Nous avons en début de texte formulé quelques éléments de réponse personnelle à cette question. Ensuite nous avons synthétisé les idées issues des discussions collégiales. Il en ressort qu’il y a une place pour la psychanalyse en tant qu’inspiratrice de pratiques. Les discutants appellent de leurs voeux non pas des confrontations interdisciplinaires abstraites mais plutot des dialogues intersubjectifs concrets. L’accent est mis sur les rencontres avec l’altérité (avec l’Autre) dans des rencontres avec des autres (les semblables ou Mitmenschen). Il est demandé aux psychanalystes de témoigner de leur expérience clinique clairement théorisée à l’adresse de leurs interlocuteurs d’autres disciplines. On souhaite aussi que la recherche clinique psychanalytique contribue davantage à l’ensemble du champ des sciences humaines cliniques dans l’objectif de l’élaboration d’une anthropologie clinique.
Dès lors, il y aurait une double tache pour la psychanalyse ou plus concrètement pour les psychanalystes s’ils veulent se maintenir à l’université.
D’une part, il leur est demandé de contribuer aux échanges interdisciplinaires par un discours spécifique compréhensible pour des non initiés. Cette spécificité résiderait davantage dans letémoignage de leur expérience de terrain par une réflexion narrative que dans une théorisation savante (et ésotérique!) de leur savoir. Il ne s’agit pas non plus de concevoir l’enseignement universitaire destiné aux étudiants sur le modèle du travail en cartel dans une école de psychanalyse.
D’autre part, il leur est demandé de tenir compte des règles collectives en vigueur dans les institutions. Ce qui ne veut pas dire que soit attendu d’eux un conformisme, mais au contraire une mise en question raisonnée des modèles et des impératifs. Etant donné que l’université est comme toute institution sociale un champ de rapports de forces, dont l’enjeu est de moins en moins symbolique (l’humanisme, l’éthique, le bien), mais de plus en plus imaginaire (le prestige, l’efficacité, l’excellence) et de plus en plus proche du réel (la rentabilité, la performance, la subsidiabilité comme condition d’existence) les psychanalystes qui veulent non seulement y survivre mais encore y fonctionner de manière satisfaisante sont obligés de faire comme tout le monde: recourir à la raison rusée. La ruse est une condition élémentaire d’existence dans un rapport de forces. Pour continuer cette réflexion, il faudrait longuement réfléchir aux tenants et aboutissements de la raison rusée. Mais cette démarche est une autre affaire qui fait l’objet d’un autre colloque .

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